Le label belge Crammed Discs poursuit la réédition remastérisée de quelques albums clés parus chez Made To Measure (Vol.12, Vol.1, Vol.5), ponctuée de nouveaux albums (Vol.45/ Nova Materia, Vol.46/ Aquaserge), avec Douzième journée : le verbe, la parure, l’amour de Benjamin Lew & Steven Brown publié initialement en 1982 sur Crammed Discs et intégré à la série Made To Measure (Vol.15) en 1988.
En 1981, Steven Brown rencontre Benjamin Lew dans le bar La Papaye Tropicale à Bruxelles. Benjamin Lew travaille dans ce bar, mais il est surtout photographe, artiste dans l’art visuel et poète. L’américain Steven Brown et ses compagnons, membres du groupe Tuxedomoon (Peter Principale, Winston Tong, Blaine L. Reininger), nouvellement débarqué à Bruxelles, sont des clients réguliers du café qui possède notamment un piano. Tous artistes, ils ne pouvaient que se rencontrer. Benjamin Lew n’est pas musicien, mais il joue sur un petit synthétiseur analogique, un Korg MS-10 qu’il a trafiqué, pour créer des nouveaux sons. Il joue ses petites pièces sonores à Steven Brown. Tombé sous le charme de sa musique de poche, il propose à Benjamin Lew de travailler ensemble. C’est le point de départ d’une collaboration, le temps d’un album.
Pochette de l’édition vinyle publié en 1982
Avec ce titre d’album -Douzième journée : le verbe, la parure, l’amour- en référence à l’anthropologue Marcel Griaule et à sa célèbre étude du peuple dogon du Mali, un petit préambule, lecture de texte de la part de Benjamin Lew s’impose:
"Le sifflement, grave et continu, annonçait l’imminence de la prochaine tempête. Les hommes, calmes et silencieux, accroupis, le dos appuyé sur le mur, dessinaient distraitement dans le sable. Les femmes achevaient l’entretien des tombes. Dans un coin, les enfants, seuls à être vêtus de cotons colorés, déplaçaient des cailloux d’un tas sur un autre. Tout était parfaitement blanc. Pas une ombre. Les chiens aboyèrent. Femme, homme, enfants se mirent en route. Le vent en mouvement polissait les dunes. Chacun avait regagné son habitation. Le sifflement s’éclaircit et s’amplifia. Les chiens se turent. Je fermai le dernier volet et encadrai le châssis interne de boudin de jute. La radio allait s’interrompre. Je m’assis. A nouveau le temps était gelé." (Texte écrit à l’intérieur de la pochette de l’album)
Ok, je le conçois, ce texte brouille encore plus les pistes. Le mieux est d’écouter religieusement avec attention la musique de l’album, entièrement instrumentale. Steven Brown ne chante pas, mais joue du saxophone, du piano, de l’orgue et Benjamin Lew des synthétiseurs et boites à rythmes. Le boss du label Crammed Discs, Marc Hollander (Aksak Maboul, The Honeymoon Killers) joue de la clarinette et des percussions, le tout avec Gilles Martin à la technique. Le résultat donne neuf morceaux à la fois étranges et cinématographiques (plutôt un film d’art et d’essais en noir et blanc qu’une comédie musicale en technicolor). On est au carrefour de la musique contemporaine, du jazz, de la musique minimale et ambient. La texture sonore des mélodies et harmonies est importante, ainsi plus le support d’écoute sera de qualité, plus la découverte des sons, ambiances sera grande. Le mot "surréaliste" a souvent été employé pour définir cet album hors du temps, hors des modes. C’est en effet le mot qui convient le mieux pour trouver un point de chute dans cette aventure musicale. On peut y rajouter "poésie", même si l’album ne contient pas de texte. Le son aérien du saxophone possède cette légèreté poétique qui donne aux compos une dimension sans limite. A travers des petites notes, des textures de son, pendant 40 minutes, on a l’impression de voyager à travers le monde et plus particulièrement en Afrique du Nord, Proche-Orient et Asie. On ferme les yeux, on ouvre grand les oreilles et on se laisse porter par le talent de ces architectes du son. Ici l’espace et l’amour sont infinis...
http://www.crammed.be/index.php?id=37&rel_id=521
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