En octobre 2020, le groupe français Palo Alto publie un magnifique album titré Difference And Competition. Il fait partie de mon TOP 25 de l’année 2020. L’album tourne tellement en boucle dans mon lecteur CD, qu’une envie de les interviewer me trotte dans la tête. Grace à Julien, l’attacher de presse du groupe, je récupère le contact de Philippe Perreaudin. Il accepte mon interview par mail. Me voici partie en ce début du mois de décembre 2020, à préparer des questions et l’inspiration étant au rendez-vous, j’en trouve 26. Par chance, Philippe étant lui aussi très inspiré me répond avec des réponses très détaillées, faisant ainsi une interview fleuve. Comme les quatre pages parues en hiver 2021 dans le fanzine Persona n°14 n’ont pas suffi à retranscrire l’intégralité (mais qu’importe, le support papier restera toujours le meilleur confort pour lire un sujet, donc l'achat de ce n° est plus que recommandé- https://www.personaedition.com/product-page/persona-n-14-hiver-2021-), voici la versions intégrale sans coupures. Vous n’êtes pas obligé de tout lire d’une traite, vous pouvez faire une pause à mi parcourt pour fumer une clope, écoutez à tête reposer un album de Palo Alto, ou passer un coup de fil à votre chéri(e).
Photo @ Loeiza Jacq
Palo Alto est un groupe Français parisien qui existe depuis 1989. Dans le petite monde de la musique industrielle, expérimentale et cold « made in France » des années 80, Palo Alto fait partie des groupes références, tout comme, Clair Obscur, Complot Bronswick, End Of Data, Vivenza, Pacific 231, Le Syndicat, Vox Populi !, Etant Donnés, Nox, Déficit Des Années Antérieures aka DDAA et Ptôse, deux groupes avec lesquels Palo Alto a réalisé un split album.
Le groupe est composé de Jacques Barbéri (saxophone, effets), Philippe Perreaudin (synthétiseur, programmations, boite à rythme) et Laurent Pernice (basse, synthétiseur, percussions). En octobre 2020 Palo Alto a publié son 10ème album nommé Difference And Competition. La particularité de ce long forma est qu’il sort à l’occasion du 30ème anniversaire du groupe et c’est un hommage au groupe Soft Machine et au philosophe Gilles Deleuze, (le sous-titre du LP utilise les mots « Musical Evocation of Gilles Deleuze »). Laissons Philippe Perreaudin nous parler de ce nouvel album, mais avant, revenons avec lui sur les 30 ans du groupe.
Avec votre nouvel album, vous fêtez vos 30 ans de carrière. Comment avez-vous fait pour être encore là aujourd’hui en 2020 ? Quand on compose une musique qui aime (je trouve) la marge , ce n’est pas trop dure de continuer à « produire » des disques ?
Je ne sais pas ce que tu entends précisément par « musique qui aime la marge ». En dehors des sentiers strictement commerciaux de certaines « maisons de disques », il existe des milliers de propositions artistiques. Nous faisons partie de ces propositions. Nous traçons une route sans nous soucier des enjeux et impératifs commerciaux. C’est peut-être cette démarche que tu nommes « la marge ». Totalement libres, hors radar, donc sans pression, sans obligation de « rentabilité » ou de résultat. Et nous devons préciser que cet album a bénéficié d’un important soutien financier de la Fondation Stin’Akri. C’est le premier projet de cette jeune fondation créée en 2019 sous l’égide de la Fondation de France. Alors non, dans ces conditions ce n’est pas dur de continuer à sortir des disques.
Vous arrivez à vivre de votre musique où vous avez un travail salarial à côté ?
Personne ne vit grâce au groupe, nous avons tous une ou des activités à côté. A notre niveau, il faut travailler sur plusieurs projets parallèles pour espérer vivre de la musique. Mais « vivre » de la seule activité « Palo Alto » n’a jamais été un objectif, alors tout va bien.
Vous pouvez en quelques mots nous raconter comment est né le groupe, la rencontre des membres et pourquoi le choix du nom Palo Alto ?
