Charlie O. @ ph. Philippe Lebruman
Depuis un an en France les lieux culturels sont fermés au public. Certes il y a eu une petite bouée de sauvetage pendant l’été 2020, mais c’était juste une lueur d’espoir pour mieux avoir la gueule bois. Si pour le public c’est dur de ne plus pouvoir sortir voir des spectacles pour s’instruire et oublier le quotidien « métro-boulot-dodo » (pour ceux qui ont la « chance » de pouvoir travailler), pour les artistes c’est encore plus dur de ne pas avoir de contact avec le public et bien sûr financièrement. En attendant la réouverture des salles, Charlie O. travaille sur une pièce de théâtre avec Vanille Fiaux sur un texte de Lydie Dattas, autour de Jean Genet, et il prépare avec Mohamed Lamouri des concerts en formation duo. Si le dieu des artistes le permet, des dates de concerts sont prévues pour l’été prochain. En attendant, je vous propose d’écouter la musique de Charlie O., notamment son album de noël nommé Marguerite (lien à la fin de l'article), qui permet de retrouver la bonne humeur et le sourire, et de lire une interview que j’ai réalisé en 2015. Elle a été publiée en parti dans le fanzine Abus Dangereux face 138 avril 2016 et sur foutraque.com.
Depuis une vingtaine d’années, Charlie O. se promène en France avec son orgue Hammond (modèle C3). Au fil des balades et des contacts, il rencontre des artistes de tous horizons : Jean Louis Costes, Erik M, Peter Van Poehl, Noël Akchoté, Philippe Katerine, Quentin Rollet, David Grubbs, Mendelso et beaucoup d’autres. Avec certains d’entre eux, il a fait des disques, des concerts et des soirées qu’on imagine arrosées au champagne. Car Charlie O. est un mec vraiment cool qui a beaucoup de classe. Avec lui on est sûr de passer un bon moment, et pourquoi pas de composer d’une façon improvisée de la musique libre. Alors que ce soit du jazz, du lounge, du swing, de l’expérimental, de l’électro, du rock, du cha-cha, ou de la salsa, avec Charlie O. tout est possible. Dès que ses doigts touchent son orgue, les fleurs s’ouvrent, les oiseaux chantent, les filles ont le sourire et les garçons veulent les embrasser. Bref le quotidien prend de la couleur. Son nouvel album a pour titre « Marguerite ». Il a été composé à Marseille sur l’orgue de l’église Sainte Marguerite. Le résultat est tout simplement un enchantement. Rempli d’émotion, de chaleur et d’instants enivrants (avec du vin béni), l’album « Marguerite » est prêt à nous accompagner pour les fêtes de fin d’année et plus. C’est justement l’occasion de mieux connaitre son parcours singulier.
À quel âge avez-vous commencé à jouer de la musique ?
Vos parents vous ont soutenu ?
Après avoir entendu les Toccatas et fugues de Bach par Marie-Claire
Alain, j’ai manifesté le souhait de jouer de la musique, et en l’absence de
cours d’orgue dans la région, mes parents ont acheté un piano. J’ai commencé le
conservatoire à huit ans, jusqu’à mes quatorze ans où mon attrait pour le jazz
a été trop fort. J’ai alors commencé à jouer dans des groupes, des ateliers
(avec le vibraphoniste Franck Tortiller), et n’ai plus arrêté depuis.
Vous avez commencé à jouer de l’orgue à l’âge de 21 ans. Qu’est-ce qui vous
a attirés vers cet instrument ? Qui sont les musiciens qui vous ont donné envie
de jouer de l’orgue Hammond ?
Mon premier disque incluait un morceau avec Teddy Buckner à l’orgue
Hammond, tout en block-chords, un swing colossal, reconnaissable entre tous. The
Cat de Jimmy Smith aussi est important pour moi. Quand j’ai vu un
orgue Hammond en vrai la première fois, j’ai eu le coup de foudre, le soir même
son propriétaire me disait qu’il en connaissait un à vendre. Le lendemain je
confirmais mon intérêt, et j’ai fait des piano-bars pendant un an pour me le
payer, c’est toujours celui-là que je déplace en concert. Chaque Hammond a un
son différent, cela les rend très attachants. Mon organiste préféré reste Eddy
Louiss, qui nous a quittés récemment, le plus mélodique de tous. J’ai pu
assister à une répétition (en cachette, il ne voulait pas être dérangé) pendant
trois jours avec son groupe, et il n’a pas joué une note qui ne soit pas
mélodique. Quel poète.
Vous pouvez nous parler du son de l’orgue Hammond ? Ce que cela vous procure
comme sensation quand vous faites des notes avec cet instrument. C’est aussi
(ou plus) sensuel que d’être auprès de « sa moitié » ?
