L’actualité est chaude pour l’artiste Éric Pougeau, avec la publication de deux livres pour présenter ses travaux récents. Le premier titré Actes, est édité par White Rabbit Prod, diffusé par Les Presses du Réel et le deuxième plus confidentiel, titré Mon amour, est publié par la maison d’édition et galerie Dilecta, spécialisée dans l’art contemporain.
La première publication est Actes. Ce livre a été réalisé d’après une idée de Nicolas Le Bault, qui dirige avec Frederika Abbate la maison d’édition indépendante White Rabbit Prod. Il a récupéré les travaux (photographies, écritures, collages, pages de catalogue d’ameublement avec dessins) qu'Éric Pougeau a réalisés entre 2016 et 2021. Ces travaux présentés dans Actes sont en grande partie inédits, car jamais exposés dans les galeries. Connaissant la noirceur, l’esprit perturbé d’Éric Pougeau, les visuels (pour faire simple) percutent bien la rétine et les sens. Tel un livre "pornographique", "fétichiste", il est clair qu’il est déconseillé de feuilleter les pages d’Actes dans les transports en commun, au risque d’être confronté aux foudres d’un extrémiste sans cervelle (je sais, c’est un pléonasme). Aussi, pour illustrer cette chronique, il n’y aura pas de visuels qui pourraient choquer un curieux tombé par hasard sur le blog.
Pour comprendre la forme du livre, j’ai posé quelques questions à Nicolas Le Bault, qui en a géré la conception avec l’accord d’Éric Pougeau, qui lui a laissé "carte blanche". Il s'explique en donnant beaucoup d'informations. Vous pouvez faire une pause à mi-parcours. Il y a six questions.
Pages intérieures du livre "Actes"
Comment as-tu connu le travail d'Éric Pougeau ? Qu'est-ce qui te touche, te percute dans son travail ?
J'ai toujours cherché à constituer autour de mon travail artistique, à travers mon activité éditoriale, une société parallèle sur le modèle communautaire, en réunissant des artistes en fonction de familiarités d'univers, de convergences esthétiques, et de parentés thématiques. Dès ma première rencontre avec l'art d'Éric Pougeau, dont les travaux circulent depuis une quinzaine d'années au moins dans un cadre qui excède celui de l'art contemporain, j'ai été immédiatement frappé de voir à quel point il s'agissait de l'un des rares artistes à se saisir de la question de la violence jusque dans sa dimension physique, et à épuiser cette question dans ses retranchements syntaxiques, ontologiques, corporels. J'y ai vu une démarche de vérité, un absolu et une radicalité qui n'a pas peur de payer le prix, au risque de jouer sa peau, pour accéder à la substance et à l'être, quitte à passer par l'épreuve de la mort. C'est pourquoi je me suis senti proche de sa démarche et que je l'ai invité à participer au numéro de ma revue White Rabbit Dream, consacré au thème de La Violence (1), proposition qu'il a immédiates acceptée. Il est saisissant de constater que lorsque je me reconnais dans le travail d'un artiste, le sentiment s'avère la plupart du temps partagé. Il n'y a pas d'amour malheureux dans l'art, car ceux qui mettent leur vie en jeu savent se reconnaître mutuellement et s'apprécier. Dans ce numéro sur La Violence, Éric a sélectionné parmi ses travaux un ensemble d'œuvres traversées par le spectre de l'enfance. Nietszche écrivait que la dernière métamorphose du surhomme était celle de l'enfant. C'est l'amorce d'une renaissance qui se prolonge dans Mon Amour et dans Actes.
Pages intérieures "Acte I"
Éric Pougeau t'a fourni son travail et laissé carte blanche pour la conception du livre Actes. Tu peux nous expliquer la conception, la direction que tu as prise pour réaliser ce livre, notamment les chapitres sous formes d'Actes de I à V, ainsi que le choix des citations d'auteurs divers en introduction aux Actes ?
