Patrice Caillet poursuit ses publications consacrées aux pochettes de disques formats 45 et 33 tours revisités et modifiés par des inconnues. Ces pochettes glanés ici et là dans les vides greniers, Emmaüs, foire à tout, parfois reçu par des amis fouineurs et convaincu de la cause pour Patrice Caillet, que le moche peut être beau, que dans le presque rien, il y a déjà beaucoup. Après le premier ouvrage Discographisme re-créatif, pochettes de disques refaites ou modifiées réalisé avec Gwen Jamois, publié en 2005 chez Ed. Bricolage, Discographisme récréatif publié en 2009 chez Éditions Bricolage/En Marge, voici Discographisme maison/Homemade Record Sleeeves réalisé avec Allan Courtis pour l’éditeur Art de Rien.
Si vous ne connaissez pas Patrice Caillet, j’ai inclus dans cette chronique, une interview que j’ai réalisée en 2010 pour le fanzine Abus Dangereux (face 114, été 2010). A lire après cette petite chronique. Alan Courtis est un artiste argentin qui explore l’art sonore, dans le domaine de la musique expérimental, musique improvisée. Il est membre du groupe Reynols, il a joué avec de nombreuses personnalités liés au genre bruitiste (Lee Ranaldo, Merzbow, Jim O’Rourke…) et publié des disques au nombre déraisonnable.
Ce 3ème volume contient la reproduction de plus de 180 pochettes de disques, principalement des 45 tours. Pour le collectionneur de disques, qui prend soin de ses pochettes en les glissant dans une pochette de protection, la vue de ses disques sélectionnés dans ce livre va donner des maux de têtes. Car ici pas de pitié pour les pochettes. Elles ont été griffonnées, barbouillées, découpés, déchirées, pliées, scotchés, agrafés, altérées. On y a collé des photos, des textes écrits à la main pour déclarer sa flemme. Parfois on a même créé une nouvelle pochette toute blanche avec le nom du groupe, chanteur, chanteuse au feutre, le tout avec une illustration personnelle qui n’a rien à voir avec la pochette originale. C’est clair qu’il est préférable que la modification de la pochette soit faite sur un disque qui ne nous appartient pas. Allez, petite consolation, la grande partie des disques passés entre les doigts d’un enfant ou d’un serial-killer de la pochette très adroit du cutter, s’attaque en général aux disques de variété française (Claude François, Sheila, Stone et Charden, Alain Barrière, Dalida, Carène Cheryl, Daniel Guichard, Michel Delpech, Philippe Lavil, Annie Cordy…), à la pop commerciale (Bonnie Tyler, Madonna, Kim Carnes, Kylie Minogue, Umberto Tozzi, Glen Medeiros, Julio Iglesias, Anita Ward, Kim Wilde…).
Pour autant, certains groupes, artistes respectables peuvent passer à la découpe, au gribouillage d'un stylo feutre agressif. Ainsi la pochette blanche originale du premier album de NEU ! écrit en lettres orange est perturbé par les jambes d’une femme dessinée dans la lettre U, le passage piéton du 33 tours d’Abbey Road des Beatles est caché avec le collage des textes des chansons découpés dans les pages d’un magazine, toujours les Beatles, sur la pochette de Rubber Soul, où ils sont maquillés en Kiss, la pochette d’un album de Patti Smith intégralement redessinée au stylo feutre, et une pochette blanche avec des découpages de photos de David Bowie et une autre avec Lemmy de Motorhead. On continu le massacre avec le 45 tours Down on the Street de The Stooges passé sous le feutre agressif de Valérie, renforcé d’un ruban adhésif qui entoure l’objet des supplices. Léo Ferré prend également chère avec son 45 tours Mon p’tit voyou (n°5), où sont visage est passé au feutre rouge, comme si c’était l’homme invisible. Sur le 45 tours, -pressage français- du morceau The Tide is High, le vêtement sexy de Debbie Harry est transformée en longue robe (la magie du feutre noir) pour cacher ses jambes. Sur le 45 tour d’Atomic, c’est encore pire, Debbie Harry porte une barbe réalisée au Bic bleu, caché maladroitement avec du blanc au Tipex.