Nous pourrions presque dire que le groupe est né en partie grâce à Michel Sardou. Au milieu des années 80, Denis Frajerman et moi faisions de la musique chacun de notre côté, sans nous connaitre. Une amie commune nous a mis en contact et nous avons commencé à travailler ensemble. En duo guitare / batterie durant quelques mois, puis en trio avec un altiste qui ratait parfois les répétitions pour, entre autres, rejoindre les séances studio de Sardou. Lorsque cet artiste a quitté le groupe, Frajerman et moi avons recherché des musiciens via une petite annonce déposée chez certains disquaires parisiens. Jacques Barbéri (saxophone) et Philippe Masson (clarinette) ont répondu à l’annonce. Le quatuor a immédiatement fonctionné, artistiquement et humainement. L’un de nos premiers morceaux s’intitulait Palo Alto. La sonorité de ce nom nous plaisait. Les références à la Silicon Valley, la péninsule de San Francisco et à l’école du même nom nous plaisaient également. Palo Alto est finalement devenu le nom du groupe. Je précise qu’à l’époque, aucun groupe ne portait ce nom. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et cela pose quelques problèmes d’homonymie, notamment sur les plateformes de streaming.
Quand je vois la liste des groupes français qui pourraient avoir des points communs avec vous (Clair Obscur, Vivenza, Pacific 231, Le Syndicat, Die Form, Etant Donné, Nox, DDAA…), j’ai l’impression que vous êtes des résistants, les derniers à trouver sur la longueur d’une carrière, encore du souffle pour créer, en plus avec beaucoup de talent, la preuve avec le nouvel album Difference and Repetition. Où puisez-vous cette énergie ? Et que pensez-vous de ses groupes qui split, qui n’ont plus, voire très épisodiquement une actualité avec la sortie d’un disque ?
Nous ne nous voyons pas comme des résistants. Et je ne parlerais pas « d’énergie à déployer » mais de simple « envie de continuer ». Les groupes que tu cites sont certes moins actifs que dans les années 80 / 90 mais certains existent encore (DDAA par exemple). Et les musiciens qui faisaient vivre ces groupes sont, pour certains, toujours actifs. Sous leur nom ou leur pseudonyme (Marc Hurtado, Ruelgo, Gérome Nox…), parfois avec de nouveaux projets (Christophe Demarthe avec Cocoon). J’ai, à titre personnel, beaucoup de respect et d’admiration pour cette scène française, groupes et artistes. Ce n’est pas un hasard si je me suis occupé de plusieurs projets de réédition d’albums de Ptôse, Un Département ou The Grief.
Avant de parler de votre actualité, j’aimerais que vous nous racontiez quelques anecdotes sur le milieu rock indus et expérimental du milieu des années 80 aux années 90, les infrastructures/réseaux étaient comment ?
Nous avons commencé à la fin des années 80, au même moment que la création des Etablissements Phonographiques de l’Est (NDLR : disquaire parisien avec une petite salle de concert au sous-sol qui a existé au début des années 90. Les membres du groupe Sister Iodine y travaillaient de temps à autres. Pour plus d’info ici avec le documentaire réalisé par Yves-Marie Mahé : https://lightcone.org/fr/film-10944-les-etablissements-phonographiques-de-l-est ). Ce lieu parisien ouvrait mais, paradoxalement, les infrastructures et réseaux historiques du milieu indus / expérimental commençaient à s’éteindre. Les émissions de radio, les fanzines, les démarches DIY, les labels de cassettes (V.I.S.A, Aspect d’une certaine industrie…) également. La scène indus / expérimentale française s’essoufflait et ses musiciens passaient petit à petit à l’électro. Parallèlement, des formations plus « pop-rock / new wave romantique » émergeaient. La fameuse Touching Pop avec Little Nemo, Mary Goes Round, Asylum Party. Dans cette période en pleine mutation, nous avions un peu de mal à trouver des contacts. Pas assez rock ou pas assez new wave pour les uns, pas assez indus ou trop « musique nouvelle » pour les autres, etc. C’est finalement le label italien Old Europa Cafe qui a sorti notre premier album sous forme de cassette. Mais il y a eu d’autres rencontres importantes à cette époque. Philippe Bertramo (Dépendance continue), Kristian Dernoncourt (TTICC Contingent) et bien sûr Didier Gibelin du label Organic qui a sorti notre premier CD et plusieurs autres projets jusqu’à la fin des années 90.