Lorsque Éric m'a fait l'honneur de me proposer un projet de livre autour de son travail, il a opéré à un choix d'œuvres toutes issues de ses productions les plus récentes, et m'a communiqué un envoi composé à partir d'une centaine d'images, sans indications quant à une volonté particulière d'ordre ou de présentation. Mais l'ensemble semblait répondre à sa propre logique interne, et s'organiser selon un ordre spontané qui m'est apparu presque instinctivement, sans analyser, réfléchir ou tergiverser outre mesure. De toute façon Éric m'avait donné sa confiance, et il me semblait évident qu'implicitement, il savait ce qu'il faisait. Le découpage en chapitres et le choix des images au sein des 5 grandes séries qui se détachaient du magma initial s'est fait aussi naturellement, en me soumettant à la logique interne des œuvres d'art qu'il m'a suffi d'écouter. Mon travail éditorial a consisté surtout à plaquer quelques éléments conceptuels, de structure, d'organisation et de médiation autour de ces travaux inédits, et à penser l'objet-livre en tant que corps autonome destiné à circuler dans le monde et à être reçu. Pour le reste, c'est Éric et personne d'autre qui porte la singularité du projet.
Comment tu t'y es pris pour l'ordre du travail d'Éric selon l'Acte ? Il y a une histoire, une logique dans le déroulement de l'acte I à l'acte V qui finit avec cette phrase "Sur ton cadavre, il y a mon cœur" ?
Il y a évidemment une logique narrative dans le déroulement des différentes parties. Pour la comprendre, il faut insister sur la dimension religieuse, sacrée que l'on trouve dans le travail d'Éric. L'ouvrage se présente d'ailleurs comme un bréviaire, un manuel suivant les différentes étapes de l'exercice d'un rite, avec sa part maudite, son contenu sacrificiel, et l'inéliminable instinct de mort que la mise en Actes conjure. On a à la fois la mise à mort et la naissance du sujet dans l'œuvre, jusqu'à la transformation finale. La première partie, qui s'illustre par des images étant, à ma connaissance, les seuls dessins d'Éric Pougeau publiés à ce jour, donne à voir l'introduction d'entités parasites, d'éléments exogènes et présences menaçantes, dans des environnements froids de la modernité tardive, des intérieurs aseptisés, dans le cadre impersonnel de la famille au sein de la société de consommation. Le sujet y est absent, et apparaît partiellement dans l'acte II sous la forme d'une série de polaroïds avec collages de lames de rasoirs, mais sans visage, sans identité, dans un geste primitif et violent qui met en scène l'acte sexuel. L'acte III, réalisé à partir de photomatons de l'artiste enfant, figure la crucifixion du regard et de la parole. L'acte IV consiste en la mise à mort de l'être aimé. Et l'acte V en la fusion de l'origine et de la fin, la transformation finale de l'artiste-enfant et la renaissance par la traversée de la mort. La citation de Bernanos qui ouvre cette ultime expérience est explicite quant à la nature transcendante du parcours initiatique que l'ouvrage relate.
Pages intérieures "Acte I"
Le mot Acte peut avoir une connotation sexuelle (viol) et violente (terrorisme, meurtre) avec le terme "passage à l'acte". Comment tu définis le mot "Acte" dans le titre au pluriel et les "chapitres" du livre ?
Le choix du titre comme le découpage scandé en actes renvoie directement à la forme de la scène, du Théâtre de la Cruauté dont Antonin Artaud a posé les principes dans les années 1930, et dont des extraits introduisent les différents chapitres du livre. Le théâtre, selon Artaud « ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et le danger ». Dans les différents manifestes qu'il a publiés en vue de donner un appareillage conceptuel à la pratique qu'il entendait mettre en œuvre au sein du théâtre Alfred Jarry, il exposait les possibilités de « permettre aux moyens magiques de l'art et de la parole de s'exercer organiquement dans leur entier, comme des exorcismes renouvelés ».
