Portrait de Barbara © ph Niko Shiva
La fée Barbara nous a quitté le mardi 25 mai 2021 pour rejoindre un
autre monde, qu’on espère en paix et le meilleur possible. Elle a rejoint les
figures du Père Lachaise le vendredi 4 juin 2021. Je connais Barbara
depuis 1990, nous avons partagé ensemble la passion de la musique, des expositions, des objets
trouvés au hasard des vides greniers, les balades, escales pour découvrir le monde qui
nous entoure, des balades pour rencontrer des artistes d’art brut qui ont
transformé leur environnement, les fêtes et soirées entre amis. Oui, beaucoup de
fêtes avec beaucoup d’amis pour des nuits blanches avec des gueules de bois à
la clé. Son sourire, son énergie, sa joie de vivre, ses habits de couleurs vont
me manquer. Pour lui rendre un hommage, voici une interview que j’ai réalisé
en 2008 pour le fanzine d’art brut Zon’
Art (n°20 - automne/hivers 2008) et le site foutraque.com, pour qu’elle me parle de sa passion pour la
décoration. Barbara était une artiste, qui avait transformé son petit
studio parisien en un monde peuplé de personnages enchanteurs des bois, des
forêts et des contes imaginaires. En 2015, elle va quitter ce
studio, -après avoir retiré et emballé la "déco" dans du papier bulle et "re-moderniser" l'appart pour le vendre-, pour un plus grand studio avec un petit jardin. Ce sera de nouveau avec
passion qu’elle va décorer ce nouveau lieu de vie qu’elle va partager avec son mari Matt.
Bienvenue
dans le petit monde féerique de la pétillante et lumineuse Barbara.
Notre artiste habite à Paris dans le quartier branché de la rue Oberkampf
(connu pour ses nombreux bars et restos). Là, retiré et presque caché de
l'activité urbaine, dans une petite cour en pavés (ou se trouve d'anciennes écuries Napoléoniennes), se trouve au premier étage
d'un immeuble le petit appartement de 15 m² de Barbara. Si la
surface n'est pas très grande, par contre le talent de Barbara pour
avoir décoré et recomposé l'espace est infini et étonnant. Mais laissons notre
artiste nous faire visiter son univers.
Quel a été le déclic, le point de départ, le premier élément de la
décoration de ton appart' ?
A 20 ans j’ai tout d’abord collectionné et peint une multitude de petites
figurines en plomb issues en grande partie du jeu de rôle Donjons et
Dragons. Ensuite j’ai créé un décor pour mettre en scène ces figurines
dans un paysage Heroic Fantasy. Puis le vrai point de départ de ma
décoration actuelle fût une sorcière réalisée artisanalement (tête et mains en
résine et corps en panne de velours et autres étoffes) que l’on m’a offerte
pour mes 23 ans. Elle était le premier élément d’une longue série. Plus tard,
suite à une longue déprime à mes 35 ans, j’ai ressenti le besoin d’échapper à
la vie réelle et de me réfugier dans mon monde intérieur. J’ai donc créé un
univers autour de ces personnages fantastiques pour me retrouver dans un petit
cocon me permettant de rêver et de me transporter dans un monde étrange.
Quels sont les éléments/objets que l’on trouve dans ton œuvre
décorative ?
J’ai commencé par collectionner les sorcières, puis j’ai étendu le champ de mes
acquisitions à d’autres personnages légendaires (elfes, lutins, -korrigans, farfadets,
hobbits, gnomes-, trolls, sirènes, dragons, licornes, pégases...…). J’ai fait
cohabiter tous ces petits êtres avec des oiseaux, des insectes (papillons,
coccinelles, abeilles, sauterelles…) et beaucoup d’autres bestioles
(grenouilles, escargots, tortues, hérissons, mulots, lapins, écureuils…) qui
sont parfois montés par les lutins et par les fées. J’ai également installé les
sorcières avec leurs animaux de compagnie favoris (chats, chouettes, crapauds,
chauves-souris, rats…) et je leur ai cédé la cuisine comme laboratoire pour
créer leurs potions magiques. J’ai donc mis en scène toutes ces créatures dans
un univers magique et féérique. J’ai reconstitué une mini-forêt et installée de
la verdure à foison (fougères, mousse, lierre, vigne, chardons, roseaux, joncs,
nénuphars, glycine) et du bois (lianes, racines, branchages, ceps de vigne…).
