Après avoir publié son premier album Cerf, Biche et Faon sur 2000 Records, ses deux albums suivants sur Bord Bad (rejoignant ainsi la face pop qualité France du label avec Dorian Pimpernel, François Virot, Forever Pavot), Julien Gasc publie son nouvel et quatrième album studio sur le jeune label parisien Corps Double. Re Eff est la deuxième référence de Corps Double, la première étant l’album Dans les yeux d’Iris de Bernardino Femminielli et Brad Cerini (1). Soit un bon début, pour les amateurs de pop raffinée à la française teinté de library music (= Serge Gainsbourg, Françoise Hardy, Christophe, Alain Chamfort, Etienne Daho). Ainsi comme un nouveau chalenge, un point de départ, Julien Gasc met en lumière Corps Double dans le paysage indé français et nous propose avec Re Eff, dix nouvelles chansons dans un style intimiste qui n’appartient qu’à lui.
Pochette de l’album @ Sébastien Trihan
Ici pour Re eff, comme pour ne pas se retrouver seul face à la page blanche et seul devant le miroir (photo recto-verso de la pochette), Julien Gasc a utilisé comme mode de travail, la technique du cut-up, créé à la fin des années 50 à Paris par William S. Burroughs (1914-1997) et Brion Gysin (1916-1986), suivi de la publication en janvier 1960 du livre Minutes to Go. Le cut-up consiste à créer un texte à partir de morceau de textes/mots mélangés ensemble, donnant ainsi avec en partie le jeu du hasard, d’autres phrases. Pour que cela reste un minimum compréhensible, poétique, littéraire, l’artiste, selon son inspiration, son talent, saura en faire un texte qui a un début et une fin et pas seulement un patchwork de mots qui n’ont aucun sens entre eux. Ainsi l’artiste auteur, compositeur, interprète, Julien Gasc a découpé des textes issus de sa collection de livres (espérons que ce ne sont pas des livres rares.), mais aussi des textes inachevés, puis il les a mélangés entre eux. D’où le titre de l’album Re pour réitération/répéter et Eff pour effacement. Le résultat donne dix beaux textes, reproduits à la main sur la pochette intérieure du disque. L’assemblage des mots a donné des chansons où le thème de l’amour, les gestes tendres envers l’être aimé sont très présent. C’est sûrement ce qu’il y a de plus important sur cette terre, car une vie sans amour, c’est une vie de perdue ?
Photo @ Lebruman
L’album s’ouvre avec une invitation: «Tu ne sais pas où vivre viens, viens chez moi à La Paz, il y a de la place, et même si, la maison est construite sur une fosse commune, on y dort très bien on y dort très bien» (La scie de la vision moderne). Il y a de l’amour, de la vie, mais aussi la mort avec le morceau Délivrance. Le chant de Julien Gasc est posé, tendre et très mélancolique. Pour accompagner sa voix d’homme, de poète triste, la musique légèrement bossa, jazzy est mélangée avec des notes de piano néo-classique, des arrangements chatoyants stylés BO de film «Nouvelle Vague», où l’on imagine voir un couple Un homme et une femme, se promener le long d’une plage sur la côte normande. De nombreuses voix féminines, comme échappées d’une composition de Francis Lai ou Michel Legrand, accompagnent la voix douce de Julien Gasc, donnant aux compos un parfum d’éveil matinal, une tonalité feutrée qui permet de se laisser porter par le collage des textes issus du cut-up aléatoire. Il est clair que Re Eff est sûrement l’album le plus intime, le plus personnel de Julien Gasc. Quand on écoute ces 10 nouvelles chansons, on a l’impression qu’il est là, juste à côté de nous, tant sa présence vocale est forte, car frontale, sans artifice de studio, du moins c’est l’impression ressentie. Comme l’album d’un, d’une artiste folk, la musique de Julien Gasc possède une force fragile qui touche au plus près des sentiments, de l’âme. Re Eff est un bel album, auquel sa présence est tout l’inverse d’une musique d’ambiance (easy listening), tant elle est bien là, elle marque son territoire avec style. Julien Gasc confirme avec Re Eff qu’il fait partie du top de la pop/chanson française de notre époque.
Photo @ Olia Eichenbaum
Julien Gasc sera en tourné à partir du 24 septembre (dont le 25 septembre en première partie de The Dears à La Boule Noire à Paris) suivi de plusieurs dates en Europe en première partie de Stereolab.
(1): Chronique de l’album Dans les yeux d’Iris ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2022/09/bernardino-femminielli-et-brad-cerini.html
https://juliengascofficiel.bandcamp.com/?label=2607645069&tab=artists
https://www.facebook.com/juliengascmusic
https://www.facebook.com/corpsdoublerecords
Le 11 mars 2020, au Café de la Danse à Paris, à la même affiche que Superbravo pour la soirée Fraca !!!, j'ai pris une belle claque, face à la prestation du funambule/poète/chantant Julien Gasc. Quelques jours plus tard, au tout début du confinement, j’ai envoyé par mail des questions à Julien Gasc, qui venait de sortir l’album L’Appel De La Forêt (Born Bad). L’interview a été publiée dans la revue/fanzine Persona n°13 automne 2020. Les trois pages de Persona n’ont pas suffi à publier l’interview en entier, je vous propose ci-dessous en bonus, les passages qui n’ont pas été imprimés sur le beau papier du fanzine.