Artaud définit la cruauté comme ce qui signifie « rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue ». Ce qui ne pourrait mieux définir l'attitude esthétique d'Éric Pougeau, son caractère extrêmement rigoureux, son exigence presque ascétique dans la tenue et l'exécution de ses œuvres, son dépouillement qui confine au sacré. On a insisté précédemment sur le caractère éminemment religieux du geste esthétique d'Éric Pougeau, sur l'enchaînement presque liturgique des différentes parties de l'ouvrage. Mais on ne peut occulter sa dimension théâtrale, et même ironique, qui en fait toute l'ambivalence et la complexité. J'ai toujours été persuadé qu'une image artistique ne pouvait naître que d'un détachement, parfois brutal, avec la réalité du monde et de l'émotion que l'on veut dépeindre ou communiquer, d'une mise à distance nécessaire vis-à-vis du sujet. D'où l'usage des formes et de la mise en scène qui contribue à rendre intelligibles des sentiments troubles et souvent de l'ordre de l'incommunicable.
Pages intérieures "Acte III"
Est-ce que tu appréhendes les retours féministes, catholiques ou autres, face aux photos où l'on voit le sexe féminin fermé par des agrafes et la présence d'une lame de rasoir à côté d'une fille qui pose nue d'une façon frontale ?
Je suis assez serein, et je ne baisserai pas les yeux face à des réactions hypothétiques qui me sembleraient absurdes et par ailleurs hypocrites. L'ouvrage s'adresse avant tout à un public capable de faire la part des choses entre une œuvre d'art, une fiction, et la réalité. Je trouverais cela même assez curieux de devoir expliquer cette distinction, mais par les temps qui courent, on ne sait jamais. Évidemment, on assiste ces derniers temps à une vague d'intimidations portées par une certaine gauche morale, qui sur le modèle américain protestant et puritain, poursuit de sa vindicte toute forme de déviance sexuelle comme pour se rédimer de ses errements passés en matière de mœurs.
On se souvient de ces pétitions hallucinantes publiées dans de grands journaux de gauche au cours des années 70, sur fond de revendications libérales-libertaires, et signées par la quasi-totalité des intellectuels en vogue à l'époque, visant à abaisser la majorité sexuelle et à dépénaliser les relations intimes des adultes avec de jeunes adolescents. Me retrouver la cible de ces mêmes individus en pleine inversion accusatoire et en quête de bouc émissaire serait cocasse. Comme je ne peux m'empêcher de sourire de ce néo-féministe antagoniste, régressif et petit-bourgeois qui, perdu dans les abstractions conceptuelles de la théorie du genre et de l'intersectionnalité, s'évertue à traquer dans la culture occidentale les derniers résidus de la domination masculine, comme si c'était dans les œuvres d'art qu'elle persistait à exister. Je connais une artiste marocaine qui, au sein d'une société demeurée patriarcale, à forte imprégnation religieuse et abaissante pour le statut des femmes, se bat parfois au péril de sa vie pour avoir le droit de se représenter nue. Je n'ai jamais entendu parler du soutien de mouvements féministes français à cette dessinatrice. Je commencerai à prendre ces activistes occidentales au sérieux lorsque qu'elles daigneront s'inquiéter du sort des femmes subissant des régimes authentiquement patriarcaux de par le monde et qui combattent pour s'en émanciper, ou lorsqu'elles se solidariseront enfin avec le sort des femmes des classes populaires, qui semble bien loin de leurs préoccupations.
Derrière leur véhémence, il y a souvent beaucoup de calcul, de prudence, de lâcheté et même, au fond, de soumission. Quant aux catholiques intégristes, ils ne sont que l'envers de la médaille wokiste. On sait bien que le capitalisme a désagrégé toutes les structures traditionnelles en se mondialisant et en devenant un fait social total, et que l'Église catholique s'est désintégrée par compromission avec la modernité, le totalitarisme et les puissances de l'argent. Ce qu'il en reste tient plus de la simulation que de l'expression de convictions solides et de valeurs intrinsèques. Le catholicisme résiduel, convulsif, porté exemplairement par les groupuscules qui ont jadis persécuté judiciairement Éric, n'ont plus de chrétien que l'apparence. Ils dissimulent bien souvent derrière des revendications minoritaires intolérantes et excessives, derrière la mise en avant de grands principes moraux et de postulats conservateurs, une volonté de perpétuer un ordre social qui les arrange et de défendre les intérêts matériels des plus riches, dont ils font généralement partie. Quelque chose me dit que si le Christ revenait sur Terre, il serait moins tenté de les sauver que de les chasser du Temple avec son fouet.