L’on trouve aussi beaucoup de raisins et plein d’autres fruits, des fleurs, des
champignons de toutes tailles et de toutes formes. Ils ont d’ailleurs parfois un
visage humain. J’ai également placé des fontaines et des petites maisonnettes
faites de bois, de brindilles et de plantes séchées pour que mes petits invités
puissent se réfugier et se désaltérer.
Outre tout cet univers issu essentiellement de la mythologie celtique et
nordique, j’ai également conçu une atmosphère baroque. J’ai donc installé des
étoffes, des perles, des lampions, des boules de verre... mettant en valeur des
masques vénitiens, des bouffons, des anges, des soleils et des lunes aux visages
humains. D’autres objets usuels mais néanmoins insolites par leurs formes
(miroirs, luminaires, plumiers, fioles, bougeoirs, photophores, calices,
carillons, horloges, coffrets, tableaux, portes encens, chaudrons, flacons,
bocaux…) renforcent l‘ambiance ésotérique de mon petit espace de vie.
Ta source d’inspiration pour choisir les pièces ?
J’aime l'art sous toutes ses formes et notamment les expressions artistiques
décalées comme le surréalisme, le psychédélisme, la littérature et le cinéma
fantastique, l'expressionnisme allemand. J’apprécie notamment les formes
organiques, les univers oniriques et fantasmagoriques. J’ai donc collectionné
des objets magiques et des créatures fantastiques, puis j’ai créé une ambiance
étrange et mystérieuse en m'inspirant des contes, des mythes et des légendes.
Il est vrai que j’ai passé toutes les vacances de mon enfance dans l’Aveyron et
dans ses alentours. Cette région a été très certainement une source
d’inspiration très importante pour ma décoration. Elle est en effet restée très
proche des paysages des contes de mon enfance, elle est encore sauvage et très
verdoyante. De plus, elle regorge de châteaux médiévaux, d’églises romanes et
de petits villages. Petite, j’étais déjà fascinée par les créatures
mythologiques (Dragons, Licornes, Chevaux Ailés…), par les univers et les
personnages étranges des contes : le Pays des Merveilles d’Alice, la
Fée Clochette de Peter Pan, l’Ogre du Petit Poucet, les Loups du Petit Chaperon
Rouge, le Haricot Géant de Jack, Merlin et la Dame du Lac des Chevaliers de
la Table Ronde. J’étais d’ailleurs beaucoup plus enchantée par l’univers
et la personnalité des sorcières de Blanche Neige et de Cendrillon
que par les vraies héroïnes que je trouvais plutôt fades. J’étais
également attirée par les décors et par les «monstres» étranges des anciens
cirques, les clowns «Auguste» ne m’intéressaient guère. Plus grande, j’aimais
les histoires diaboliques avec des Loups garous, Dracula, Frankenstein,
Dr Jekyll et Mr Hyde. C’est ainsi que tout naturellement, dès mon
adolescence, mes influences culturelles étaient issues du mouvement «Bad Cave» (aujourd’hui
dit Gothique). Puis la lecture de contes et de légendes Celtiques et la vue de
films tels que La Belle et la Bête de
Jean Cocteau, Legend de Ridley Scott, Dark Cristal de Jim Henson et Franck Oz,
La Compagnie des Loups de Neil Jordan n’ont fait que renforcer
cette attirance pour ce monde onirique. Je dois dire aussi que j’affectionne
particulièrement les périodes médiévale, baroque, victorienne et antique. Je
suis également très sensible aux réalisations de l’architecte d’art nouveau, Antoni
Gaudi et j’ai vraisemblablement dû être inconsciemment influencée par
son œuvre. Notamment par La casa Balto
pour les formes organiques, le ton et la mosaïque utilisés dans la décoration
de ma salle de bain.
Où achètes-tu et où trouves-tu tes personnages, décors…?
J’ai trouvé mes premières sorcières dans une boutique de marionnettes à Paris.
