MES DISQUES A EMPORTER SUR UNE ILE DÉSERTE: Chronique n°27
Le film Bullitt réalisé en 1968 par Peter Yates est sorti en France sur les écrans de cinéma le 10 mars 1969. Comme de nombreux gamins des années 70, j’ai découverts ce film à la télévision, surement sur FR3, avec en guise de générique pour annoncer la séance de cinéma, les yeux des acteurs et actrices qui défilent sur la musique Les étoiles du cinéma de Francis Lai (1975). Bullitt est devenu un classique du cinéma américain, grâce à la performance de Steve McQueen qui joue le rôle du lieutenant Frank Bullitt avec une classe qui va marquer les sixties pour toujours. Son look (reprit régulièrement dans les pubs des marques de luxe) et sa voiture, une Ford Mustang GT Fastback de 1968 de couleur verte, sont entrées dans l’histoire de la pop culture, au même titre que la Ford Torino rouge de 1975 de la série Starsky et Hutch ou les voitures de la franchise James Bond l’agent 007.
Autre élément qui a rendu célèbre le film Bullitt, c’est la B.O. réalisée par le compositeur Argentin Lalo Schifrin. La scène de course poursuite dans les rues vallonnés de San Francisco est entré dans l’histoire de la mise en scène, d’autant que la musique est présente juste avant cette scène devenu culte, et absente pendant toute de poursuite des voitures, alors que dans la tête du spectateur, on a l’impression qu’elle est présente. Lalo Schifrin se plait à le raconter : "Le morceau Shifting Gears correspond à la séquence de la filature, mais pas à la course-poursuite qui lui succède et qui finit par le crash de la voiture noire dans la station-service. Selon moi, c’était inutile car il allait y avoir beaucoup d’effets sonores, des bruits concrets comme ceux des moteurs de la Mustang et de la Dodge. J’ai écrit la musique de la filature dans un tempo lent favorisant l’expression du suspense. La tension monte, monte… Quand Steve McQueen enclenche la vitesse, après s’être retrouvé derrière la voiture qu’il filait, la poursuite commence. C’est là que j’ai choisi d’interrompre la musique" (1). Ou encore mieux: "Il est courant que les gens me félicitent pour la musique qui accompagne la poursuite en voiture dans les rues de San Francisco. Je n’ai rien fait !". Choix judicieux de la part du compositeur, qui a réussi à imposer sa vision au réalisateur Peter Yates qui avait prévu une musique avec un orchestre.
J’ai découverts l’intégralité de B.O. de Bullitt sur un CD acheté dans les années 90. Mais j’ai redécouverts ce classique en 2017, lors de la réédition en vinyle sur le label allemand Spearkers Corner Records, spécialisé dans la réédition d’album de jazz en qualité de luxe. Leurs pressages vinyles est de haute qualité, ce qui permet d’entendre chaque son, chaque subtilité des compositions. C’est plaisant de savoir que cette B.O. fait aussi partie de la musique jazz. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être compositeur de musiques de films, Lalo Schifrin, muni d’un bagage en musique classique, est un pianiste, compositeur de jazz qui a débuté à Paris dans les années 50 pour le label d’Eddy Barclay, puis RCA France, puis à partir de 1960, pianiste de Dizzy Gillespie, avec notamment l’album Gillespiana (1960) avec Candido aux congas, devenue un classique du jazz, avec une touche lounge et latino. Ambiance feutrée et film noir garantie !
La particularité de la B.O. de Bullitt est le mélange des styles en pleine harmonie, soit un mariage heureux entre le jazz, la musique bossa, la pop music, le funk, le tout avec des rythmes groove au velours sonore très soigné. Le morceau Hotel Daniels, dans l’esprit des compos sixties de Quincy Jones, est à ce titre une totale réussite. Ce titre pulse à chaud, à donner envie de partir en route pour profiter de la vie, bien loin du travail dans un bureau. Juste après, le morceau The Altermath of love est une pure douceur easy listening qui nous ramène au son velouté des sixties. Inutile de passer tous les morceaux en revue, tant l’enchainement des 12 morceaux est parfait et nous permet de passer d’une ambiance à une autre avec une facilité déroutante. Du point de vue instrumentation, cette partition est très riche, on est ici dans la forme orchestre qui rencontre un groupe pop, sous la lumière psychédélique d’un club de jazz. Les cuivres et cordes se marient à merveille, avec le rythme de la basse funky et de la flûte en liberté. Il n’est pas étonnant qu’avec une telle maitrise du tempo, que cette B.O. passe les décennies avec une facilité déconcertante et fait partie des meilleurs B.O. de films, tout style confondu.
Après avoir découverts le film Bullitt à la télévision, revu en DVD, j’ai enfin vu Bullitt au cinéma dans des conditions trois étoiles. Cela s’est passé le mercredi 9 novembre 2017 à Paris, à la Cinémathèque française, lors de la rétrospective Lalo Schifrin, un homme-orchestre. La projection de Bullitt s’est passée dans la grande salle, suivie d’un dialogue musical avec Lalo Schifrin, animé par Stéphane Lerouge et Bernard Benoliel. Bullitt sur grand écran, c’est quand même quelque chose. Avant cette belle soirée qui c'est achevé avec quelques morceaux célèbres du maestro au piano, Lalo Schifrin c’est prêté au rituel des dédicaces, notamment pour la sortie du coffret CD The Sound of Lalo Schifrin (Universal Music). Bon il est temps de sortir ma Ford Mustang de 1968... format jouet !
Séance de dédicaces à la librairie de La Cinémathèque le 9 novembre 2017 @ Véronique A.
Interview avec Stéphane Lerouge et Bernard Benoliel @ Véronique A.
Lalo Schifrin au piano à La Cinémathèque Française le 9 novembre 2017 @ Véronique A.
(1): Propos de Lalo Schifrin, page 98, extrait du livre Lalo Schifrin, entretiens avec Georges Michel aux éditions Rouge Profond (2005).
https://www.cinematheque.fr/cycle/lalo-schifrin-352.html
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