La Halle Saint Pierre consacre l’année 2023 au « merveilleux, au fabuleux et au fantastique ». Les festivités commencent avec une exposition consacrée à La Fabuloserie, qui fête cette année les 40 ans du musée d’art Hors les normes qui a ouverts ses portes et son jardin le 25 septembre 1983 à Dicy situé dans l’Yonne non loin d’Auxerre (89). La Fabuloserie fait suite à l’Atelier Jacob qui était une galerie d’art brut, d’art naïf, situé rue Jacob à Paris, qui a existé entre 1972 et 1982. C’est l’architecte ou plutôt l’anarchitecte, mais aussi artiste poète, Alain Bourbonnais (1925-1988), collectionneur d’art brut qui est l’instigateur de l’Atelier Jacob puis de La Fabuloserie (nom trouvé avec la complicité du critique d'art Michel Ragon). A sa mort, sa femme Caroline, puis leurs filles Sophie et Agnès vont poursuivre l’œuvre d’Alain en faisant vivre La Fabuloserie. En 2014, Caroline Bourbonnais nous quittent, mais Sophie et Agnès gardent en vie le lieu magique qu’est La Fabuloserie. En 2016, elles ouvrent à Paris en souvenir à l’Atelier Jacob, la Galerie-librairie La Fabuloserie situé en face de l’ancien Atelier Jacob. En 2012, elles ont lancé une campagne participative, couronnée de succès, pour la restauration de la Tour Eiffel réalisé par Petit Pierre. Car Le Manège du Petit Pierre est une des « attractions » populaire qui fait la renommée de La Fabuloserie.
Alain Bourbonnais @ ph. Paskal Larsen
L’exposition à La Halle Saint-Pierre est sur deux niveaux, avec la présence d'oeuvres de 50 artistes, dont Aloise, Paul Amar, Miguel Amate, Mario Chichorro, Alain Genty, Solange Lantier, Simone Le Carré-Galimard, Francis Marshall, Michel Nedjar, Emile Ratier, Lena Vandrey et la présence de quelques Turbulents réalisés par Alain Bourbonnais. La scénographie est réussie. On retrouve l’esprit du lieu de La Fabuloserie à Dicy, grâce aux installations. Les artistes ont plusieurs œuvres d’exposer, ce qui permet d’entrer en communion avec leurs univers. Il y a aussi une salle de projection, une présentation des projets en architecture d’Alain Bourbonnais. A la librairie de la Halle, il y a de nombreux livres sur l’art brut, l’art singulier, l’art du bord des routes. La Halle a publié un magnifique catalogue de l’exposition.
Francis Marshall @ ph. Paskal Larsen
Emile Ratier @ ph. Paskal Larsen
Miguel Amate @ ph. Paskal Larsen
https://www.hallesaintpierre.org/tag/caroline-bourbonnais/
Couverture du fanzine Ortie n°2 – Avril 1995
Je profite de la news au sujet de l’exposition consacré à La Fabuloserie, pour sortir de mes archives, un article que j’ai écrit en 1995 sur Simone Le Carré-Galimard. L’article titré La petite maison de Simone Le Carré Galimard, a été publié dans le fanzine Ortie n°2 sorti en avril 1995. C’est un après-midi octobre 1994 (je n’ai pas noté le jour) que je suis allé avec une amie, Karine rendre visite à Simone et son mari Maurice. Ci-dessous, le texte de cette rencontre :
Ortie n°2 pages 52, 53 – Avril 1995
Non, Le Carré-Galimard n’a rien à voir avec une maison d’édition ou un jeu de cartes. Le Carré-Galimard est le nom de famille de Simone, 82 ans, demeurant avec son mari Maurice dans un pavillon quelque part dans une petite rue du 14ème arrondissement de Paris.
Mais Simone n’est pas une mamie comme les autres. Elle habite une maison transformée en un lieu magique et féérique par les multiples petits personnages et animaux bizarres qu’elle réalise depuis 1976. Récupérateurs en tout genre, Simone et Maurice gardent tous les petits riens qui peuvent leur servir pour concevoir des tableaux et sculptures hauts en couleur et en folie baroque. Avec ces objets perdus, devenues inutiles (capsules de bouteille, boutons, perles, poupée, fleurs en plastique, jouets et verres cassés, aluminium, coquillages, plumes, os…), notre artiste colle, coupe, assemble, déchire de ses doigts de fée pour réaliser un tableau tout en relief, un bonhomme qui ressemble à une créature de fiction, une sculpture grandeur nature ou un masque de type africain. Maurice met aussi la main à la pâte en se chargeant par exemple de concevoir une boîte avec une porte transparente pour conserver certaines de ces œuvres. Celles-ci ne portent pas de nom car d’après Simone, chacun doit laisser libre court à son imagination en les regardant, les touchant, et en faire sa propre interprétation. Ses œuvres sont exposées dans tout le pavillon, des murs de la salle à manger aux toilettes en passant par la chambre, l’étage, l’escalier qui y mène, la salle de bain, le salon, le couloir, le grenier et le jardin. Tout ceci sans compter les longs tiroirs de rangement (conçus par Maurice), dans les placards, sur les étagères, des tables et divers meubles qui servent au quotidien du couple.