Dans les milieux indus, il y a eu des groupes ambigus, qui semaient une certaine inquiétude envers le nazisme, l’extrême droite et les régimes totalitaires, à travers des textes et les visuels. Je pense à Death In June, Boyd Rice/NON, Laibach -du début-, Whitehouse et d’autres qui s’amusaient avec l’imagerie médicale (projection d’opération chirurgical lors des premiers concerts de Throbing Gristle). Que pensez-vous de ces démarches « artistique »?
Les démarches et motivations de ces groupes sont sans doute toutes différentes. Je n’ai pas à les interpréter ou à les juger. Elles sont parfois liées à des mouvements ou groupes artistiques plus large que la musique. C’est le cas pour Laibach avec le Neue Slowenische Kunst et pour Throbbing Gristle avec COUM. Qu’il s’agisse de l’imagerie totalitaire, médicale, ou pornographique, toutes ces démarches reposent sur la transgression, une composante essentielle de la « culture industrielle » et, plus largement, de l’histoire de l’art.
Depuis le début de votre carrière, les titres de vos instrumentaux sont en français et le texte des chansons/ambiances vocaux sont également en français. Vous n’avez pas été tenté d’abuser de la langue anglaise ? Quel est votre rapport avec les mots de notre langue ?
Nos titres sont en effet souvent en français mais ce n’est pas un choix délibéré. C’est sans doute lié au fait que nous aimons jouer avec les mots et que cela est plus facile pour nous avec le français qu’avec d’autres langues. La présence d’un écrivain dans le groupe doit jouer également. Jacques Barbéri a écrit plusieurs textes ou adaptations pour Palo Alto. Sinon, je ne pense pas que les membres du groupe aient des références communes marquantes en matière de paroliers ou d’auteurs français mais à titre personnel j’aime les textes de Jean Fauque ou Boris Bergman pour Bashung, ceux de Christophe, de Brigitte Fontaine.
Votre K7 Le cassette : Alive Anthologie (sortie 1997) est très intéressante, car c’est le témoignage de concerts joués dans des petits lieux associatifs, dont certains ont fermés leurs portes il y a bien longtemps. Quelques mots sur cette K7 (édité à combien d’exemplaire ?). Pas de projet de le rééditer sous un autre forma ?
Le label A Contresens nous avait invités sur l’une de ses compilations au début des années 90. Puis, quelques années plus tard, ce même label nous a proposé de sortir une cassette. Le titre est un clin d’œil à l’album du groupe Un département intitulé Le album. Nous ne connaissons pas le tirage mais il est certainement très faible. Nous aimons bien cette cassette et il a déjà été question de la rééditer. Le projet a été mis de côté mais pas abandonné.
En 1997 vous éditez en CD-R des archives de la période de 1989 à 1992. Une K7 live d’anthologie suivi d’une compilation d’archives, que c’est t-il passé entre 1997 et 2003 ? Une envie de faire un bilan ?
1997 est une année charnière pour Palo Alto car c’est le départ de l’un des membres, Philippe Masson. Nous avons eu beaucoup de mal à finir l’album que nous étions en train d’enregistrer cette année-là (Le Disque dur) car des tensions assez fortes existaient au sein du groupe. Au début des années 2000 nous avons créé Halte aux Records !, notre propre label. La première référence est en effet un disque d’archives intitulé Asphodèles De L'asphalte : Archives 1989-1992. Il ne s’agissait pas de faire un bilan mais de sortir des titres qui, pour différentes raisons, étaient restés inédits.
En parlant « public », avez-vous une idée des profils du public qui vous suit, soit depuis le début, soit par parcimonie ? Vous communiquez comment avec lui pour annoncer votre actualité ? Votre méthode de com, de vos débuts à ce jour ?
