PIERRE DESPRATS "Conann" (UFO Edition) – 2 décembre 2023

Des associations constructives entre des réalisateurs et des compositeurs, il y en a de bels exemples : Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann, Federico Fellini et Nino Rota, Sergio Leone et Ennio Morricone, Dario Argento et le groupe Goblin, Sam Peckinpah et Michael Winner avec Jerry Fielding, François Truffaut et Georges Delerue, David Cronenberg et Howard Shore, John Carpenter et John Carpenter, Peter Greenaway et Michael Nyman, David Lynch et Angelo Badalamenti, Claude Lelouch et Francis Lai, Steven Spielberg et John Williams. On peut rajouter à cette liste (non exhaustive) Bertrand Mandico et Pierre Desprats. Leur collaboration a commencé en 2017 avec le film Les Garçons sauvages, suivi en 2021 sur After Blue et maintenant tout chaud, Conann. Il n’est pas facile de mettre en musique le monde étrange et très visuel de Bertrand Mandico, réalisateur à part dans le cinéma français. On peut à cet égard rapprocher leur union à celle de David Lynch avec Angelo Badalamenti. Le film Conann est une nouvelle étape, dans l’art de raconter une histoire. Déjà Conan n’est plus un guerrier (on a tous en tête la musculature de Arnold Schwarzenegger), mais une guerrière devenue Conann avec deux "n". Pour interpréter ce personnage devenue féminin, ce n’est pas une actrice, mais six actrices qui endossent le rôle pour jouer une décennie de la vie de cette guerrière. L’actrice Françoise Brion (âgée de 90 ans -depuis les années 50, elle a traversé tout le cinéma français) joue la dernière étape de la vie terrestre de Conann la barbare.

Pierre Desprats commence comme batteur dans des groupes de hardcore de la scène toulousaine (je n’ai pas trouvé les noms de ses groupes HC). C’est au Cinésup de Nantes (école de cinéma et de l’audiovisuel pour la préparation aux grandes écoles de cinéma) qu’il débute son travail sur la musique en studio, approfondi avec le Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicale (GRIM), puis des études au prestigieux Louis Lumière (à Saint-Denis) en section son et scénographie sonore. Il finit ces études à l’Université de Montréal, section Art Numérique. Après ses années d’études, place à la pratique avec la composition pour des courts et longs métrages, le théâtre (notamment pour le metteur en scène Philippe Quesne). Avec ses études sur le son, Pierre Desprats a en poche le savoir-faire pour à la fois rassembler et malaxer le son selon les projets. Tel un sculpteur, le son est matière, il faut savoir lui donner forme avec sensibilité et personnalité. Sa collaboration avec Bertrand Mandico lui permet de sortir en lui tous les sortilèges, ambiances froides, industrielles (on sent le contact du métal, l’odeur de la soudure), proche de l’électro. Sa partition (avec orchestre !) pour Conann en est un bon exemple. Sur les images en noir et blanc du film qui nous évoques les longs métrages de Murnau et Fritz Lang, la musique électronique mélangée avec des instruments analogiques de Pierre Desprats apporte un climat froid, répétitif, mécanique, mais aussi organique, sensuelle, en état de méditation, proche du sacré. Le morceau d’ouverture a pour titre Traverser le voile, c’est justement ce qui va se passer avec la B.O. Un voyage en terre peuplé de spectres et de punks échappés de Mad Max versus R.W. Fassbinder. Parmi les instrumentaux, il y a trois morceaux chantés et écrient par la rappeuse camerounaise Kelly Rose (également dans le trio Uzi Freyja) et Misery interprété par Barbara Carlotti avec une touche "cabaret de traviole". Les morceaux suivants, titrés le Serpent, Cuisiner la reine, font penser à la musique de Michael Nymann pour le film de Peter Greenaway, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989). Pour ceux qui ont vu le film, la comparaison ne s’arrête pas à la musique, il y a aussi l’image du festin en compagnie du maitre de cérémonie, Christophe Bier. L’ensemble est finalement éclectique, et devrait à la fois plaire aux amateurs de musique industrielle école Coil, qu’à l’amateur d’électro organique, de musique contemporaine avec une touche de classique. Le tout avec un peu de rap et d’effets sonores pour la réussite d’une belle B.O.F. Il faudra malgré tout, plusieurs écoutes pour apprivoiser les trouvailles de Pierre Desprats !

L'album est disponible en numérique sur les plateformes et en édition vinyle limitée à 350 exemplaires.

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GUIDO & MAURIZIO DE ANGELIS "Original Television Soundtracks Collection" (Digitmovies) – 17 octobre 2023

Le label Digitmovies vient de publier un coffret 3 CD qui regroupe six B.O. composées par les frères De Angelis pour la télévision italienne. Il s’agit de séries TV exclusivement italienne composées entre 1972 et 1975, totalement inconnu des téléspectateurs français (1). En 1976, Guido et Maurizio De Angelis ferons la B.O. de la série-feuilleton de six épisodes Sandokan, là pour le coup c’est connu par chez nous, car c’est une co-production italo-franco-allemand diffusée en France sur TF1 à partir du 21 avril 1979. Cette B.O. ne fait pas partie du coffret. Toujours pour la TV, le duo a composé et interprété en 1978 (sous leur deuxième nom d’artiste Oliver Onions -à noter de par leur prolifique production, le duo prendra plusieurs pseudos comme Barqueros, Dilly Dilly, Royal Jelli-), la chanson thème Taking It Easy de la série anglaise Le retour du Saint avec Ian Ogilvy. Mais revenons à la semence 72-75. A l’origine, les B.O. du coffret n’étaient sorties qu’en 45 tours. Autant dire que cette édition CD (publiée à seulement 300 exemplaires) fait exploser le quota d’inédits, avec un total de 69 morceaux, thèmes composés sous les noms  M&G Orchestra et Oliver Onions.