Simone Le Carré-Galimard – Octobre 1994 @ photos Paskal Larsen
Leur maison est un univers baroque et kaléidoscopique où l’adulte et surtout l’enfant (dont Simone adore avoir des témoignages) avec ses yeux grand ouverts ne sait plus où regarder. Il faut dire que chacune de ces œuvres a son identité, sa fantaisie et une fraicheur simple et touchante. Bref, de l’art brut sincère, vif et surtout loin des principes scolaires et arbitraires. Son œuvre est seulement le résultat de son gout d’assembler et de créer. Souriante et accueillante, Simone nous explique qu’elle fait plusieurs sculptures ou collages en même temps, suivant son inspiration et sans ligne directrice trop précise. C’est sa libre interprétation.
Son goût d’assembler les objets perdus lui est venu en comblant un espace creux qui se trouvait en hauteur dans un mur (comme un hublot) de la salle de bain. C’était en 1976 et depuis, elle ne s’est plus arrêtée. Découverte par Alain Bourbonnais (qu’elle cite de nombreuses fois dans la discussion), c’est lui qui en 1976 organise sa première exposition. Depuis, une trentaine d’autres sont venues compléter son press-book, ainsi que quelques vidéos et en 1992, un passage télé chez Patrick Sabatier. Une journée de tournage pour quelques minutes à l’antenne qui lui vaudront la reconnaissance des voisins qui prenaient jusqu’alors Simone et Maurice pour un couple bizarre en les voyant fouiller dans les poubelles du quartier ! S’ensuivront aussi plusieurs coups de téléphone qui donneront lieu à quelques ventes de tableaux. Une reconnaissance qui amène Simone à réaliser que la télévision est un gros média et de constater qu’il doit être dur pour les artistes qui se retrouvent en haut de l’échelle de retomber dans l’anonymat.
Simone décore aussi sa maison avec des photos de magazines (qui vont des grosses poitrines aux personnages du Muppet Show) qu’elle découpe et colle les unes sur ou à côté des autres sur les murs pour former des frises ou des fleurs. Elle a d’abord commencé par un coin de sa chambre pour cacher un coin de peinture sale et, y prenant gout, elle ne s’est plus arrêtée. Maurice refait le plafond de la chambre en blanc en ajoutant de grands nuages découpés dans du contre-plaqué puits peints avec des couleurs vives. Ajoutez-y une baie vitrée jamais voilée car ils aiment se faire réveiller par la lumière du jour : tant pis si des voisins les voient à travers la vitre. « Qu’ils regardent ailleurs ! » s’exclament-ils. Ils sont comme ça les Galimard !
Avant d’assembler ces objets trouvés au hasard du temps en fouillant aux puces de Vanves ou dans la rue, Simone était déjà une artiste. Durant sa petite enfance à Troyes (sa ville natale et aussi ville de carnaval), elle se faisait des costumes en papier lors des fêtes locales. Apicultrice jusqu’à la guerre, puis travaillant avec Maurice dans la restauration, elle dessinait en parallèle à l’encre de chine des racines dérivants vers des formes humaines, animales et autres curiosités. Cela lui prenait plus d’un an pour finir ces tableaux. Elle en a vendu quelques-uns et les autres sont soigneusement rangés dans un carton à dessins. Simone a aussi testé la sculpture sur plâtre (les essais sont rangés dans la cave) et aussi des sculptures en plomb qu’elle faisait fondre sur des plaques électriques pour donner la forme désirée. Ce travail sur plomb n’a pas porté ses fruits, malgré une exposition, à cause du poids trop imposant de son travail. Aujourd’hui, ces œuvres sont rangées dans une armoire vitrée.
Voilà présenté brièvement ce lieu insolite aux multiples découvertes que vous pouvez à votre tour visiter. Simone et Maurice, un couple très uni et complémentaire (l’artiste et le bricoleur), sauront vous accueillir et présenter leur monde qui vous fait tourbillonner la tête avec toutes ces poupées et personnages qui vous regardent de leurs yeux malicieux dans leur faux-semblant de fouillis ordonné. Pour cela, il suffit de décrocher votre téléphone et d’appeler Simone pour prendre rendez-vous. Elle vous recevra avec plaisir. Tél : 45.--.--.21.
Des œuvres du grenier à la cave !
Simone Le Carré-Galimard nous quittera en 1996 et peu de temps après, ce sera le tour de Maurice parti la rejoindre.Simone Le Carré-Galimard – Octobre 1994 @ photos Paskal Larsen
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