Les profils sont divers, car en 30 ans nous avons abordé différents styles. Nous sommes en contact avec quelques personnes. C’est lié au fait que nous communiquons facilement nos coordonnées depuis le début. Dans les années 80 / 90 nous donnions notre adresse et notre numéro de téléphone dans les disques et dans les fanzines. Aujourd’hui les personnes peuvent nous contacter par mail. Les fanzines ont quasiment disparu et notre actualité passe principalement par les réseaux sociaux. Nous sommes également en train de refaire entièrement notre site Web car le précédent semble avoir été absorbé par le trou noir de Schwarzschild.
En 2017 vous avez réalisé Phantom Cosmonauts, un split album avec le groupe Ptôse. Vous pouvez nous parler de ce projet et plus particulièrement du groupe Ptôse, car on a très peu d’info sur eux. Ils sont aussi mystérieux que les Residents. Enfin, quel est l’avantage d’un split album ? Vous pouvez aussi nous parler de la présence de Blaine L. Reininger au violon sur le morceau Ludmila ?
Nous souhaitions depuis plusieurs années réaliser un album sur la théorie des cosmonautes fantômes (selon laquelle des cosmonautes soviétiques seraient morts dans l’espace avant le vol de Gagarin) et sur les frères Achille et Giambatista Judica-Cordiglia, deux radioamateurs italiens ayant prétendu avoir capté et enregistré des communications de missions spatiales soviétiques secrètes dans les années 60. L’idée était venue en 2007 suite à la diffusion d’un documentaire qui leur était consacré sur Arte. A l’époque, Jacques Barbéri, par ailleurs écrivain, avait participé à ce projet en publiant un livre associé au documentaire (Les années Spoutnik chez Naïve / Arte éditions). Nous avons proposé ce sujet à Ptôse sous la forme d’un split album et ils ont accepté. J’étais en contact avec eux depuis longtemps pour des projets de réédition, mais nous n’avions jamais sorti de projet commun. Le split album était la forme idéale pour ça. Chacun donne sa vision du sujet sur une face. J’aime assez ce format bicéphale. Je me souviens avoir beaucoup écouté le split Guernica / Berrurier Noir au début des années 80, ainsi que celui qui réunissait MKB et Lucrate Milk. L’album Phantom Cosmonauts marquait également le retour de Ptôse après 30 ans d’absence puisque leur précédent disque datait de 1986. Ils ont souvent été comparés aux Residents par rapport à leur musique, mais ils sont beaucoup moins mystérieux que le groupe californien sur leur identité. Le groupe, originaire de Niort, est composé de deux frères, Benoit et Lionel Jarlan. Ils sont également connus pour avoir créé Ptôse Production Présente, l’un des labels cassettes français les plus créatifs des années 80 (NDLR : Dans le fanzine Persona n°15 printemps 2021, il y a une interview de Ptôse sur 4 pages). Quant à Blaine L. Reininger, nous sommes en contact avec lui depuis 2006. J’avais, à cette époque, contacté les membres de Tuxedomoon pour leur demander l’autorisation de réaliser un album tribute (Next to Nothing sur Optical Sound). Au moment de l’enregistrement de Phantom Cosmonauts nous étions à nouveau en contact avec eux pour la réédition augmentée de leur premier album (Half-Mute sur Crammed Discs). Nous avons eu l’idée de proposer à Blaine de participer à l’un des titres de notre nouvel album et il a accepté.
Même question, mais avec DDAA en 2009 pour la réalisation de l’album Cinq Faux Nids Six Faux Nez. Quelques mots sur cette collaboration avec ce groupe mystérieux.