Mais au fond cela me préoccupe assez peu. Je ne crains rien car j'ai l'intime conviction que cet ouvrage Actes est porteur d'une vérité splendide et très puissante, qui se doit d'être entendue par le plus grand nombre possible. Pour moi, le devoir des artistes est de dire la vérité, face au mensonge, face à la négation, et de l'offrir au monde comme témoignage. Ce qui d'ailleurs constitue, il me semble, la mission historique de tout Chrétien.
Comment sera disposé le livre chez les libraires ? Il sera sous cellophane, une interdiction au moins de 18 ans ?
En effet, il va de soi que cet ouvrage n'est pas destiné à des enfants. Et il me semblerait évidemment malvenu de le mettre entre toutes les mains. En revanche, notre entreprise éditoriale étant absolument indépendante, autonome, et ne touchant volontairement aucune subvention d'État, nous n'avons de comptes à rendre à aucune institution. Et nous avons la chance de travailler en collaboration avec l'excellente structure de diffusion Les Presses du Réel, qui s'occupe intégralement de la distribution et de la mise en place de nos ouvrages en librairie. Je sais qu'ils effectueront les bons choix stratégiques concernant les lieux susceptibles de mettre en vente l'ouvrage, et quant aux conditions de présentation.
(1): Chronique de la revue White Rabbit Dream spécial "Violence" ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2021/05/white-rabbit-dream-la-violence-volume-4.html
Photo pour la couverture du livre et du flyer de l’exposition "Mon amour"
La deuxième publication est Mon amour. Si Mon amour a la forme d’un livre d’artiste, composé de 32 photos qui montrent un papier mordu/mâché jusqu’à la gorge, à provoquer une plaie qui devient sanguinolente, Éric Pougeau a voulu faire autre chose qu’un simple livre. Des mots, des morsures, une vibration, une présence, de la vie, de l’amour, c’est le livre posthume d’Éric Pougeau, pour mieux renaître de ses "Play Blessures" (Bashung 1982). Dans une interview publiée sur le site https://www.paris-art.com/eric-pougeau/ Éric Pougeau nous éclaire sur le travail qui a donné naissance à l’exposition Mon amour - qui a eu lieu en mars 2010 à La Galerie Olivier Robert à Paris-, puis au livre qui vient de paraître : "J’ai utilisé en tout, plus de 1200 feuilles. Un peu moins de trois ramettes. J’ai jeté la moitié de la dernière tellement se fut douloureux. J’ouvrais en grand la bouche et j’enfonçais jusqu’à la gorge ces lames de papier. Je travaillais par série de cinquante feuilles. La séance durait quarante minutes."
Pages intérieures du livre "Mon amour"
Sur le site de l’éditeur Dilecta, à la page du livre il y a une belle description du contenue de Mon amour :
"Ici commence le langage des morts.
D’avril 2009 à février 2010, je me suis enfoncé 1 200 feuilles dans la bouche
pour en exposer 32, en mars et avril 2010, à la galerie Olivier Robert.
Ces feuilles sont dans le livre.
Il s’agissait de parler de la fin du langage, après mon travail sur les mots
dans Fils de pute.
Durant cette période, une fois ma bouche en partie cicatrisée après l’impact du
tranchant des feuilles, j’ai préparé une nouvelle séance en me faisant prendre
du sang dans un laboratoire, puis je suis rentré chez moi.
Je les ai ensuite sculptées en les enfonçant dans ma gorge et sur mon palais.
Une partie des feuilles restée blanche, l’autre marquée par mon sang.
Le mot Mon amour et la photo de couverture accompagnaient les 32 feuilles dans
l’exposition.