Puis c’est au cours de mes voyages dans des endroits cultivant encore
traditionnellement ces mythes que je faisais mes recherches. C’est donc dans
certaines régions de France (Alsace, Pays Basque, Bretagne…) et dans certains
pays (Angleterre, Ecosse, Hongrie, Espagne, Hollande…) que j’arrivais à trouver
ce type de personnages. Bien plus tard j’ai pu acquérir très facilement à Paris
de nouveaux éléments dans une boutique spécialisée du 11ème arrondissement.
Puis grâce à la mode d’Halloween qui a sévi quelques années dans notre
pays, il fût aisé de trouver ces objets dans les stands de jardinage de l’Ile
de la Cité, dans les confiseries et magasins en tous genres. En ce qui concerne
les décors je me les procure dans des boutiques de déco et de jardinage comme
le Marché aux fleurs de Rungis. J’adore également dénicher des meubles et des
objets insolites dans les brocantes et vide greniers.
Quelle est la réaction des personnes qui ont vu ta déco ? Quelques
exemples. Tes parents aiment ta déco ?
Au départ, j’étais assez étonnée par les réactions de mes invités qui sont
certes toujours très surpris et très souvent émerveillés par cet univers. Ils
observent ainsi tous les recoins en pensant qu’ils ne pourront jamais tout voir
et ils me posent des questions qui reviennent souvent. Certains d’entre eux
n’osent pas dormir seuls chez moi de peur d’avoir peur, ou ont l’impression
d’étouffer et d’avoir parfois quelques étourdissements. D’ailleurs, 3 personnes
un peu fatiguées se sont évanouies.
En ce qui concerne la réaction de mes parents, elle fût pour moi très
surprenante car ils ont tout de suite aimé ma décoration et surtout ma mère qui
pourtant m’a toujours trouvée trop excentrique et ne partage en rien mes goûts,
ou presque. Elle fût d’ailleurs une des premières à penser que j’avais un vrai
talent de décoratrice professionnelle.
Comment gères-tu ton espace concentré dans 15 m² ?
J’utilise beaucoup les murs ainsi que le plafond pour installer mes plantes
grimpantes où elfes, sorcières s’entremêlent comme de la dentelle en formant un
seul ensemble. Par ailleurs, j’ai optimisé tous les espaces et particulièrement
les recoins en concevant des meubles sur mesure que mon père a réalisés. J’ai
également un petit bureau à l’étage au-dessus qui me permet de gagner de la
place. Néanmoins, je reste évidemment à l’étroit dans cet espace, de toutes
façons restreint !
La vie de tous les jours dans un univers qui t’es propre, c’est un pur
bonheur, ou parfois c'est trop difficile à gérer ?
Oui c’est un pur bonheur pour moi de vivre dans mon propre jardin intérieur.
Néanmoins, même si la réalisation de cet univers fût une sorte de thérapie,
maintenant il me rappelle une période négative de ma vie où je m’étais protégée
en me repliant à l’intérieur de celui-ci. De plus, j’ai repris une vie sociale
active et c’est parfois difficile à gérer, car j’ai sacrifié de la place, qui
actuellement me manque cruellement pour recevoir confortablement des amis.
D’ailleurs, en ce moment je songe à faire évoluer cette tanière en un espace
d’échanges. Cependant, je ne veux surtout pas perdre l’esprit magique de ce
lieu !
Tu veux rajouter quelque chose pour clore cette interview ?
A l’âge de 15 ans les aléas de la vie ne m’ont pas permis de suivre des cours
de décoration pour en faire mon métier comme je le souhaitais. Cependant, c’est
grâce à l’encouragement d’amis qui ont vu et apprécié la décoration de mon
appartement, que je me suis lancée à 38 ans et que j’ai obtenu par le Greta des
Arts Appliqués, une formation de décoration à l’École Boule. Depuis, j’ai pu
réaliser mon premier rêve, car j’ai eu l’opportunité de créer des décors pour
l’audiovisuel en tant que Chef Déco.
J’en profite pour remercier chaleureusement toutes les personnes qui m’ont
donné ma chance en me faisant confiance en me permettant d'exprimer librement
mon imagination !
Merci Pascal d'avoir publier cet entretien en guise d'hommage.
RépondreSupprimerj'ai retrouvé quelques photos d'elle quand nous avions rendu visite à Bodan Litnianski. Il y a 20 ans peut-être.... C'est bien triste tout ça.... Jean-Michel