Cet album est né de la volonté du fanzine toulousain Douche froide d’enfermer DDAA et Palo Alto dans un studio pour un week-end d’improvisation débridée. Nous sommes donc partis en Normandie, dans le célèbre « Souterrain scientifique » du Déficit Des Années Antérieures. Toutes les séances ont été enregistrées, archivées, mais le disque est sorti grâce à l’opiniâtreté de Jacques Barbéri qui a eu le courage d’écouter l’intégralité des bandes pour réaliser le travail de dérushage auquel personne ne voulait se coller. L’album a été publié 5 ans après les enregistrements. Le titre du disque (Cinq Faux Nids Six Faux Nez) n’est rien d’autre qu’un jeu de mots Lacanien dont nous sommes assez fiers. Je ne pense pas que l’on puisse dire que DDAA soit un groupe mystérieux. Il est composé de Jean-Luc André, Jean-Philippe Fée et Sylvie Martineau Fée. Ils sont actifs depuis la fin des années 70 et ont créé Illusion Production, un label arty très important dans la galaxie de « l’underground musical en France » (pour reprendre le titre de l’excellent livre d’Éric Deshayes et Dominique Grimaud).
On arrive à votre actualité, l’album Difference And Repetition. Vous pouvez nous raconter l’origine du projet, comment le concept autour du philosophe Gilles Deleuze vous est venu ?
Tout a commencé avec un titre de 20 minutes que nous avions composé pour la compilation Rien Ni Personne. Nous avons finalement donné une version plus courte au concepteur de la compilation mais la version longue nous plaisait et elle nous a donné l’idée et l’envie de composer un double album vinyle de 4 titres. Un titre par face donc. Notre modèle pour ce type d’album est le Third du groupe anglais Soft Machine. Et plus globalement les « concepts albums » des 70’s. Quant à Deleuze, nous aimions assez l’idée que « le philosophe des concepts » fasse lui-même l’objet d’un concept-album. Pour la petite histoire je précise que le morceau de 20 minutes qui est à l’origine du projet n’a finalement pas été retenu car sa structure et son ambiance étaient trop différentes de celles des 3 morceaux qui ont été composés par la suite. Nous avons donc finalement composé un 4e morceau.
L’album contient 4 morceaux. Sur chacun des morceaux il y a un invité de renom. Vous pouvez nous parler du choix des artistes en fonction des morceaux ? Comment s’est déroulé le plan de travail ? L’album a pris combien de temps pour grandir, murir pour enfin avoir l’apparence d’un double disque vinyle et CD ?
Dès le début du projet, l’idée d’avoir un invité par face s’est imposé. Mais nous avions une exigence : 1 invité / 1 instrument. Pas question d’avoir deux guitaristes par exemple. Nous avons alors contacté des artistes que nous connaissons et apprécions. Richard Pinhas (guitare), Thierry Zaboitzeff (violoncelle), Alain Damasio (voix) et Rhys Chatham (trompette). Le titre de la face 4 contient également une participation du quintette vocal Les Bottines. Ce projet a été développé sur 3 ans, de 2017 à 2019.
L’album est maintenant disponible, grâce notamment au label Sub Rosa et le distributeur Differ-Ant. Déjà, vous pouvez nous dire le choix pour ce label plutôt bien côté, c’est eux qui ont pris contact avec vous ? Et qu’attendez-vous niveau accueil (médias, public) envers l’écoute de l’album ? Pensez-vous pouvoir toucher avec cet album le jeune public ?
Nous connaissons bien et apprécions le catalogue du label Sub Rosa depuis leurs débuts en 1984. Il nous semblait que notre nouveau projet collait totalement avec leur ligne éditoriale. C’est pour cette raison que nous leur avons proposé. Il est toujours difficile de prédire l’accueil d’un album mais les premiers retours médias sont plutôt bons et le disque bénéficie d’une bonne distribution et d’un bon travail de promo.
Quand je regarde votre discographie, je constate que vous avez sortie des K7, CD, CD-R, mais très peu de disque vinyle. Quelle en est la raison ?
Nous avons commencé en 1989 et à cette époque, la production de vinyles était quasiment à l’arrêt. Le CD, arrivé au début des années 80 et démocratisé au milieu de ces mêmes années était en plein essor. Nous sommes des amoureux du vinyle et le retour de ce support depuis quelques années ne peut que nous réjouir. Le premier titre de Palo Alto gravé sur vinyle est notre participation à la compilation Coilectif - In Memory Ov John Balance And Homage To Coil, en 2006.
