En 1996 pour le fanzine Ortie n°4, j’ai fait une interview de Martine Danot, la femme de Serge Danot, l’inventeur de l’émission enfantine Le Manège Enchanté. Notre société actuelle post # MeToo, remet en cause les personnages et situations dans les dessins animés (Pépé le putois, Dumbo, Les Aristochats, Peter Pan), créés à d’autres époques, le dernier étant La Belle au Bois Dormant (1959) des Studios Disney, où une mère de famille remet en cause le baiser du prince charmant sur la belle qui dort. Ainsi la question : Est-elle consentante ? Si c’est non, se rapproche-t-on d’un acte lié au viol ?
Allez, « Tournicoti, Tournicoton », on fait un saut en 1964, l’année de création de l’émission télévisée pour enfant Le Manège Enchanté. L’histoire commence ainsi :
Père Pivoine est un vieil homme ma foi bien gentil, mais un peu tristounet. Et pour cause, ses affaires ne sont pas au beau fixe. Père Pivoine s’occupe d’un manège qui ne rapporte pas de pécule, il est proche de la faillite. Et voilà qu’un jour, il reçoit un colis qui contient un bien drôle d’asticot sur ressort du nom de Zébulon. Grace à lui, les enfants-clients vont accourir au manège car il a eu l’heureuse idée de se suspendre à l’envers sur le manège pour servir de distraction. Parmi ces enfants se trouve Pio, Coralie, Basile et Margotte, une jolie petite fille en jupette orange, au visage très doux, avec dans ses cheveux un gros nœud papillon. Margotte va se lier d’amitié avec le Zébulon aux moustaches style Brigades du tigre et qui finis souvent ses phrases par des « Tournicoti, Tournicoton. »
Après avoir dit « 1, 2, 3 », ce petit personnage sur ressort va emporter avec lui Margotte et ses amis dans un pays qui s’appelle Le bois-joli. Dans ce bois où les arbres sont rose bonbon, rouge, bleu ciel, où les fleurs restent ouvertes toute l’année, nos « héros » vont rencontrer un drôle de chien au long poil, à l’accent britannique qui se nomme Pollux. Il adore le sucre, il est prêt à tous les caprices pour avoir un morceau. Puis, au fil des épisodes, apparaissent des personnages qui ont pour noms Bonhomme Jouvense avec sa trottinette (il était en avance sur son temps), l’escargot Ambroise et son accent du terroir, le lapin Flappy avec l’accent portugais, la vache folle Azalée et pour finir un train tout rouge. Avec ce petit monde, il va y avoir tout plein d’histoires mi sucre, mi Chamallow, soit 250 épisodes entre 1964 et 1966, 99 épisodes entre 1970 et 1971, 114 épisodes entre 1974 et 1975, 142 épisodes entre 1989 et 1995. En 2006, l’aventure reprend, mais l’animation des personnages en figurines animées est passé en images de synthèse. Notons aussi la réalisation de deux longs métrages destinés au cinéma. Pollux et le Chat bleu (1970) et Pollux, le manège enchanté (2005).
C’est en octobre 1964 que les téléspectateurs français vont découvrir sur leur écran de télévision cet univers de carton-pâte, d’abord en noir et blanc (seulement les 15 premiers épisodes) et rapidement en couleurs pop art acidulées.
Depuis la mort de Serge Danot en 1990 à l’âge de 59 ans, c’est sa femme Martine qui s’occupe de la production, création, l’artistique, la comptabilité, aidé par son équipe dans le studio familial de la Feuillée en Vendée. En 2013, ce lieu va devenir le siège du festival de métal Hellfest. Finalement le point commun entre Le Manège Enchanté et le Hellfest est capillaire, soit le poil long de Pollux et le cheveu long du métalleux. L’interview qui suit a été réalisé en 1996. Merci à Martine Danot d’avoir pris le temps de répondre à nos questions par téléphone.
Comment est né Le Manège Enchanté ?
