vendredi 16 avril 2021

GANJA & HESS de Bill Gunn (Capricci) – 6 avril 2021


"Le film afro-américain le plus important produit depuis Sweet Sweetback’s Baadasssss Song." Telle est l’accroche qui est écrit sur la jaquette du combo Blu-ray/DVD édité par Capricci. C’est une surprise de voir le film Ganja & Hess réalisé en 1973 par Bill Gunn (1934-1989) sortir aujourd’hui au rayon vidéo, car là on touche au film de « niche », totalement obscur du grand public. En France ce film n’est pas sorti en salle, mais par contre il a fait partie de la sélection Semaine de la critique au Festival de Cannes édition 1973, mais l’accueil des critiques fut mitigé, par contre Joséphine Baker était présente dans la salle, elle a beaucoup appréciée le film. A noter que Ganja & Hess est le seul film américain de la sélection. Par la suite ce film n’a même pas été publié en vidéo par chez nous que cela soit en VHS ou en DVD. Ainsi la sortie de ce combo issu d’une restauration MOMA/Film Foundation est en quelque sorte une belle exclusivité. 


En allant faire un petit tour sur le site internet de Capricci, on constate que la maison édite des livres sur le cinéma, dont la collection Capricci Story avec ses livres format poche (10.5 x 19cm) consacrés aux acteurs de cinéma (Robert Mitchum, Joan Crowford, Bruce Lee, Marlon Brando, Mel Gibson, Bill Murray, Marlène Dietrich). J’ai eu de bons retours sur la qualité d’écriture de ses mini biographies. Du côté DVD, les films édités sont dans le style cinéma d’auteur, d’art et d’essai. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir Ganja & Hess rejoindre les publications de Capricci, car ce film hybride est un mélange de blaxploitation, d’horreur, d’expérimental psychédélique mystique, une approche visuelle de la nouvelle vague à la J.L. Godard et du film d’auteur indépendant stylé Ingmar Bergman. Si vous ne recherchez que de l’horreur qui tache, que de la blaxploitation d’action funky, vous risquez d’être sur votre faim, par contre côté cinéma d’auteur expérimental sous trip hallucinogène et mystique, vous ne serez pas déçu de l’expérience visuelle et sensorielle de ce film unique en son genre. La comparaison de l’accroche avec le film culte de Melvin Van Peebles est valable, car il y a entre ces deux films, le côté immersion envers les personnages porté par leurs démons.


En 1973, cela fait déjà depuis deux ans que le cinéma stylé Blaxploitation fait un carton au fox office. Juste quelques titres de films à succès : Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, Shaft, Les nuits rouges de Harlem, Les nouveaux exploits de Shaft, Shaft in Africa, Meurtre dans la 110ème rue, Le Casse de l’Oncle Tom, Black Caesar, le parrain de Harlem, Super Fly, Black Gun, Trouble Man, Coffy la panthère noire de Harlem, Dynamite Jones, Blacula.


Dans ce contexte, le réalisateur noir Bill Gunn qui a réalisé pour la major Warner le film Stop (il ne sortira pas en salle, car il est classé X) est approché par le distributeur Kelly-Jordan Enterprises qui veut son carton black au box-office en surfant sur le succès du film à petit budget Blacula. Bill Gunn accepte le deal de réaliser un film de vampire, mais au lieu de faire un film avec les codes du genre, il va faire un film avec ses codes à lui. Bill Gunn étant dramaturge, acteur, scénariste, écrivain, il a notamment écrit plus de 29 pièces de théâtre et des romans, il est clair (sic) que Bill Gunn est plus un auteur intellectuel, qu’un réalisateur de film de genre destiné au grand public. Ainsi, malgré la présence de l’acteur Duane Jones (dans le rôle principal d’Hess) qui a joué dans le film La Nuit des morts-vivants réalisé en 1968 par George A. Romero, Bill Gunn réalise un film d’auteur plutôt perché qui demande de l’attention, sinon c’est la perte de contrôle. L’image est granuleuse, la narration n’est pas fluide, certaines séquences sont brutes, abstraites, comme si la pellicule se mettait à tourner dans le vide. La musique composée par Sam Waymon (il est le frère de Nina Simone) accentue l’effet d’abandons sous trip avec ses sons et mélodies qui mélangent illumination cosmique façon Sun Ra, avec des chants gospels, soul et des rythmes vaudou (1). Avec un tel mix, il est clair que le distributeur n’est pas satisfait. A noter que Sam Waymon joue aussi dans le film, il a le rôle du pasteur bien en prise avec Dieu et Jésus-Christ. 