Le chapitre Éric comporte deux mots qui achèvent le récit." (Dilecta)
Éric m'a envoyé par mail ces précisions, qui résonnent comme un poème qui me semble important:
"Ce livre c'est mon corps,
Les pages ma peau,
C'est une sorte autoportrait de l'étouffement,
Avec à la fin une mort mais pour renaître,
Une sorte de livre posthume."
Il poursuit dans l'éclairage : Deux citations
me suivent avec ce livre,
Henri Michaux disait : " Qui laisse une trace,laisse une plaie"
Jacques Rigaut disait :" Un livre devrait être un geste"
Pages intérieures du livre "Mon amour"
Avec ces deux ouvrages d'artiste, on entre
dans la psyché intérieure d'Éric Pougeau. Cela demande au lecteur, au
passeur, un effort de compréhension, de réflexion. A chacun d'y trouver (poser
?) ses questions, ses réponses, avec peut-être du réconfort à la clef. Fin de l'Acte !
https://www.whiterabbitprod.com/
https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=9369&menu=0
https://editions-dilecta.com/fr/livres/1040-pougeau-mon-amour.html
Couverture du fanzine Abus Dangereux face 93 été 2005
Je profite
de la publication des livres Actes et
Mon amour pour mettre en ligne une
interview que j’ai réalisée en mai 2005, lors de la première publication du
livre Fils de pute édité par F.L.M.S.T.P.C. Éric m'avait écrit à la main, ses réponses aux questions, sur quatre feuilles de papier à carreaux de type écolier.
L’interview a été publiée dans le fanzine Abus
Dangereux face 93, été 2005 et sur foutraque.com, qui ont tous deux rendu
l’âme... en paix.
Couverture du livre "Fils de pute" (2005)
Insultes sur
plaques mortuaires : Fils de pute - Salope - Pédé -
Enculé - Putain d’ta race - Merde.
Écriture d’enfant sur feuilles d’écolier : Se mutiler - Se suicider -
Assassiner - Torturer.
Les 10 commandements sous forme d’ordonnance : Tu te branleras face caméra, 1
matin, 1 soir. Tu sodomiseras ton père, 1 matin, 1 soir.
Correspondance fictive de parents pour leurs enfants : Les enfants, Nous allons
vous chier dans la bouche. Vous êtes notre chair et notre sang. A plus tard.
Papa et maman.
Mot d’une mère pour ses enfants : Mes chéris, Quand papa et maman mourront,
vous serez seuls puis vous mourrez aussi. A ce soir, Maman
Vaporisateur d’urine avec étiquette : Pour maman.
Parfum, "Pour maman". Vaporisateur et urine (2004)
Éric Pougeau frappe fort avec les MOTS ! Des mots inscrits sur divers
supports qu’il s'approprie, pour y véhiculer rage, insulte et rire. Déjà quand
il était guitariste des Flaming Demonics (groupe noise culte parisien du
début des années 90, proche de Sister Iodine, Hems, Deity Guns,
Cut the navel string. Flaming
Demonics a publié deux 45 tours), Éric Pougeau martelait en
live sa guitare d’une façon très incisive et tendue. En privé il est plutôt du
genre posé et discret. A noter, que si son travail en "art plastique"
est son moteur d’idée, la guitare reste présente, comme à l’occasion d'un vernissage, pour un showcase, avec parfois Jérôme Peyret sous l'entité Macadam Cowboys.
Comment passe-t’on du rôle de guitariste d’un groupe de rock noise à celui
d’artiste en art contemporain ?
Les Flaming Demonics se sont arrêtés en 93. Il a d’abord fallu digérer
la séparation du groupe. Puis des rencontres, des lectures, des accidents m’ont
amené à l’art contemporain. J’ai commencé par la photo en 99 puis j’ai eu
besoin de matérialiser ma pensée dans des objets et dans des écrits à la suite
du décès d’une personne qui m’était proche.
Premier 45 tours de Flaming Demonics édité par New Wave Records (1992).
Pochette réalisé par Liberatore
La mort, le deuil sont des thèmes récurrents dans ton travail. D'où vient
cette obsession ?
