MES DISQUES A EMPORTER SUR UNE ILE DÉSERTE: Chronique n°26
Pas facile de choisir son album préféré des Swans, tant leur discographie longue d’une vingtaine d’albums
(souvent double, voire triple) est riche et sans déchet. Chacune des périodes
de la musique des Swans, commencé en
1982 à New York est une fresque sonore auquel on ne peut que s’agenouiller. Que cela soit
les premiers albums au son lourd, répétitif, industriel, proche de l’apocalypse,
(de 1982 à 1986), suivi des albums au son gothique, plus (acid)folk, tout en gardant
un pied dans l’indus et la noise (de 1986 à 1998) et leur retour en 2010 après
une pose de 12 ans (sauf au leader Michael
Gira qui a publié des albums solo, en groupe et de s’occuper plus
profondément de son label Young God Records), avec un magnifique album
lunaire Will Guide
Me Up a Rope To The Sky qui a permis à Swans de renaitre tel un phénix de ses sandre. Depuis 2010, TOUS
les albums de Swans sont des péplums
sonores remplis d’histoires, de combats frontales avec caresse et coup de poing. Ainsi l’album que j’ai sélectionné
est My Father Will Guide Me Up a Rope To
The Sky qui marque en 2010, le retour en force des Swans, avec depuis cette date 4 nouveaux albums tout aussi sidérant. Sans les Swans, le son noise de New York n'aurait pas le même aura. Ils ont prolongés l'identité No Wave (MARS, DNA, Glenn Branca, Lydia Lunch), née sur l'album White Light White Heat (1968) du Velvet Underground, faisant ainsi perdurer le style Noise de New York City (Sonic Youth, Live Skull, A Place To Bury Strangers, Liars...).
La musique de Swans à quelque chose d’étrange qui vous pénètre le corps. C’est limite surhumain d’écouter du Swans, mais c’est justement c'est cela qui fait le charme unique de ce groupe. Les musiques de Swans sont des substances chimiques qui rongent, qui vous détruisent de l’intérieur comme pour mieux vous faire renaître de vos propres entrailles. Explication.
Swans a eu plusieurs vies. Autour du chanteur/leadeur Michael
Gira, beaucoup de monde ont circulé au sein du groupe, ainsi les styles ont
évolués en fonction des périodes. De 1982 à 1986, Swans propose une
musique agressive, proche du chaos. Tel le son d’une machine industrielle, la
musique mécanique est jouée sur une note répétitive qui enflamme nos sens. La
voix de Michael Gira crache, vomit des mots comme attaquée sous
l’emprise des drogues. A cette époque il était conseillé d’écouter la musique
de Swans TRES FORT. C'était d’ailleurs précisé sur l'album Public Castration is a Good Idea: "Play at maximum volume". Cette
époque NOISE et INDUS va marquer de nombreux groupes, dont Godflesh, Young
Gods, Treponem Pal, Scorn, Ulan Bator, Liars pour n'en citer que quelques-uns.
En 1987, avec l’album Children Of God, Swans fait des morceaux
qui ressemblent plus à des chansons avec un parfum gothique. La voix de Jarbo
(alors compagne de Gira) donne une certaine « légèreté » macabre. A
cette époque Swans reprend aussi Love Will Tear Us Apart de Joy
Division dans une magnifique version funèbre. La voix sombre de Gira est
splendide. Sûrement le meilleur hommage au groupe culte de Manchester. A partir
de 1989 Swans prend un virage à 90° avec Feel Good Now, un album
très folk, très épuré qui avait dérouté à l'époque quelques fans. Ici, fini le
mur du son qui attaque le cerveau. Jusqu’en 1997 (année de la dissolution du
groupe), le style folk sera la thérapie lumineuse de la bande à Gira. En
parallèle à Swans, Michael Gira en compagnie de Jarbo a
joué dans Skin puis dans Angels Of Light, fait des albums solos
et prit de plus en plus de temps avec son label Young God Records pour
sortir de nombreux de disques (plutôt folk), dont les premiers disques de Devendra
Banhart .
Et nous voici en 2010 avec le 12ème album de Swans. Inutile de
vous préciser à l’époque mon impatience d’écouter ce nouvel opus après 14 ans
de silence. Entendre enfin huit nouvelles chansons. Comme d’habitude pas mal de
changement de personnel. Comme membre de la formation originale, Gira a
fait appel au guitariste Norman Westberg et Christoph Hahn et Bill
Rieflin qui ont joué dans différentes périodes du groupe. En invités on
trouve Phil Puleo ex. Cop Shoot Cop (excellent groupe noise new-yorkais), Chris Pravdica, Thor Harris (Shearwater),
Grasshopper (Mercury Rev) et ... Devendra Banhart.
Malgré les aléas du temps, surtout quand on vit dans une ville urbaine tels que New York (avec le bruit, la pollution), la voix de Michael Gira est restée intacte. Magnifique, telle la vue d’un cygne (facile), le timbre de sa voix passe d’un état calme à un état électrique, proche de la transe (Inside Madeline). Elle est toujours habitée. Par instant on pense à Nick Cave. Mais aussi aux Bad Seeds pour le style musical. Sans revenir sur leur période noise extrême, Swans mélange ambiances gothique avec de la folk et de l’indus symphonique. On pense à Current 93, le groupe de David Tibet, un proche de Gira. Chaque titre est riche. Beaucoup d’instruments, digne d’un orchestre permettent de rendre les morceaux très riche en mélodies et changement d’ambiance au sein d’un même titre. Toutes les nuances (non pas de Grey) prennent forme au fil des nombreuses écoutes nécessaires pour s’imbiber (non inutile d’ajouter de l’alcool) de l’album. Surtout ne pas écouter cet album en zappant, vous passerez à coté de ce fantastique voyage rempli de chair et de poésie. Si vous êtes passé à côté de Swans au courant des précédentes décennies, tenter de rattraper cet oubli, à travers ce disque relativement accessible.
Ce qui fait plaisir avec Swans, c’est qu’avec les années, comme un bon vin, leur musique noise et symphonique s’est bonifiée (et non pas momifiée) avec le temps. En version 2 CD ou 3 vinyles, les morceaux (d’une durée de 5 à 17 minutes) des albums suivants, The Seers en 2012, To Be Kind en 2014, The Glowing Man en 2016, Leaving Meaning en 2019, sont d’une finesse musicale à toute épreuve. Avec Swans, le bruit blanc est maitrisé, malgré qu’il soit créé à partir de longues improvisations et de tournées non-stop depuis la reformation en 2010. En chef d’orchestre, Michael Gira dirige cette messe noise avec fermeté et ouverture d’esprit. Le bonhomme connait bien le talent de ses hommes… et femmes (sur To Be King avec St Vincent, Jennifer Church et Cold Specks). Avec Swans c’est le plongeon dans une fresque sonore où le krautrock, le post rock, le blues, l’indus, le psyché, la folk s’unissent pour former une peinture aux mille visages. On est englouti, absorbé par cette transe obsédante qui nous caresse le corps, nous déchire la peau humide. A la fin des longues minutes d’écoute, on est purifié, on est vidé, toute la crasse s’est répandue sur le sol. Au risque de se répéter, il est conseillé d’écouter les albums de Swans à haut volume, histoire d’être bien immergé par l’orgasme sonore du prophète Gira. Unique dans la sphère rock, le parcours de Swans est un exemple qui prouve qu’en rock (comme en blues), on peut vieillir la tête haute.
https://swans.bandcamp.com/album/my-father-will-guide-me-up-a-rope-to-the-sky
https://younggodrecords.com/pages/swans
https://www.facebook.com/SwansOfficial
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