Pochettes des 45 tours originaux des B.O.T.

Malgré qu’ils ont composés énormément de B.O. pour le cinéma et la télévision, notamment dans les années 70, Guido et Maurizio De Angelis ne sont pas très connu en France. Il y a malgré tout quelques titres de films qui devraient évoquer quelques souvenirs, en commençant par les films avec le duo Bud Spencer et Terence Hill : Deux Super Flics, Maintenant, on l’appelle Plata, Attention, on va s’fâcher, Banana Joe. Notons aussi Zorro avec Alain Delon, On continu de l’appeler Trinita, le western Chino avec Charles Bronson. Rajoutons quelques titres pour les amateurs de films de genre : Torso, Rue de la violence (avec Charles Bronson), La mort au large, L’Ombre d’un tueur, Big Racket, La montagne du dieu cannibale (avec Ursula Andress), 2019 après la chute de New-York. En prime d’être auteurs, compositeurs, multi-instrumentistes, producteurs, Guido et Maurizio sont également chanteurs. Ce qui donne une couleur personnelle à leurs compos face à la rude concurrence qui ont besoins les services d’un chanteur, d’une chanteuses (Ennio Morricone, Bruno Nicolai, Alessandro Alessandroni, Riz Ortolani, Piero Piccioni, Luis Bacalov, Nino Rota, Piero Umiliani).

Pochette de l’édition DVD de la série TV italienne "Ipotesi sulla scomparsa di un fisico atomico"

Ainsi, hommes totalement multi postes, pas étonnant qu’on est souvent fait appel à eux. De par leur chant (entre variété italienne, disco et balade), leur musique (qui puise dans tous les registres), on reconnait instantanément leur style, parfois proche de celui de François De Roubaix, notamment quand on entend la flûte et des effets de sons folk et psyché échappés d’un synthétiseur analogique. Avec les 199’36 minutes de musique que contient le coffret du jour, on n’aura pas l’occasion d’entendre les voix des frangins (dommage), par contre côté musique, on est servi. On est ancré dans le meilleur des années 70’s : folk, rock, pop, psyché, un peu de groove, mais aussi de la musique traditionnel, mélodies enfantines (on pense au Pinocchio de Luigi Comencini composé par Fiorenzo Carpi) et sonorités, mélodies étudiées pour l’illustration sonore. Les passages les plus émouvants sont les morceaux lo-fi guitare sèche avec flûte et quelques micros notes de synthé. Là on est instantanément dans l’ambiance des années 70. Ensuite quelques cœurs féminins et c’est le décollage pour les verts pâturages vallonnés. Si vous être fan de François De Roubaix, ce coffret vous est tout destiné. Si vous êtes amateur de B.O. de films italiens, ce coffret vous est tout destiné. Si vous désirez découvrir l’univers musical de Guido & Maurizio De Angelis, ce coffret vous est chaudement conseillé ! Il n’y a pas d’échappatoire ! Bonne écoute.

(1): Titres des six séries TV italiennes présents dans le coffret CD :

Ipotesi sulla scomparsa di un fisico atomico réalisé en 1972 par Leondro Castellani avec à la distribution, Orso Maria Guerrini, Luigi Pistilli, Mariella Zanetti, Guido Alberti, Claudio Baglioni.

Sul filo della memoria réalisé en 1972 par Leondro Castellani avec à la distribution, Renzo Palmer, Nino Castelnuovo, Riccardo Garrone.

Dellitto di regime réalisé en 1973 par Leondro Castellini avec à la distribution Raoul Grassilli, Giulio Brogi, Antonio Salines, Sergio Fiorentini, Ivano Staccioli, Nino Fuscagni.

Dedicato a una coppia réalisé en 1974 par Dante Guardamagna avec à la distribution Angela Baggi, Luigi Pistilli, Sergio Rossi, Corrado Gaipa. 

Quaranta giorni di libertà réalisé en 1974 par Leandro Castellani avec à la distribution Stefano Satta Flores, Pietro Biondi, Andrea Giordana.

Il Marsigliese réalisé en 1975 par Giacomo Battiato avec à la distribution Marc Porel, Lina Polito, Vittorio Mezzogiorno, Isa Danieli, Corrado Gaipa, Ida Di Benedetto.

Vous pouvez écouter des extraits de tous les morceaux du coffret CD ici : https://www.forcedexposure.com/Catalog/de-angelis-guido-maurizio-guido-maurizio-de-angelis-original-tele-3cd/CDDM.329CD.html

https://shop.digitmovies.com/home/2002977-guido-maurizio-de-angelis-original-television-soundtrack-collection-8032628993299.html

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