La mort m’obsède depuis l’enfance. C’est un achèvement qui me terrifie et dans
lequel ressort, je pense, l’évidence de notre solitude. Mais la perte de gens
proches m’a fait relativiser les petits maux des vivants, leur complaisance,
leur morale. Dans mon travail je parle aussi de ma peur de la violence des
autres et du temps comme lieu du rire, du choix, de la prise de décision et
d’ouverture car j’en reviens toujours à ma peur. La peur que tout s’arrête.
Couronne mortuaire "Salope". Fleurs artificielles, ruban satin (2002)
Dans une
interview tu dis : « J’utilise des pièces que je n’ai pas réalisées ». A
long terme, tu penses que cela peut devenir un handicap ?
Mon travail repose sur la réflexion, le doute puis la mise en forme d’une
pensée. Tout vient de mon vécu, sans doute de mon âme ou ce qu’il en reste. Je
ne m’intéresse pas à la petite cuisine des artistes. Ce qui est important pour
moi c’est la rencontre avec un travail, pas la manière dont il a été conçu. Je
me fous de savoir si les punks savent ou pas jouer de leurs instruments.
Quand tu demandes à l’artisan ouvrier d’inscrire tes mots sur un objet,
quelle est sa réaction ?
Les artisans qui exécutent mes pièces se marrent et sont souvent contents de
participer à la conception d’un travail qui repose sur la rage, l’insulte, le
rire…
Quelle est l’explication du titre de ton expo "Ne me cherchez
pas je suis mort" ?
Sur cette pièce, c’est une photo de moi enfant avec en dessous un petit mot
écrit : "Ne cherchez pas je suis mort". Il y a d’abord l’idée que cet
enfant n’existe plus. Cet enfant est mort. Cette période est morte. Puis, il y
a aussi l’idée de l’enfant qui rédige ce mot pour témoigner de sa volonté de
fuir son enfer, la cellule familiale.
"Ne me chercher pas je suis mort". Photocopie et écriture sur papier d’écolier
Quel est ton
regard/position envers la morale ?
Je pense que la morale côtoie de très près la fureur et le mal. Je pense qu’il
peut y avoir un gouffre en ce qui concerne le comportement des gens dans leur
milieu social, professionnel et leurs actes dans l’intimité. Ce gouffre
m’intéresse. Je crois que c’est le lieu de tous les possibles et même de
l’impossible, du strictement hors des lois. Ces excès de l’intime sont notre
fondement, notre horreur, mais aussi notre liberté, nos pulsions. Tout cela
bien sûr m’intéresse. La tentation du mal…
Y a t-il un tabou dont tu ne pourras jamais parler ou une zone trop
dangereuse, qui pourrait ne t’apporter que des ennuis ?
L’essentiel est pour moi de ne jamais s’attaquer à une personne en particulier.
Par contre les groupes quels qu’ils soient, de tout âge, de toute nationalité,
de tout milieu, là oui. Je réfléchis à ne pas provoquer dans le vide, à ne pas
blesser. Mes objets ou autres travaux sont toujours ce qu’il reste d’une
réflexion poussée jusqu’à la démangeaison. Ils sont le résultat de mes doutes,
des concentrés de ma rage.
"Les enfants". Série de 33 petits mots. Lettres sur papier (2005)
Le terme "Ready Made" te convient-il pour situer ton travail ? Te sens tu proche de l’artiste Ben, lui aussi amateur de mots ?Mes travaux ne sont pas des "Ready Made". Ils détournent des objets que nous connaissons tous, mais l’intervention que j’effectue les sort du champ Ready Made. Les artistes qui m’influencent dans leur utilisation des mots sont des écrivains, en majorité de fiction, de réflexion philosophique aussi. Je crée de la fiction, de l’impossible qui tente de critiquer. Je pourrais citer pour leur rendre hommage : Selby, Sade, Blake, Bataille, Louys… J’ai beaucoup aimé aussi le journal de Kurt Cobain.
https://www.facebook.com/eric.pougeau
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