Couverture de Persona n°13
Tu as commencé à jouer de la musique et à chanter dès ton plus jeune âge ?
J’ai commencé à jouer de l’harmonium chez mes grands-parents maternels vers quatre, cinq ans, un soir, mon grand-père m’a dit de l’emporter avec moi, puis j’ai commencé les cours de piano dans la foulée, j’ai eu mon premier piano à six ans. Dans le même temps mon père et moi, on imitait les groupes et les chanteurs qu’on écoutait, on se marrait bien.
C’est JB (boss de Born Bad) qui a mis en chantier le projet Moonshine avec toi, Forever Pavot et Dorian Pimpernel ? D’ailleurs il y a un autre disque de prévus avec Moonshine ?
Alors je ne sais plus très bien comment tout ça a commencé, c’était une période faste avec Aquaserge et je jouais beaucoup en solo. Le processus a été long, on a été en production pendant un an en bossant de manière plutôt décousue. Nous nous sommes tous vus pour enregistrer les uns chez les autres, ensuite on a tout mis en commun au studio Solaris à côté du Père-Lachaise. Je me souviens qu’il y avait un son énorme, que nous avons bien ri. On a évoqué l’idée de faire le Moonshine Vol.2 il y a pas longtemps avec Emile Sornin et Dorian Pimpernel. On verra suivant nos plannings, j’espère qu’on va pouvoir faire ce disque tous ensemble, cette formule marche bien.
Pochette de l’album "Cerf, Biche et Faon" (2013)
Ton premier album Cerf, Biche et Faon, a été enregistré sur un quatre pistes à cassette. Tu peux nous en dire plus sur ce choix DIY assez « économie de moyen » ?
La musique sort de nulle part. J’avais ce quatre pistes que mon pote Bruno Persat m’avait filé, j’avais sélectionné deux, trois micros, nous avions plein d’instruments, quelques copains passaient parfois à l’improviste, j’avais l’ordinateur de l’Electric Mami Studio (le studio d’Aquaserge) et la console d’enregistrement Studer pour ripper mes sessions et faire du rerecording, j’ai fait, je ne me suis pas posé de questions. Je compose avec les moyens du bord. Si on a une console Neve, comme ça a été le cas sur l’enregistrement de L’Appel De La Forêt, c’est le top, si je n’ai pas ça, je me débrouille, chaque expérience est différente.
Ça peut parfois tirer, on ne se ménage pas toujours, les nuits peuvent être longues en tournée, ou lors des enregistrements. Je produis des disques, je ne me pose pas de question au sujet de la temporalité, ça vient naturellement sans forcer, je me remets à écrire quand j’ai assez tourné et contemplé. Il y a un temps pour contempler et un temps pour produire, c’est un cycle naturel, comme celui des saisons.
Tu arrives à vivre de ta musique, ou bien, tu es obligé de faire des petits boulots alimentaires ?
Je fais des concerts, des résidences, des enregistrements en studio, je suis intermittent du spectacle et je reçois mes droits d’auteur-compositeur.
Pochette de l’album "L’Appel De La Forêt" (2020)
Le visuel des pochettes de tes albums solo est très différent d'un album à l'autre, il n’y a pas d’unité visuelle. Comment se passe la conception de tes pochettes ?
Il n’y a pas vraiment de formule. Concernant le graphisme, sur le premier disque, j’ai travaillé avec Catherine Hershey, j’ai trouvé un portrait photo qui avait été pris par Julie Guez à Brooklyn lors de la visite de l’atelier de mon ami Matthew Gribbon, Catherine a mis en page la photo, a choisi la typographie, la couleur, ça nous a pris une petite heure. Depuis Kiss Me You Fool !, je travaille avec Sébastien Trihan, l'histoire de cette pochette a d'ailleurs été une sacrée épopée, j'ai dû envoyer deux photographes pour prendre des clichés dans les toilettes des femmes du pub Princess Of Wales qui est à côté du studio où nous enregistrions à Londres, Sébastien s'est occupé de refaire le vectoriel des images, ça a été long. Pour L’Appel de la Forêt, j’ai rencontré l’artiste plasticienne Sophie Vendryes. Nous avons eu une discussion sur l’intemporalité qu’elle cherchait dans les formes et moi dans la musique. Un jour, elle a eu un flash sur l’agate violette du Brésil, ensuite elle a esquissé les silhouettes de deux corps, puis a peint une série d’aquarelles. Il y a en tout une douzaine d’épreuves sur papier, on a pris le temps de choisir les deux qui nous paraissaient être les meilleures. D’ailleurs, si des collectionneurs sont intéressés, il en reste quelques-unes à acquérir, vous pouvez aller voir sur https://www.sophievendryes.com/. Je trouve que la pochette de L'Appel De La Forêt propose un ailleurs, je la trouve fascinante, elle révèle toujours de nouvelles interprétations.
Photo @ Cayo Scheyven
Si vous désirez commander le n°13 et les autres n° (il y en a 20) de Persona, c’est ici : https://www.personaedition.com/
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