Toujours en inspectant votre discographie, je constate que vous avez édité vos disques sur de nombreux labels. Pourquoi tant d’infidélité ? Sub Rosa sera la bonne maison pour la suite des 30 prochaines années ?
Nous n’avons pas d’obligations contractuelles avec tel ou tel label. Et nos projets peuvent être musicalement très différents les uns des autres. Les labels ont souvent des lignes éditoriales précises et nous ne rentrons pas toujours dans les cases. Du coup nous cherchons toujours le label le plus adapté au projet en cours. C’est le cas avec notre nouvel album, totalement en phase avec le catalogue Sub Rosa. Mais je ne suis pas sûr qu’ils nous suivent si nous décidons de sortir un album de Folk Metal l’année prochaine.
Photo @ Loeiza Jacq
Une question un peu conne, qu’elle est votre définition du mot « Improvisation » ?
Vaste sujet. Il existe plusieurs types / méthodes d’improvisation mais Palo Alto en pratique essentiellement deux : l’improvisation libre, ou totale, qui consiste à s’affranchir au maximum des règles et contraintes de la composition, de la préparation et de l’écriture, et l’improvisation semi-dirigée qui permet d’improviser sur une structure (généralement électronique en ce qui nous concerne) préexistante. Ensuite, nous pouvons traiter le résultat à nouveau de deux façons. Ne rien toucher, ne rien soustraire ou rajouter et simplement mixer. Ou utiliser le résultat comme un matériau brut, une base que nous allons retravailler en studio en gardant / supprimant / enrichissant certains passages. Ces deux méthodes sont radicalement différentes car dans le premier cas nous conservons la spontanéité et la complicité du moment, comme une photographie non retouchée, alors que dans le second, nous utilisons le matériau improvisé comme une potentielle base de composition. Pour nous, l’improvisation est donc avant tout un excellent moyen de tester / expérimenter en toute liberté.
Est-ce que vous êtes un groupe plutôt « studio » ou plutôt concert « live » ? Aux cours de votre carrière, vous avez fait de nombreuses tournées ou concert unique/évènementiel ? Quel est l’endroit le plus insolite dans lesquels vous avez joué ?
« Studio » VS « live » ? Nous aimons les deux approches en fait. Nous sommes donc plutôt « Docteur Palo et Mister Alto ». Docteur Palo peut passer des heures en studio à travailler un son, un effet, un détail et Mister Alto peut partir en improvisation totale sur scène en privilégiant l’énergie du moment. L’endroit le plus insolite dans lequel nous ayons joué est sans doute un plateau installé en plein air devant la tour d’extraction du Puits Morandat à Gardanne. Un décor industriel parfait. Il s’agissait d’un concert privé, donné pendant le diner de gala d’un congrès. Nous devions jouer un set « lounge » durant l’apéritif et un set plus électro pour faire danser les congressistes après le dessert. Un excellent souvenir.
Justement, si en 2021, la pandémie le permet, y aura-t-il des concerts pour jouer l’album Difference and Repetition, complété par des morceaux pour marquer le coup des 30 ans du groupe ?
Oui, nous avons le projet de jouer l’album complet en concert, avec les 4 invités. Pas simple à organiser en ce moment car nous devons caler les agendas des uns et des autres, monter une résidence pour préparer le set et trouver quelques dates pour le faire tourner un peu. Mais nous y travaillons.
Pour une personne qui ne connait pas votre musique, votre univers artistique, comment la décrieriez-vous pour lui présenter votre/vos style(s) musicaux ?
Décrire de la musique avec des mots est un exercice délicat et parfois contreproductif. Et je ne suis pas certain que les artistes soient les mieux placés pour parler de leur musique. Je veux dire qu’il peut parfois y avoir un fossé entre l’intention du musicien et la perception de l’auditeur. Donc nous proposerions à la personne qui ne connait par notre musique de l’écouter et de se faire sa propre opinion. C’est très simple aujourd’hui grâce au streaming, et bien plus efficace qu’un exposé abscon.
