lundi 18 mars 2024

"L’Inconnu de Shandigor" de Jean-Louis Roy (Carlotta) – 5 mars 2024


L’éditeur Carlotta nous sort ici une curiosité de derrière les fagots. Déjà, on pense tout connaitre sur Serge Gainsbourg, et voilà qu’on découvre ce film où il interprète un rôle d’espion, avec en prime un passage où il joue un morceau inédit composé pour le film, Bye, Bye Mister Spy. L’Inconnu de Shandigor est le premier long métrage du réalisateur suisse Jean-Louis Roy. Son film, sorti en 1967 est une parodie arty, avec une touche BD comics des films d’espionnage. Si l’histoire est toute simple, par contre la mise en scène est totalement pop sixties futuriste, avec des vues de caméra assez étonnantes, des lieux (dont le Parc Güell et la cathédrale de Gaudi), décors stylé art nouveau, bref ici l’architecture des formes est mise en valeur. Le tout filmé avec un noir et blanc à donner le vertige, tant le rendu des contrastes est à tomber. C’est aussi fort que les images de Qui êtes-vous Polly Maggoo de William Klein (1966). Le Blu-ray propose une version restaurée en 4K, autant dire qu’ici, le noir et blanc n’aura jamais été aussi beau.

Synopsis :

"Le savant Herbert von Krantz (Daniel Emilfork) a mis au point un procédé révolutionnaire, l’Annulator, permettant de désamorcer les armes nucléaires. Son invention fait depuis l’objet de convoitise de tous les services secrets et des groupuscules terroristes du monde entier. Le scientifique paranoïaque vit cloîtré dans sa demeure ultra-sécurisée avec sa fille Sylvaine (Marie-France Boyer) et son assistant Yvan (Marcel Imhoff), sur lesquels il exerce une redoutable emprise. Autour d’eux, les espions rôdent et sont prêts à tout pour récupérer les plans de l’Annulator."


L’autre force du film, est le choix des acteurs. En tête de liste, Daniel Emilfork qui joue le rôle du savant. Son visage qui évoque le Dracula de Murnau (1922) marque instantanément les esprits. Sa fille, interprétée par Marie-France Boyer (que l’on a découverte dans Le Bonheur, magnifique film d’Agnès Varda -1965-) n’a pas pris un seul trait de son père, tant son visage d’ange aux cheveux blond tranche avec le visage rocailleur, en lame de couteau du patriarche. Daniel Emilfork est plus habitué aux petits rôles de figurations, apparitions, mais ici il est en tête d’affiche. Pour lui voler sa formule, il y a trois bandes d’espions près à tous les vices. Chaque bande est dirigée par une gueule du cinéma et de la chanson : Jacques Dufilho, Howard Vernon (un des acteurs fétiche de Jess Franco) et Serge Gainsbourg. C’est juste un plaisir jubilatoire de les voir diriger leur équipe de bras cassées, mais sans tomber dans le trip Les Tontons Flingueurs et Ne nous fâchons pas. Le rythme du film reste soutenu, même si c’est parfois les scènes sont un peu décousues. Qu’importe la logique, imperfection de l’histoire, côté images, on en prend plein la vue, tel une BD pop à rebondissement. Les acteurs s’amusent, et nous aussi. Le plaisir de voir Serge Gainsbourg (à noter que la B.O. n’est pas de lui, mais de Alphonse Roy, le père de Jean-Louis Roy), toujours aussi stylé avec ses lunettes noires et la trogne de Jacques Dufilho, un des plus grands acteurs français des années 50-70.

A noter que L’Inconnu de Shandigor a été présenté au Festival de Cannes. Malgré les qualités du film, Jean-Louis Roy va surtout, tout au long de sa carrière réaliser des courts-métrages et des documentaires.