Je ne pourrais me passer ni de l’un, ni de l’autre, mon cœur a deux amours.
Techniquement (concernant l’orgue), on a des possibilités très larges, en
adaptant son jeu et en tournant trois boutons, on passe du tango à l’électro,
au jazz, à une comptine, d’un son hurlant à un son très pur, d’une nappe à une
percussion, etc... Et si l’on commence à combiner ça avec des effets (des
filtres, des délais), c’est sans limite, il y a toujours de nouvelles choses à
trouver. Récemment pour une tournée, j’ai tenté de le remplacer avec une
imitation numérique, avec quand même une vraie cabine Leslie, en mettant le
paquet sur la qualité du son. Bon, on fait la tournée, tout le monde dit que ça
sonne bien et est content de ne pas porter le bestiau de 150 kilos. Mais le
premier concert où je reprends le vrai Hammond, tout le monde est à nouveau
d’accord, pour trouver qu’il n’y a pas de comparaison. Ce vieil instrument à
une dynamique, une profondeur, une chaleur que je n’ai jamais retrouvée
ailleurs, c’est particulièrement flagrant sur scène.
Depuis plus de 20 ans, votre carrière est parsemée de rencontres, de
collaborations très diverses. J’imagine que vous auriez du mal à vivre seul sur
une île. Parmi toute ses collaborations, qu’elle est celle qui vous tient le
plus à cœur ? Comment passe-t-on d’un électron libre et scato tel que Costes au
folk épuré de David Grubbs ?
De la même manière qu’un lecteur passerait de Sade, Genet ou Kerouac
à Hugo, ou de la littérature à la peinture, aux sciences, à la
gastronomie (liste non exhaustive), chacun est une facette du plaisir, ou
plutôt du besoin de création, une facette de l’intelligence humaine. En
pratique, tout est histoire de rencontres. Grâce en particulier au label Rectangle
de Noël Akchoté et Quentin Rollet, j’ai croisé nombre d’univers
singuliers, et tout s’organisait très naturellement en buvant des coups tard le
soir. J’ai toujours une tendresse particulière pour mon premier 45t, et mon
deuxième, et pour plein d’autres musiques avec Luigee Trademarq, que je
place donc : à la première place !
Nous allons maintenant parler de votre
nouvel album « Marguerite ». Pour ce disque vous avez joué sur un orgue
d’église. Vous pouvez nous parler de votre travail avec cet instrument hors
norme ? Comment l’avez-vous affronté et dressé ?
C’est plutôt moi qui me suis adapté à lui ! Ce gros machin, il faut lui parler
gentiment, comprendre comment il répond, pour arriver à le faire sonner un peu,
à faire résonner l’église, à jouer avec l’acoustique, avec tous ses échos
différents, sinon ça fait de la bouillie et c’est pénible. En plus ça change
avec la température, l’humidité, ce n’est jamais pareil. Ça doit se jouer au
niveau du cerveau, lui apprendre à analyser tous ces sons qui viennent de
partout pour guider les mains à avoir le bon geste, le bon tonus, les bonnes
longueurs de note, etc... Comme tous les instruments, c’est le travail d’une
vie.
Vous avez fait une résidence de 2 ans dans l’église Sainte-Marguerite à
Marseille. Vous pouvez nous parler de cette expérience ? Avez-vous joué lors
des offices religieux ? Comment le Père Louis et les gens de la paroisse ont
accueilli votre musique ?
Les gens de la paroisse m’ont été d’un grand support. Il y a des gens qui
viennent prier quand on s’entraine, et on n’est jamais sûr de ne pas être ennuyeux,
surtout quand on répète la même partition deux heures d’affilé. Eux m’ont
toujours offert le meilleur accueil, et ce qu’il faut de compliments pour me
donner confiance pour continuer. À Sainte-Marguerite les services religieux et
la pratique de l’orgue sont disjoints. Mais il m’est arrivé de jouer à des
mariages à l’église, et religieux ou pas, les mariages font souvent
d’excellentes fêtes !
L’album s’ouvre avec le titre « For Ever & Ever -Scoumoune- ». On trouve
aussi dans les instrumentaux des passages qui nous évoque les fonds marins, le
milieu où est mort en novembre 1975 François De Roubaix. Pourquoi cet hommage à
ce compositeur spécialisé dans la BO de films ?