Photo @ Loeiza Jacq
Pour finir l’interview, une question à Laurent Pernice. Depuis le début de Palo Alto, vous jouez avec parcimonie dans ce groupe et aujourd’hui en 2020 vous êtes à pleins temps sur les 4 morceaux de l’album. Vous retrouvez Jacques Barbéri et Philippe Pereaudin, qui font partie de la forme historique du groupe. Comment avez-vous intégré Palo Alto, votre rôle, d’autant que vous avez une carrière solo bien remplis et de nombreuses collaborations, sans oublier le groupe Nox.
LP : Ah, il m'en a fallu du temps pour les convaincre de m'accepter dans leur groupe. Plus sérieusement, ça s'est fait assez naturellement, vu que comme vous le dites, je n'ai quasi jamais cessé de jouer avec eux. Dernièrement, c'est vrai que vu la tonalité plus électro que prenait le groupe et vu que Denis Frajerman s'éloignait peu à peu de cette tendance, ma présence a été de plus en plus "nécessaire". Vu que j'ai mon propre "studio", mon rôle consiste à enregistrer les parties de chacun, à les éditer (choisir les meilleurs passages) et à mixer le tout. Tout ça avec l'écoute attentive (je dirais même pointilleuse concernant Philippe Perreaudin) du groupe. Et oui, j'ai de nombreux projets, mais c'est normal, comme je suis intermittent du spectacle, je suis payé par Pôle-Emploi pour développer plusieurs axes de travail. C'est le cas d'à peu près tous les intermittents. Ça permet de se consacrer à des œuvres pas forcément rentables en terme financier mais très respectables en terme artistique. C'est toujours ce que j'ai privilégié. Je reste toujours une "tête chercheuse".
PHP : Laurent Pernice fait totalement partie du line-up de Palo Alto depuis 8 ans. Il travaillait régulièrement avec nous auparavant mais apparaissait en guest dans les crédits. Il décrit principalement un travail de producteur dans sa réponse mais cela est selon moi très réducteur. Son apport est majeur sur ces aspects (enregistrement, editing, mixage) mais il est également totalement présent dans le processus créatif des différents projets.
Enfin, à titre personnel, comme j’étais un grand fan de NOX, que j’ai vu à plusieurs reprises en concerts (jusqu’à à aller au Mans pour la fameuse soirée avec Test Dept et Legendary Pink Dots), Laurent, j’aimerais que vous me disiez quelque mots sur votre expérience avec ce groupe singulier et hors norme ? Enfin, pourquoi ont-ils splitté ? Vous êtes toujours en contact avec eux ?
LP : J'ai un très bon souvenir de cette période. Sans doute une des plus heureuses de ma vie, même si au début surtout je n'avais quasi pas d'argent pour vivre. J'ai vécu un an en dormant à droite à gauche chez les amis, et en faisant des petits boulots. Mais c'était artistiquement une grande période à Paris. Même si on était très "méchants" sur scène, on passait notre temps à rigoler de tout et de rien. Et on cherchait sans arrêt des nouvelles façons de faire de la musique (comme le faisait Palo Alto et tous les groupes de cette époque). Dans le cas de Nox, c'était l'énorme énergie qu'on déployait, d'une puissance hors du commun, qui nous servait de moteur. On a splitté sans même s'en apercevoir, peu à peu. Cécile était de plus en plus accaparée par ces projets d'art vidéo ; moi par mes projets musicaux persos. Il ne restait plus que Gérôme Nox et Laurent Perrier. Mais le groupe Nox tenait beaucoup par le tandem Gérôme Nox/Cécile Babiole. Une fois ce tandem disloqué, ça ne pouvait pas tenir longtemps. Enfin c'est mon ressenti, peut-être ont-ils une autre vision des choses ? Et oui, on est toujours en contact. Cécile s'est quasi installée à Marseille ces derniers temps. Laurent vient régulièrement passer quelques jours chez moi. Et à une semaine après on a failli se retrouver cet été tous les quatre à Marseille où Gérôme est descendu exceptionnellement. C'est toujours des gens que j'aime beaucoup.
Photo @ Loeiza Jacq
Chronique de l’album Difference And Repetition ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2020/10/palo-alto-difference-and-repetition-sub.html
https://www.facebook.com/paloalto.frenchband/
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