Vous préférez Debbie Harry (Blondie) en jupe (pochette originale) ou en robe (pochette passée au stylo feutre) ?
Comme Patrice Caillet c’est associé à Alan Courtis pour sélectionner les pochettes qui méritent de figurer dans le livres, il y a ici de nombreuses pochettes d’artistes et disques latino (pour rappelle Alan Courtis est né à Buenos Aires).
Une pochette seule gribouillé, n’a pas beaucoup d’intérêt, mais plusieurs pochettes réunis ensemble, pour un livre, une exposition, on peut dire que cela à du style. Feuilleter ce livre, voir ces disques originaux proches du rebut exposés dans une bibliothèque municipale, une convention de fanzines, une salle de concert, cela change la donne. Dans l’esprit, on est proche de l’art brut, l’art singulier, l’art du rien. A la fin du livre (légèrement plus grand que le format 45 tours), il y a la légende des disques. Le texte d’introduction est écrit par l’artiste Arnaud Labelle-Rojoux. Il est l’auteur de L’Acte pour l’art publié en 1988 aux Éditions Évidant. Son dernier livre publié en 2020 chez François Bourin, titré Duchamp est consacré à Marcel Duchamp.
https://editions-artderien.fr/produit/livres/discographisme-maison-homemade-record-sleeves/
https://www.facebook.com/patrice.caillet.37
https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=10012
Interview de Patrice Caillet réalisée en 2010 et publiée dans le fanzine Abus Dangereux face 114, été 2010
Idée très originale de rassembler dans un livre des pochettes de disques (45T, 33T, CD) customisées par les propriétaires du disque.
Vous recevez en cadeau un 45T de Patrick Juvet et voilà qu’une envie soudaine, nerveuse ou naturelle, vous prend de dessiner au stylo Bic sur les cheveux, de déchirer le titre de la chanson, de coller des œillets sur les yeux et de mettre du blanco sur le sourire éclatant de la photo de la pochette. Bref vous avez saccagé (ou amélioré !) le support du vinyle. Même topo, votre disque a perdu sa pochette, et vous avez l’idée lumineuse de découper dans le catalogue de La Redoute ou dans le papier peint de votre chambre (sic), le support qui protègera votre rondelle de vinyle. Et bien si vous avez des regrets de votre « sale » besogne et que vous jetez votre « œuvre » à la poubelle ou sur la table du vide-grenier communal, sachez que « votre » pochette peut finir entre les mains de Patrice Caillet.
Ce garçon (qui a fait les beaux-arts à Bordeaux) collectionne les pochettes de disques refaites ou modifiées par des inconnus, soit une forme d’art brut revu et corrigé appliqué au packaging du disque. Avec « Discographisme récréatif », l’idée de Patrice Caillet est de faire un travail « documentaire et assemblagiste » de ses trouvailles aux grès des glanages dans les vide-greniers (depuis 1996). Cela a déjà donné des expositions et un premier volume, sorti en 2005 aux Éditions Bricolage, qui contient une sélection de la collection de Patrice Caillet avec une approche artistique, à savoir une petite réussite originale du « concepteur » de la pochette.
Dans le second volume, sorti en 2009, aux Ed. Bricolage/En Marge, les pochettes présentées sont pour certaines extraites de sa collection, pour d’autres reçues par des personnes qui ont entendu parler de sa passion, suite à la parution du premier volume. Donc pour rester dans l’art brut, c’est un peu comme les voisins/passants qui fournissaient à Picassiette de la vaisselle cassée pour continuer son œuvre. L’autre particularité de ce second volume est le parti-pris de ne pas s’attacher (à l’inverse du précédent) à la beauté de la pochette. On peut donc trouver parmi les 205 pochettes sélectionnées, une des Chaussette Noires découpée dans un magazine qui représente des chaussons, même topo pour Elvis Presley (écrite à la main), mais là c’est la photo d’un ordinateur + l’imprimante (?). Celui de Coutin pour le titre "J’aime Regarder Les Filles" est pas mal non plus, ce sont des photos de la série TV Dynastie. Dans un autre style, Frédéric François se retrouve transformé avec la magie du tipex en chanteur des Sex Pistols. Quant à la pochette Big Bisous de Carlos, elle a servi pour dire « Je suis chez M. Nicot, à tout à l’heure, M. Noëlle ». Ainsi, juste un gris-gris, une déchirure, ou un texte mal écrit ont suffi à séduire Patrice Caillet pour faire figurer la pochette dans le livre. D’autre part les pochettes des Rolling Stones, Beatles, The Cure, Demis Roussos, Sheila, Jimi Hendrix, Bob Dylan, Kraftwerk, Annie Cordy sont totalement transformées et souvent méconnaissables. Heureusement qu’une liste des noms et des titres des disques figure à la fin du disque pour s’y retrouver !