En fait je lui ai emprunté une figure rythmique (3 croches en l’air à la main
gauche) qu’il utilise dans une version de La Scoumoune (excellent film
de José Giovanni avec JP Belmondo), qui inclut une intro avec une
lame de couteau, une boite à rythme avec le charleston trop fort, et un orgue Elka,
qui joue ces 3 croches en l’air en accords, et qui est très marrante. L’instrument
se prête tellement à ça, à aller chercher des paysages, des images. D’autres
références rendent hommage au jazz d’Errol Garner, aux mélodies
extraordinaires de Stevie Wonder, aux orgues de barbarie des foires, à
la musique orientale. L’avantage de cette commémoration, c’est qu’on a ressorti
plein d’archives, c’était un régal de les découvrir. Pour la musique
d’aquarium, ça doit être mon élément, j’ai d’ailleurs une mémoire de poisson
rouge. Plus sérieusement, avec la réverbération de l’église, c’est dur de faire
sec.
Dans l’album, il résonne comme un doux parfum de mélancolie. Avec des
souvenirs d’enfances, des bons moments passés avec la famille, les amis
(l’album aurait fait une belle BO pour le film d’Alain Cavalier « Le plein de
super »). C’est étonnant de sortir d’un instrument aussi volumineux, une
musique aussi mélancolique, presque intime. Vous pouvez nous parler de la
couleur musicale, l’ambiance que vous recherchiez pour construire cet album ?
Merci pour Le plein de super, c’est un super film ! Pour la couleur,
j’avais vraiment l’envie de faire un disque de bonne humeur, plus dansant que
sérieux. Avec des images de dessins animés, de contes, de fêtes, en grande
majorité. Dans le chaos ambiant, c’était mon choix. Après, l’album s’est construit
dans l’autre sens : je rêve depuis toujours de jouer sur cet instrument,
qu’est-ce que j’arrive à jouer ? En faisant des arpèges, des exercices, en
m’amusant, en essayant un peu tout, par-ci par-là il y avait un petit bout qui
sonnait bien, une jolie mélodie, une rythmique intéressante, que je mémorisais
dans mon téléphone. Au bout de deux ans, j’ai trié ce matériau, mis en forme,
structuré, pour que chaque morceau tienne debout, et évidemment que je puisse
jouer l’intégralité des morceaux en concert, comme je vais le faire le jour de
la sortie. Je remercie énormément le titulaire de l’orgue, M. André Rossi,
de m’avoir autorisé, et même encouragé à jouer sur cet instrument, qui est de
facture, de son moderne, mais de technologie old-school, comme une voiture de
sport Caterham pour ceux qui connaissent. Il n’a pas d’assistance pneumatique
ou électrique pour piloter les ouvertures de tuyaux, on a toute la sensibilité
au clavier, c’est plus agréable, plus rapide même si c’est pas très puissant.
Du coup les idées viennent plus facilement, on peut travailler des
micro-détails, c’est un régal. Évidemment les orgues plus complexes permettent
d’autres choses, mais pour débuter je pense que c’était idéal. Je suis
impatient d’essayer ces morceaux sur un autre orgue, voir comme ça peut sonner,
et probablement que cela me demandera quelques répétitions avant d’être
écoutable.
Dans la bio de l’album, il est évoqué au sujet des morceaux de : "13
petites esquisses". Dans le dico, l’esquisse est définie comme une ébauche,
une première forme. C’est ce que vous pensez avoir réalisé avec « Marguerite »
?
La plupart des morceaux reposent sur des idées musicales très simples, chacune
tient en quelques lignes, mais surtout sur une image que j’ai en tête, ou une
situation, une histoire. En Flanant, pour moi c’est un petit train de
dessin animé qui déambule dans la campagne en faisant des ronds de fumées, la
musique doit « marcher » sur cette vision. Regis Filiā orbi Consecratio
: le sacre du roi qui a perdu sa fille, tout est dans le titre. Après, chaque
auditeur se fabriquera sa propre image (ou pas), en tout cas ça m’aide à passer
de l’idée de base, à l’enregistrement, parfois deux ans après, et même pour les
rejouer. Donc oui, des petites peintures, plus qu’un croquis, moins qu’un
tableau. Sauf peut-être Ecclesiastes de Stevie Wonder, où la
mélodie est tellement belle qu’il n’y a qu’à la jouer pour que ça raconte toute
une histoire. Ce qui est bien quand on découvre un nouvel instrument, c’est
qu’on est en terrain vierge, on tâtonne, on explore, il y a beaucoup de déchet,
mais c’est très gratifiant quand on arrive à jouer quelque chose qui ressemble
à de la musique, qui rappelle un morceau, ou qui est juste joli.
Maintenant que l’album est dans les bacs, qu’est-ce que vous avez envie de
dire au public pour lui donner envie de l’écouter, de l’acheter ?
Qu’avec l’édition spéciale de Noël, avec un joli emballage, livré chez vous
avant les fêtes, ça fait un cadeau de Noël simple et original. Envoie depuis
mon site www.unbonweekend.com avec Paypal & co, et je le dédicace sur
demande avec grand plaisir, et l’expédie à l’adresse de votre choix.
