samedi 5 juin 2021

BARBARA : 1966 - 2021

Portrait de Barbara © ph Niko Shiva

La fée Barbara nous a quitté le mardi 25 mai 2021 pour rejoindre un autre monde, qu’on espère en paix et le meilleur possible. Elle a rejoint les figures du Père Lachaise le vendredi 4 juin 2021. Je connais Barbara depuis 1990, nous avons partagé ensemble la passion de la musique, des expositions, des objets trouvés au hasard des vides greniers, les balades, escales pour découvrir le monde qui nous entoure, des balades pour rencontrer des artistes d’art brut qui ont transformé leur environnement, les fêtes et soirées entre amis. Oui, beaucoup de fêtes avec beaucoup d’amis pour des nuits blanches avec des gueules de bois à la clé. Son sourire, son énergie, sa joie de vivre, ses habits de couleurs vont me manquer. Pour lui rendre un hommage, voici une interview que j’ai réalisé en 2008 pour le fanzine d’art brut Zon’ Art (n°20 - automne/hivers 2008) et le site foutraque.com,  pour qu’elle me parle de sa passion pour la décoration. Barbara était une artiste, qui avait transformé son petit studio parisien en un monde peuplé de personnages enchanteurs des bois, des forêts et des contes imaginaires. En 2015, elle va quitter ce studio, -après avoir retiré et emballé la "déco" dans du papier bulle et "re-moderniser" l'appart pour le vendre-, pour un plus grand studio avec un petit jardin. Ce sera de nouveau avec passion qu’elle va décorer ce nouveau lieu de vie qu’elle va partager avec son mari Matt.


Bienvenue dans le petit monde féerique de la pétillante et lumineuse Barbara. Notre artiste habite à Paris dans le quartier branché de la rue Oberkampf (connu pour ses nombreux bars et restos). Là, retiré et presque caché de l'activité urbaine, dans une petite cour en pavés (ou se trouve d'anciennes écuries Napoléoniennes), se trouve au premier étage d'un immeuble le petit appartement de 15 m² de Barbara. Si la surface n'est pas très grande, par contre le talent de Barbara pour avoir décoré et recomposé l'espace est infini et étonnant. Mais laissons notre artiste nous faire visiter son univers.

Quel a été le déclic, le point de départ, le premier élément de la décoration de ton appart' ?
A 20 ans j’ai tout d’abord collectionné et peint une multitude de petites figurines en plomb issues en grande partie du jeu de rôle Donjons et Dragons. Ensuite j’ai créé un décor pour mettre en scène ces figurines dans un paysage Heroic Fantasy. Puis le vrai point de départ de ma décoration actuelle fût une sorcière réalisée artisanalement (tête et mains en résine et corps en panne de velours et autres étoffes) que l’on m’a offerte pour mes 23 ans. Elle était le premier élément d’une longue série. Plus tard, suite à une longue déprime à mes 35 ans, j’ai ressenti le besoin d’échapper à la vie réelle et de me réfugier dans mon monde intérieur. J’ai donc créé un univers autour de ces personnages fantastiques pour me retrouver dans un petit cocon me permettant de rêver et de me transporter dans un monde étrange.