Mais laissons maintenant la parole à Patrice Caillet, ce collectionneur de pochettes griffonnées.
Tu as été dans une école d’art. Qu’y as-tu appris qui te serve aujourd’hui ?
On apprend toujours, à l’école, comme ailleurs. Je viens d’un milieu plutôt ouvrier, peu familier de l’art contemporain. Aux Beaux-Arts, j’avais l’occasion et un peu de temps de faire mes propres projets, (enfin approximativement). Ce temps était généralement utilisé pour ne pas aller à l’école. Je m’étais construit une cabane avec des palettes, un store, un tourne disques. Avec ça, une portière de R12, une copine habillée en mariée ils m’ont quand même donné mon diplôme, mais de justesse.
Suite à ton passage dans une école d’art (avec ce que ça comporte d’académisme), tu te retrouves à présenter des disques griffonnés par la personne lambda. Comment et pourquoi cette dérive?
Ce n’est pas une dérive de l’art vers ce qui serait du non art, c’est sensiblement la même chose. Ou si l’on considère que ça n’en est pas, c’est aussi intéressant.
Qu’est ce qui te plait dans ce support détourné (la pochette de disque), jusqu’à les exposer et en faire deux livres?
C’est un peu long à expliquer. D’une manière générale, peu nombreux sont ceux qui se risquent à intervenir sur la surface immaculée d’un bien de consommation et les pratiques de collection excluent toute intervention sur l’original: l’image commercialisée, inébranlable icône, est considérée comme finie. La personnalisation la plus fréquente, souvent dans une perspective utilitaire, consiste à apposer sa signature sur la pochette ou à y inscrire une dédicace, la date ou le lieu d’achat du disque ; c’est là un premier acte d’appropriation. Cependant, l’intervention peut être plus aventureuse : sentiments intimes, signes d’attachement débridés affichés en toute liberté sur une icône pop d’occasion, le temps d’une chanson, ou réactions épidermiques de dérision à l’égard de « modèles », transgressant les conventions et les usages consuméristes ».
As-tu rencontré des auteurs de pochettes, notamment lors de tes expos?
Pas spécialement lors des expos mais plutôt sur des vides greniers, ce sont parfois de belles rencontres.
Décris nous une de tes plus belle pièces, ou celle qui tes la plus chère au cœur?
Toutes ont une histoire. Il faut passer un peu de temps à regarder et faire des hypothèses. Je suis aussi très heureux de celles fabriquées par mes mômes.
Tu possèdes combien de pochettes? Sont-ils mélangés avec tes disques non customisés?
Je n’ai pas compté, mais j’en ai beaucoup. Nombreux sont rangés avec mes disques, car ce sont avant tout des disques à écouter. J’aime beaucoup de « genres musicaux » par exemple de la musette, du rock’n’roll, du reggae, du punk-rock, de la musique électronique, du free jazz, du gros ka, du kikuyu (Kenya) en ce moment. Toutefois pour le deuxième livre plusieurs personnes m’en ont donné ou prêté: Jean-Pierre Adrien Penaguin de Castaing (Rocka Rolla), Yves Cochinal, Bruno Lagabe (opération Kangourou) qui en fabrique aussi depuis des années avec ses enfants, Pierre Olivier Leclerc de Sofa à Lyon qui les collectionne aussi… Je voudrais citer aussi mon ami Sébastien Favre, qui nous a quittés en début d’année. Il m’a donné des disques dont les pochettes ont été reproduites dans le livre : par exemple les Who Doctor Doctor page153. C’était un grand Monsieur et un sacré loustic qui a organisé des centaines de concerts à Paris, avec son cœur et sans regarder à la dépense.