En 1999 votre musique a été utilisée par John B. Root dans ses films pornos.
Aujourd’hui en 2015, vous créez votre musique dans une église. Le sexe et
l’église, même pas peur du mélange des genres ?
Je ne crois pas que je mélange justement. Ce n’est pas aux mêmes heures, aux
mêmes endroits, ou forcément avec les mêmes gens. Si je dois les défendre : les
arts érotiques sont pionniers en photographie, en cinéma, depuis les
décorations de poteries, la sculpture. Pour la musique, le patrimoine est
magnifique, il y a un grand espace de liberté pour l’accompagnement de l’image.
Et puisque l’émotion de la musique l’emporte sur celle des images, les musiques
que j’ai fait avec Luigee Trademarq pour John étaient toujours
dans un esprit positif, parce que ses films appelaient ça. Il réclamait aussi
bien de la Country-Western que du technoïde ou du Chopin, et c’est très
drôle à faire.
La question qu’on vous a surement posé des milliers de fois, votre nom
est-il un clin d’œil à Charly Oleg (1) ? Si oui, il vous connait, vous avez
joué ensemble ?
Pas encore, mais j’adorerais le rencontrer en tout cas, quelle classe il a ! Et
puis cette moustache ! Cela vient d’un spectacle de La Poésie B, le
premier où je jouais, où chacun avait un pseudonyme de théâtre (Chéri Papa
Disco, Dama d’Élefantasia, Dr Funkaphobia, etc). J’ai choisi Charlie O. ,
ça sonnait bien, aussi pour Charles Mingus et Charlie Parker. Puis
les gens ont commencé à m’appeler Charlie, et ça m’est resté.
Charlie Oleg ou pas, vous faites malgré tout de la musique d’ambiance,
notamment dans les festivals (style Sonic Protest) entre les groupes. J’aime
beaucoup ces moments qui nous permettent de nous détacher de l’enfilade des
concerts, de boire une mousse en se reposant la tête. J’aime votre côté
détendu. Cela me fait penser à Serge Gainsbourg derrière son piano en train de
jouer dans un club (voir le film « Strip-tease » de Jacques Poitrenaud). Vous
pouvez nous parler de votre approche quand vous jouez de la musique d’ambiance
?
Le grand avantage d’être ambianceur plutôt que concertiste, c’est la liberté.
On a plus le temps pour essayer des choses nouvelles, on peut chercher, il n’y
a pas la pression de maintenir l’attention de l’audience en continu. Il faut
contrôler le volume, assez fort pour les gens qui m’écoutent, mais pas trop, et
assez doux pour que le fond de salle puisque discuter tranquillement. Et la
première chose, c’est mettre de la bonne humeur, voire de l’électricité dans
l’air, mais éventuellement aussi de faire baisser le niveau si les gens se
mettent à parler trop fort. Pour un véritable concert, en solo, comme à
Sainte-Marguerite le 9 décembre, mon but sera de retrouver les couleurs de
l’album, le plus fidèlement possible. Et évidemment que les gens passent un bon
moment.
Charlie O. @ ph. Philippe Lebruman
Si vous avez des choses à évoquer, qui vous tiennent à cœur, et qui n’ont
pas été posées dans mes questions, c’est maintenant.
J’encourage tout le monde à voir le film A Journey Thru The Secret Life of
Plants, dont la BO est signée génialement par Stevie Wonder. Il
n’est jamais sorti officiellement, mais on le trouve en peer-to-peer en bonne
qualité (alors que youtube c’est affreux). Le sujet du film sera certainement
l’objet de discussions, mais le film reste magnifique, la narration entremêlée
de musique est tellement inventive, Stevie se met à poil en chantant
face à la caméra sans lunettes. Il y a des moments prodigieux dans ce film
étrange, mais surtout inconnu, qui compose le deuxième disque de Stevie
adulte, un double-album génial qui s’est très bien vendu (2). Vraiment, c’est à
voir, rien que pour la musique. En politique, rappelons que l’orgue à tuyau a
été introduit en France grâce à l’ambassadeur de l’empereur de Constantinople,
en cadeau à Pépin-le-Bref, père de Charlemagne.
(1) Pour rappel Charly Oleg était l’organiste de l’émission télé Tournez Manège ! diffusée le midi sur TF1 entre 1985 et 1993. Il a aussi fait un disque de noël avec le Professeur Choron
(2) Le double album The Secret Life of Plants, sorti en 1979 comporte deux singles, Send One Your Love et Outside My Window.
https://charlieo.bandcamp.com/
www.facebook.com/Charlie-O-10002989017/
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