Le film sort dans une salle à New York, mais vu l’accueil des critiques, il est rapidement retiré de l’affiche. Les producteurs, Heritage Enterprises, qui veulent récupérer leurs gains, vont réaliser un, puis deux montages sous les titres Blood Couple et Double Possession pour surfer sur les deux films à succès du moment, Blacula de William Clain et L’Exorciste de William Friedkin. Ces versions sont amputées de 20 minutes avec des rajouts de scènes non validés par Bill Gunn. Ces scènes permettaient de mieux comprendre l’histoire/la narration, faisant ainsi un film nettement moins expérimental, mais avec plus de sexe et d’horreur. Bill Gunn a fait supprimer son nom au générique sur ces deux versions qui ont circulé pendants de nombreuses années. De son côté il a gardé sa version qu’il a déposé au MOMA de New York. Cette version est présenté dans le combo Blu-ray/DVD.


Synopsie du film : "Alors qu’il fait des recherches sur un peuple africain antique, l’anthropologue Dr Hess est frappé d’un coup de dague cérémoniale par son assistant qui se suicide peu après. Hess se découvre alors une addiction au sang humain. Lorsque Ganja, la femme de l’assistant, arrive chez lui, elle trouve le corps et entame avec le Dr Hess une étrange relation de mort, de sang et de douceur lascive."

Il suffit juste de lire la synopsie pour deviner le potentiel « hallucinogène » du film. Les acteurs Duane Jones -Dr Hess- (1936-1988) et Marlene Clark (Ganja) sont parfais pour interpréter leur rôle qui demande de l’énergie et de la folie. Leurs jeux seraient top à voir sur une scène de théâtre pour un spectacle de danse dans la ligné de Bill T. Jones. Quant au rôle de l’assistant, c’est Bill Gunn qui interprète ce personnage. Voilà, vous avez les éléments en mains pour regarder ce faux film blaxploitation et vrai film d’art et essai.

En 2014, Spike Lee réalise un remake nommé Da Sweet Blood of Jesus. Je n’ai pas vu le film, mais dans les bonus du combo, le journaliste Jean-Baptiste Thoret n’en dit pas du bien, c’est pour lui un film raté.


Justement coté bonus, Capricci nous a gâté avec un documentaire enregistré en 2006 lors d’une diffusion du film au Posteritati à NYC. Ce documentaire contient une interview du producteur Chiz Schultz et du monteur Victor Kanefsky. Ensuite une interview d’une heure avec Jean-Baptiste Thoret (boss de la collection Make My Day !) qui revient sur le contexte du film et porte plusieurs pistes de lectures pour comprendre le film, notamment l’ordre du nom des personnages dans le titre. Il est d’ailleurs intéressant de revoir le film après avoir écouté sa critique. Le 3ème bonus est un commentaire de Joseph Ghosn (ex journaliste des Inrocks, a écrit un livre sur Sun Ra et La Monte Young édités chez Le Mot et le Reste) sur la BO du film composé par Sam Waymon. Enfin un livret de 16 pages avec des documents d’archives, dont une tribune écrite par Bill Gunn suite à l’accueil mitigé de son film au Festival de Cannes. La tribune a été publié dans le New York Times daté du 13 mai 1973 sous le titre "Etre un artiste noir".


(1) La BO a été publiée en vinyle lors du Disquaire Day en 2018 par le label Strange Disc Records distribué par Light In The Attic, et en CD avec huit titres en bonus et un livret sur le label Howlin’ Wolf Records.


https://capricci.fr/wordpress/product/ganja-hess/






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