Suite à la parution du 1er livre, quelles ont été les retombés?
Ce livre parle à tout le monde, pas spécialement aux amateurs d’art, ou de musique. Tout le monde a éprouvé ce genre de chose, même un griffonnage sur un magazine TV.
Tu as eu des articles dans la presse japonaise, preuve que ton travail s’est bien exporté. Tu dois être satisfait que ton travail soit reconnu?
Il est bien que ces créations sortent des lieux ou elles ont été abandonnées, de l’intime, pour être montré. Le livre est le moyen le plus simple, mais il manque toutefois le son !
Trouves-tu encore des disques de ce type dans les vides greniers ?
Bien sûr, mais c’est toutefois assez difficile, car en réalité, peu de personnes se risquent à modifier un support qui pour certains est aussi un objet de consommation.
Quand tu vas à l’étranger, tu recherches aussi des disques customisé, ou tu restes cantonné à la France, avec des textes écrits en français?
Celui des Beatles, « œil beatles », m’a été rapporté par un ami de Bolivie et j’ai trouvé Boogaloo sera Mali à Dakar.
Quelle a été ta démarche/ton approche dans le second volume vis à vis du précédent?
La même. C’est aussi un assemblage, agencé subjectivement, comme un found footage au cinéma, avec une certaine lecture « éventuelle » possible en « stereographie ».
Aujourd’hui à l’époque MP3, la conception de la pochette (encore plus la pochette du tube 45t) est en mode de disparition. Quel est ton avis sur cette mort annoncée (du moins à grande échelle, car du coter indé, il restera toujours des artisans pour éditer des disques à 200 exemplaires)?
Là je te renvoie à mon texte dans le bouquin: « Depuis les années 1980-1990, les interventions semblent plus restreintes. Il est indéniable que le boîtier cristal du CD et la généralisation du « numérique » découragent toute intervention. Mais peut-être est-ce aussi le fait d’une appréciation souvent « clinique » de la représentation actuelle. Ou, à l’inverse, cela traduit-il un effet de saturation, conséquence d’une opulence des images à l’ère de la sur médiatisation? De plus, la viabilité d’un produit culturel étant d’autant plus limitée que son usage « se doit » d’être sans cesse renouvelé, l’appropriation deviendrait, à l’image du « tube de l’été », à la fois instantanée et éphémère. On peut toutefois supposer que la copie de CD, le téléchargement et la popularisation des outils d’infographie participent d’un nouvel engouement pour le « bricolage » (« do it yourself ») ».
A ton avis qu’est ce qui passe par la tête d’une personne pour dessiner sur la pochette? Car un fan du disque, de la chanson (même sans être fétichiste) ne va pas à priori dessiner sur la pochette.
Sous l’influence de chansons sentimentales, les marques d’affection, les souvenirs de rencontre, les déclarations d’amour ou de rupture sont des plus fréquents. Des sentiments personnels se font jour: confessions intimes, témoignages de moments de vie particuliers, liés à l’écoute d’un morceau de musique. L’usage conventionnel du disque se trouve prolongé, par une appropriation totale de son support, dans une relation devenue intime et concrète le temps d’une chanson.
Comme tu es sur le sujet depuis 1996, as-tu une théorie, un classement sur le type de personnes (sexe, âge, milieu social, comportement, raison du « délit ») qui ont griffonné sur les pochettes?
En effet j’ai pensé à établir une étude plus poussée, ou un classement. Ces images amateurs se font l’écho d’une expérience concrète du « banal », que l’on peut replacer dans une histoire de l’iconographie populaire avec ses référents sociaux, économiques ou culturels. Il est vrai que sur un plan sociologique, ou même anthropologique, ça pourrait être intéressant. Mais à quoi bon rendre trop clinique quelque chose qui se situe à l’opposé ? Un montage d’images trouvées peut également signifier beaucoup sans trop de blabla.
Ces 45 tours renvoient à l’art brut, aux habitants qui transforment leur environnement…
J’aime l’art brut, j’avais même rencontré Michel Thévoz à Lausanne. Mais à l’inverse de l’art brut, ces créations se situent dans la consommation de masse. Ce sont des re-créations, il y a un modèle, un original à s’approprier ou à modifier.
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