Quels sont les éléments/objets que l’on trouve dans ton œuvre décorative ?
J’ai commencé par collectionner les sorcières, puis j’ai étendu le champ de mes acquisitions à d’autres personnages légendaires (elfes, lutins, -korrigans, farfadets, hobbits, gnomes-, trolls, sirènes, dragons, licornes, pégases...…). J’ai fait cohabiter tous ces petits êtres avec des oiseaux, des insectes (papillons, coccinelles, abeilles, sauterelles…) et beaucoup d’autres bestioles (grenouilles, escargots, tortues, hérissons, mulots, lapins, écureuils…) qui sont parfois montés par les lutins et par les fées. J’ai également installé les sorcières avec leurs animaux de compagnie favoris (chats, chouettes, crapauds, chauves-souris, rats…) et je leur ai cédé la cuisine comme laboratoire pour créer leurs potions magiques. J’ai donc mis en scène toutes ces créatures dans un univers magique et féérique. J’ai reconstitué une mini-forêt et installée de la verdure à foison (fougères, mousse, lierre, vigne, chardons, roseaux, joncs, nénuphars, glycine) et du bois (lianes, racines, branchages, ceps de vigne…). L’on trouve aussi beaucoup de raisins et plein d’autres fruits, des fleurs, des champignons de toutes tailles et de toutes formes. Ils ont d’ailleurs parfois un visage humain. J’ai également placé des fontaines et des petites maisonnettes faites de bois, de brindilles et de plantes séchées pour que mes petits invités puissent se réfugier et se désaltérer.
Outre tout cet univers issu essentiellement de la mythologie celtique et nordique, j’ai également conçu une atmosphère baroque. J’ai donc installé des étoffes, des perles, des lampions, des boules de verre... mettant en valeur des masques vénitiens, des bouffons, des anges, des soleils et des lunes aux visages humains. D’autres objets usuels mais néanmoins insolites par leurs formes (miroirs, luminaires, plumiers, fioles, bougeoirs, photophores, calices, carillons, horloges, coffrets, tableaux, portes encens, chaudrons, flacons, bocaux…) renforcent l‘ambiance ésotérique de mon petit espace de vie.


Ta source d’inspiration pour choisir les pièces ?
J’aime l'art sous toutes ses formes et notamment les expressions artistiques décalées comme le surréalisme, le psychédélisme, la littérature et le cinéma fantastique, l'expressionnisme allemand. J’apprécie notamment les formes organiques, les univers oniriques et fantasmagoriques. J’ai donc collectionné des objets magiques et des créatures fantastiques, puis j’ai créé une ambiance étrange et mystérieuse en m'inspirant des contes, des mythes et des légendes. Il est vrai que j’ai passé toutes les vacances de mon enfance dans l’Aveyron et dans ses alentours. Cette région a été très certainement une source d’inspiration très importante pour ma décoration. Elle est en effet restée très proche des paysages des contes de mon enfance, elle est encore sauvage et très verdoyante. De plus, elle regorge de châteaux médiévaux, d’églises romanes et de petits villages. Petite, j’étais déjà fascinée par les créatures mythologiques (Dragons, Licornes, Chevaux Ailés…), par les univers et les personnages étranges des contes : le Pays des Merveilles d’Alice, la Fée Clochette de Peter Pan, l’Ogre du Petit Poucet, les Loups du Petit Chaperon Rouge, le Haricot Géant de Jack, Merlin et la Dame du Lac des Chevaliers de la Table Ronde. J’étais d’ailleurs beaucoup plus enchantée par l’univers et la personnalité des sorcières de Blanche Neige et de Cendrillon que par les vraies héroïnes que je trouvais plutôt fades. J’étais également attirée par les décors et par les «monstres» étranges des anciens cirques, les clowns «Auguste» ne m’intéressaient guère. Plus grande, j’aimais les histoires diaboliques avec des Loups garous, Dracula, Frankenstein, Dr Jekyll et Mr Hyde. C’est ainsi que tout naturellement, dès mon adolescence, mes influences culturelles étaient issues du mouvement «Bad Cave» (aujourd’hui dit Gothique). Puis la lecture de contes et de légendes Celtiques et la vue de films tels que La Belle et la Bête de Jean Cocteau, Legend de Ridley Scott, Dark Cristal de Jim Henson et Franck Oz, La Compagnie des Loups de Neil Jordan n’ont fait que renforcer cette attirance pour ce monde onirique. Je dois dire aussi que j’affectionne particulièrement les périodes médiévale, baroque, victorienne et antique. Je suis également très sensible aux réalisations de l’architecte d’art nouveau, Antoni Gaudi et j’ai vraisemblablement dû être inconsciemment influencée par son œuvre. Notamment par La casa Balto pour les formes organiques, le ton et la mosaïque utilisés dans la décoration de ma salle de bain.