Martine Danot : Serge Danot est hélas venu à l’animation grâce à un accident. C’était un homme qui faisait des métiers à haut risque : il peignait la tour Eiffel, il déminait les bateaux, que des métiers dangereux que personne ne voulait faire. Un jour il arriva ce qui devait arriver, il est tombé de très haut d’un échafaudage et il a passé un an à l’hôpital. C’est là qu’il a commencé à cogiter et qu’il s’est dit qu’il fallait trouver autre chose à faire. Tout en boitant avec ses béquilles, Serge s’est fait des petites marionnettes. Il a toujours été passionné par les marionnettes, c’est un véritable autodidacte, il a tout appris et tout fait seul. Comme il se plaisait à dire, « j’ai ce diplôme comme quoi je n’ai pas ce diplôme »…
C’est donc à partir d’un accident du travail que Serge Danot crée les personnages du "Manège Enchanté". Nous somme en 1964. Agé de 33 ans, notre autodidacte fabrique artisanalement en papier mâché des petits personnages de 15-20 cm, recouverts de feutrine, qui vont s’appeler Pollux, Margotte, Zébulon, Père Pivoine… A cette époque, en 1964, la télévision française s’appelait l’ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision Française). Il n’y avait pas encore la guerre des chaines, puisqu’il n’y en avait que deux chaines nommées tout simplement 1ère et 2ème chaine de l’ORTF (qui remplace la RTF). Elles seront en noir et blanc jusqu’au 7 mai 1967, date du passage à la couleur. L’ORTF commande à Serge Danot 13 épisodes, qu’il réalisera dans son deux pièces, qui vont alterner avec une autre série enfantine à succès, "Bonne nuit les petits" de Claude et Christine Laydu.
Y avait-il une rivalité entre les deux émissions ?
Martine Danot : Oui, bien sûr, il y avait de la concurrence, et même encore aujourd’hui avec le retour de Nounous en couleur (diffusé de 1992 à 1997). C’est un peu la rivalité, bien que pour le Manège Enchanté, les personnages sont filmés image par image alors que Bonne nuit les petits, ce sont des marionnettes que les acteurs peuvent bouger plus simplement et non des figurines. C’est plus simple et donc moins cher pour faire un épisode. De l’écriture au scénario jusqu’à la livraison de la cassette pour la chaîne, tout est fait à la maison dans nos studios de la Feuillée, à la campagne, loin du milieu TV parisien. On travaille à notre cadence, tranquillement. Dans l’équipe, nous sommes environ une dizaine de personne. On vient juste de finir une série de 250 épisodes de 5 minutes. Il nous faut 5 ans pour faire une série, soit une minute d’animation par jour de travail et une semaine pour un épisode de 5 minutes. On travaille jour et nuit, un plateau de jour et un de nuit. On a refait les personnages résine, les anciens étaient en papier. Nous filmons en vidéo, (avant c’était en film pellicule), ce qui est plus facile, bien qu’avec l’électronique ce ne soit pas toujours évident. Par contre on met le même temps qu’à l’époque de l’ORTF, car c’est une personne qui déplace manuellement les personnages. Il suffit qu’il y ait un fil de Zébulon qui craque puis tombe ou un nez de fêlé et on perd la journée. Rien à voir avec l’image numérique ou de synthèse que je trouve trop parfaite (NDR : je rappelle que l’interview date de 1996. La série en images de synthèse date de 2006 et le film de 2005). Au moins dans le Manège Enchanté, il y a la petite humaine. Parfois l’animation est mal faite, c’est ce qui lui donne son charme.
Y a-t-il des critères bien définis pour la réalisation des histoires ?
Certes, on ne peut pas dire n’importe quoi. De plus, comme la réalisation est faite image par image, on ne peut pas tout raconter dans un scénario. Par exemple, on ne peut pas écrire qu’il pleut dans le Boi-joli car on ne peut pas simuler les gouttes d’eaux comme dans un dessin animé. Il y a des choses qui ne sont pas animables. Comme c’est destiné aux tout-petits, il y a des censures, on ne peut pas faire boire de l’alcool à Pollux. Après, il faut penser que c’est une série diffusée dans de nombreux pays, donc on ne peut pas parler de choses typiquement françaises. Il faut aussi faire attention à ce que l’image et les idées ne soit pas trop marquées dans le temps car on espère que le manège restera éternel. Après, chaque personnage a son caractère, il faut en tenir compte dans le scénario. Souvent on met dans le texte une petite astuce pour faire un clin d’œil aux parents qui ont été bercés par le manège dans leur enfance. Les enfants ne comprennent pas toujours, mais ça amuse les parents. Enfin, il faut aussi vivre avec son temps et moderniser un peu nos moyens techniques. La télé nous laisse carte blanche, les responsables des chaînes savent que nous sommes sérieux. Les épisodes sont achetés d’avance et ils ne lisent même pas les scénarios. Si on pouvait faire plus d’épisodes, ils les achèteraient tous. A ce jour, entre 700 et 800 ont été réalisés.
Vous ne faites donc aucune modification suivant le pays où sera diffusé le Manège Enchanté ?