Dans le Blu-ray, il y a en bonus une émission TV Suisse de l’époque, Cinéma-vif consacré à Jean-Louis Roy et à son film qu’il vient de finir de tourner. Son interview est intéressante. Dans l’émission, Daniel Emilfork, Jacques Dufilho (très enthousiaste de jouer avec ce jeune réalisateur) et Marie-France Boyer sont également interviewés. Belle archive de 30 minutes.

https://laboutique.carlottafilms.com/products/linconnu-de-shandigor-de-jean-louis-roy




samedi 16 mars 2024

ORGÕNE "Chimera" (3 Palm Records) – 9 février 2024

Orgõne est un groupe soul funk de Los Angeles qui s’est formé à la fin des années 90. Sergio Rios (guitare, production) et Dan Hastie (synthétiseurs, clarinette, production) en sont les guides, car il y a beaucoup de musiciens, chanteurs et chanteuses (dont Fanny Franklin très présente les premières années du groupe) qui ont fait partie d’un des nombreux albums du groupe. Chimere, qui vient de sortir est leur 14ème album studio, et attention aucune fatigue, au contraire en 2024, Orgõne est plus groove que jamais. Dans la formation 2024, en plus des deux leaders, il y Sam Halterman (batterie, percussions), Dale Jennings (basse) et une flopée d’invités musiciens, chanteurs et chœurs.

L’album s’ouvre avec Halloween Dreams, un pur titre digne d’un générique de film d’action ou série TV 70’s. Le style de morceau que Quentin Tarantino n’hésiterait pas d’utiliser pour la B.O. d’un de ses films, tant la rythmique est funky et puissante. Elle donne à la fois l’action, le suspense, et le plaisir de faire une pause pour boire un Martini drink. Peut-être le meilleur morceau de l’album. Ensuite place à Lies and Game et la sensualité soul avec des voix et chœur à tomber. Tout le charme soul funk à la Curtis Mayfield est présent dans ce magnifique morceau à l’instrumentation exemplaire. Sa joue mec ! Basilick est un croisement entre Massive Attack et David Holmes, artistes des années 90 également fan de musique black qui pulse d’érotisme. Cette instrumentale école Lalo Schifrin est également un grand moment sonore. Peace For You revient au funk 70 avec sa rythmique et ses voix soul vintage. C’est bluffant, tant le son est à tomber. Orgõne sont des orfèvres dans l’art de faire perdurer ce qu’il y a de meilleur dans la musique black des années 70’s. Encore un instrumental à pleurer, tant Parasols convoque les Meters avec sa touche jazz cool avec une délicatesse évidente. Là aussi c’est du grand art. La face A de la version vinyle est un sans-faute, pour l’amateur de musique funk soul afro 70. 

Sergio Rios

Orgõne en 2024

La face B commence avec Zum Zum, un morceau qui tranche avec la face funk, car ici on est dans « l’africolor », musique traditionnel africaine avec des effets de studio. On pense à Manu Dibango. Le changement de style perturbe un peu. Sur ce morceau, le chant est tenu par Mermans Mosengo. Running Low lorgne vers le funk rock teinté de blues avec renfort de voix. Il ne manque que les cuivres, mais la rythmique tient la baraque solide face aux intempéries. Jamie Allenswoeth a une bonne voix, mit en valeur par les chœurs. Autre morceaux qui évoque les samples de David Holmes, mais ici ce sont de vrais instruments sur The Husk avec sa basse et son clavier qui nous tiennent en haleine. Ici l’ambiance suspense digne d’un film de casse (style Ocean’s Eleven) est au rendez-vous. Également un bel instrumental tout en ambiance, limite trip-hop. La fête s’achève avec Tuta Muisi (Dance Like Them), pour 6 minutes et 43 secondes d’afro beat porté par le chant de Mermans Morengo. Là également la rythmique, les percus sont à l’honneur. Au final, la face B est moins funky, plus afro que la face A, mais l’ensemble donne un bel album qui prend encore plus de saveur au fil des écoutes. La magnifique pochette est réalisée par Danny Fernandez. Son dessin ferait des merveilles sur un t-shirt. Elle illustre bien le titre de l’album, Chimere, une bête mythique à la tête de lion, au corps de chèvre et à la queue de serpent.

Enfin, à noter que dans la longue liste de ses productions, Sergio Rios a produit l'album Silver du trio féminin Say She She, mon coup de cœur de 2023. Il est également à la guitare avec ses musiciens. Autant dire que les filles sont bien entourées pour que leurs voix soit mise en valeur. Pour leurs concerts, elles sont accompagnées par les musiciens d’Orgõne, notamment le bassiste Dale Jennings et Dan Hastie aux claviers.

https://orgonemusic.bandcamp.com/album/chimera-2

https://orgonespace.com/

https://www.facebook.com/Orgone.Official/