Où achètes-tu et où trouves-tu tes personnages, décors…?
J’ai trouvé mes premières sorcières dans une boutique de marionnettes à Paris. Puis c’est au cours de mes voyages dans des endroits cultivant encore traditionnellement ces mythes que je faisais mes recherches. C’est donc dans certaines régions de France (Alsace, Pays Basque, Bretagne…) et dans certains pays (Angleterre, Ecosse, Hongrie, Espagne, Hollande…) que j’arrivais à trouver ce type de personnages. Bien plus tard j’ai pu acquérir très facilement à Paris de nouveaux éléments dans une boutique spécialisée du 11ème arrondissement. Puis grâce à la mode d’Halloween qui a sévi quelques années dans notre pays, il fût aisé de trouver ces objets dans les stands de jardinage de l’Ile de la Cité, dans les confiseries et magasins en tous genres. En ce qui concerne les décors je me les procure dans des boutiques de déco et de jardinage comme le Marché aux fleurs de Rungis. J’adore également dénicher des meubles et des objets insolites dans les brocantes et vide greniers.


Quelle est la réaction des personnes qui ont vu ta déco ? Quelques exemples. Tes parents aiment ta déco ?
Au départ, j’étais assez étonnée par les réactions de mes invités qui sont certes toujours très surpris et très souvent émerveillés par cet univers. Ils observent ainsi tous les recoins en pensant qu’ils ne pourront jamais tout voir et ils me posent des questions qui reviennent souvent. Certains d’entre eux n’osent pas dormir seuls chez moi de peur d’avoir peur, ou ont l’impression d’étouffer et d’avoir parfois quelques étourdissements. D’ailleurs, 3 personnes un peu fatiguées se sont évanouies.
En ce qui concerne la réaction de mes parents, elle fût pour moi très surprenante car ils ont tout de suite aimé ma décoration et surtout ma mère qui pourtant m’a toujours trouvée trop excentrique et ne partage en rien mes goûts, ou presque. Elle fût d’ailleurs une des premières à penser que j’avais un vrai talent de décoratrice professionnelle.


Comment gères-tu ton espace concentré dans 15 m² ?
J’utilise beaucoup les murs ainsi que le plafond pour installer mes plantes grimpantes où elfes, sorcières s’entremêlent comme de la dentelle en formant un seul ensemble. Par ailleurs, j’ai optimisé tous les espaces et particulièrement les recoins en concevant des meubles sur mesure que mon père a réalisés. J’ai également un petit bureau à l’étage au-dessus qui me permet de gagner de la place. Néanmoins, je reste évidemment à l’étroit dans cet espace, de toutes façons restreint !

La vie de tous les jours dans un univers qui t’es propre, c’est un pur bonheur, ou parfois c'est trop difficile à gérer ?
Oui c’est un pur bonheur pour moi de vivre dans mon propre jardin intérieur. Néanmoins, même si la réalisation de cet univers fût une sorte de thérapie, maintenant il me rappelle une période négative de ma vie où je m’étais protégée en me repliant à l’intérieur de celui-ci. De plus, j’ai repris une vie sociale active et c’est parfois difficile à gérer, car j’ai sacrifié de la place, qui actuellement me manque cruellement pour recevoir confortablement des amis. D’ailleurs, en ce moment je songe à faire évoluer cette tanière en un espace d’échanges. Cependant, je ne veux surtout pas perdre l’esprit magique de ce lieu ! 


Tu veux rajouter quelque chose pour clore cette interview ?
A l’âge de 15 ans les aléas de la vie ne m’ont pas permis de suivre des cours de décoration pour en faire mon métier comme je le souhaitais. Cependant, c’est grâce à l’encouragement d’amis qui ont vu et apprécié la décoration de mon appartement, que je me suis lancée à 38 ans et que j’ai obtenu par le Greta des Arts Appliqués, une formation de décoration à l’École Boule. Depuis, j’ai pu réaliser mon premier rêve, car j’ai eu l’opportunité de créer des décors pour l’audiovisuel en tant que Chef Déco.
J’en profite pour remercier chaleureusement toutes les personnes qui m’ont donné ma chance en me faisant confiance en me permettant d'exprimer librement mon imagination !


1 commentaire:

  1. Merci Pascal d'avoir publier cet entretien en guise d'hommage.
    j'ai retrouvé quelques photos d'elle quand nous avions rendu visite à Bodan Litnianski. Il y a 20 ans peut-être.... C'est bien triste tout ça.... Jean-Michel

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