On fait l’épisode pour tous les pays, il y en a plus de 100, et chacun l’adopte et l’emballe à sa façon. Du coup Pollux s’appelle Dougot en Angleterre, Franginas au Portugal, Floridge aux Pays-Bas… C’est très facile car les marionnettes ne bougent pas leurs lèvres. C’est en Angleterre que ça marche le mieux. Ce qui est marrant, c’est qu’ils ont gardé l’ancien générique alors qu’ici on en est à la troisième. Eux, d’office ils mettent le vieux et c’est le même conteur qui parle depuis le début pour tous les personnages. Cela donne ce type de réplique : « Tiens, bonjour » dit Margotte. « Comment ça va ? » répond Pollux … avec la même voix ! Je trouve que c’est moins vivant comme procédé. En France, chaque personnage a sa propre voix bien typée. L’accent aide le personnage, c’est plus panaché, comme par exemple Ambroise avec sa voix du terroir.
Justement, pourquoi Pollux a-t-il cet accent anglais ?
Il parait qu’un jour la bande audio a été mise à l’envers, alors au lieu d’entendre Pollux faire Wouaf, wouaf, cela donnait Aouh, aouh, c’était amusant. Quelqu’un a dit, « Tiens, ça fait anglais », alors ils ont décidé de garder cet accent. Et en Angleterre, Pollux a l’accent français !
En parlant de doublage, rappelez-vous, pour les plus de 50 ans, au début de la série, c’était les ténors chansonniers français que sont Jacques Baudouin puis Micheline Dax (qui sera par la suite Miss Peggy la cochonne dans le Muppet Show en VF) qui prêtaient leurs voix aux personnages. Ces voix ont apporté beaucoup de panache à la série. Essayez de dénicher les 45t d’époque chez les disquaires d’occas et dans les vide-greniers car ces vinyles dégagent une naiveté touchante et pop. Après quelques années de bons et loyaux services, les voix de Jacques Baudouin et de Micheline Dax seront remplacées par Christian Rhiel pour Pollux et Pascale Danot (la première femme de Serge Danot) qui fera Azalée et leur fille Patricia qui double depuis 30 ans Margotte.
L’apparition du manège en 1964 apporte une nouveauté en ce qui concerne les séries TV : les produits dérivés en VF, le merchandising en VO. La société Danot développe un nouveau marché, très porteur, celui des produits dérivés à l’éfigie de Pollux, Margotte et compagnie. Pour le bonheur des parents et le leur portefeuille lors de la sortie en ville pour faire les courses cde la semaine, les enfants malins pouvaient tirer sur la robe de leur maman et leur réclamer les jouets suivants : peluche, pouet-pouet en plastique pour le bain, petites figurines, porte-clefs, livres, disques, Pollux à roulettes, cache lampe, tables à bébé, images, vêtements, marques partenaires avec un visuel du manège…
Avant la diffusion d’un épisode, faites-vous un test avec les enfants ?
Martine Danot : Quand notre fils avait 4 ans, il nous servait de repère. Je le mettais sur mes genoux pour qu’il regarde l’écran et il m’expliquait ce qu’il avait compris. Je voyais alors s’il captait ou pas. Sinon, je suis très sollicitée par les écoles pour faire visiter nos studios. Mais je refuse car quand commence, on n’en finit pas. C’est aussi une question de sécurité car les enfants auraient envie de toucher par exemple aux projecteurs. Et surtout, je me suis rendue compte que ça démystifie tout car les enfants s’imaginent tellement que Pollux marche tout seul et que les personnages sont de leur taille, ça enlève le merveilleux. Un jour, mon mari et moi avons été horrifiés quand on a vu à la télé enlever son masque. Il ne faut pas faire cela, ça enlève tout le charme.
C’est en 1990 que Serge Danot meurt d’un cancer. Il a vécu 59 ans, dont 10 ans avec Martine.
Martine Danot : Je ne le voyais pas à la retraite, il aurait travaillé jusqu’au dernier jour. Du temps qu’ion vivait ensemble, il n’a jamais pris de week-end, ce n’était pas son genre. C’était un battant, pour lui il n’y avait pas de temps à perdre, son dur travail, c’était sa passion. Il en tirait beaucoup de satisfaction, qu’importe de travailler jour et nuit, quand on était parti, on était parti.
Nota du 24 juillet 2023 : En 2012, grâce à Martine Danot, la tombe de Serge Danot à prit les couleurs pop du Manège Enchanté. Elle est située dans le Cimetière de la Bouteillerie à Nantes.
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