lundi 11 juillet 2022

MAURICE LECOEUR "Musiques pour l’image" (Transversales Records) – 10 juin 2022


Chaque sortie vinyle du label parisien Transversales Records (1) est une petite madeleine de Proust. Leur 23ème référence ne va pas déroger à la règle, car il s’agit d’une belle découverte qui a pour nom Maurice Lecoeur. Quand on tape son nom sur Discogs, il y a peu de références, juste la BO du film Le Déclic de Jean-Louis Richard (1985) adapté de la célèbre BD de Milo Manara, la BO du film obscur l’Or Rouge de Francis Matton (1973) et la BO promo du film Le Soleil qui rit rouge de Bruno-Mario Kirchner (1975). Autant dire que la compilation Musiques pour l’image, Bandes magnétiques (1969-1985), avec ses 22 morceaux puisés dans les masters originaux est un graal, qu’on va prendre le temps de savourer, surtout si on est un fan du compositeur François de Roubaix. Car la musique de Maurice Lecoeur en est très proche, et ce n’est pas un hasard, car il a été « élève » de François de Roubaix. Petit retour dans l’espace-temps, au siècle dernier.

Photo @ Goksin Sipahioglu

Maurice Lecoeur est ingénieur électronicien. Dans ses moments de loisirs, il joue du piano dans l’orchestre Dixie Cats, formation ou il y a un bassiste qui va devenir un chanteur connu, celui qui a vu ce satané Mirza, le merveilleux Nino Ferrer. Au milieu des années 50, à l’occasion d’un bal d’étudient de fin d’années (HEC) et de concours d’orchestres de jazz, Maurice Lecoeur croise pour la première fois François de Roubaix.

Pour gagner sa vie, Maurice Lecoeur travaille pour la Snecma. En mai 1968, alors qu’il se retrouve bloqué par les grévistes pour aller à son bureau, il décide de faire une pause, se changer les idées et d’aller écouter dans un club, le clarinettiste de jazz Stéphane Guerault. Là, il croise François de Roubaix qui l’invite à venir le samedi suivant à l’un de ses fameux bœufs qu’il organise chez lui dans son appartement parisien rue de Courcelles. François de Roubaix invite tous les samedis ses amis (dont l'acteur Pierre Richard) à venir jouer chez lui, pour entre autre reprendre les standards du New Orleans, le tout ponctué d’happenings ludiques dans une bonne ambiance surement bien arrosée. Les instruments accrochés sur les murs de l’appart, sont à la disposition des invités. Maurice Lecoeur tombé sous le charme de ses bœufs improvisés, va revenir régulièrement le samedi rue de Courcelles jouer du piano, de la basse avec ses saltimbanques du jazz. Rapidement Maurice Lecoeur va découvrir la musique de François de Roubaix et devenir un "fan" de ce composeur de BO de films au charme ravageur. Il quitte son travail à la Snecma pour se consacrer exclusivement à la composition. En 1969, grâce à François de Roubaix, Maurice Lecoeur fait un premier pas dans le monde de la BO de film en composant trois thèmes pour Les Petites filles modèles réalisé par son ami Jean-Claude Roy, qu’il a rencontrée avec François de Roubaix au service militaire au Service Cinématographique des Armées. 

Affiche du film "Les petites filles modèles" de Jean-Claude Roy (1971) 

La mèche est allumée, à partir de ce film érotique, Maurice Lecoeur va composer de l’illustration sonore pour des courts métrages, le cinéma underground, la publicité, le tout sous la bienveillance de son ami François. Autant dire que la disparition brutal de De Roubaix à seulement 36 ans le 21 novembre 1975,  lors d’une plonger en mer, va profondément bouleverser Maurice Lecoeur. Il lui faudra 10 ans pour s’en remettre. Devenue professionnel dans l’illustration sonore (cinéma, courts métrages, télévision, des pubs pour Philips, le Crédit Agricole, Toyota, Herta) en parti grâce à François de Roubaix, sa présence va le hanter. Tout comme lui, Maurice Lecoeur compose dans son home studio, sans le besoin de se faire connaitre du public. D’autant que sa musique ne sera pas -ou si peu- publiée sur support vinyle ou cassette, autant dire que le nom de Maurice Lecoeur n’est connu que d’un petit milieu de musiciens provenant du jazz. Comme il n’a pas composé pour la chanson française, il n’aura pas le même aura" populaire" que Jean-Claude Vannier, Michel Colombier (avec lequel il va collaborer pour la BO du film comique J’aime tout -aussi titré Si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres et Quand les radis poussent- de Raymond Lewin -1978-), Alain Goraguer, Michel Magne, Janko Nilovic et Bernard Estardy. Si dans les années 70, Maurice Lecoeur a beaucoup de travail, dans les années 80, ça commence à baisser, car les réalisateurs et les agences de pub commencent à utiliser de la musique existante, en recyclant des morceaux déjà composés. Le coup de massue va arriver en 1993, quand un incendie va dévaster son studio de Ville-d’Avray. Les années qui vont suivre vont être compliquées pour lui. En 2008, il se suicide. Triste fin.




C’est donc 14 ans après sa mort, que parait cette première compilation consacrée à l’œuvre de Maurice Lecoeur, mise en forme grâce à l’aide de son fils Arthur. La compilation commence avec Faux Suspense, une publicité pour le Crédit Agricole. Dès les premières notes du thème on est dans le style De Roubaix avec ce rythme groovy et pop qui ne va pas nous lâcher tout au long du voyage qui va nous faire promener dans les BO des films évoqués plus haut, mais aussi dans le documentaire, générique TV et projets non publiés. Car ici les bandes inédites sont nombreuses. La force de la musique de Maurice Lecoeur est le côté psyché pop festive, qui communique instantanément au moral. On est dans l’esprit l’Homme-Orchestre de Serge Kurger, Ne nous fâchons pas de Georges Lautner. La mélancolie, des petites ritournelles jazzy viennent aussi se pointer. Le morceau Fair Pale Sweet and Nice stylé Jean-Claude Vannier avec une voix féminine à la Jane Birkin est une sucrerie qui ne se refuse pas, tout comme les 22 morceaux de la sélection qui sont tous des cadeaux tombés du ciel. Allez assez de fleur, juste un mot : ESSENTIEL.  

Affiche du film "Le soleil qui rit rouge" de Bruno-Mario Kirchner (1975)

Pochette du vinyle 33t de la BO du film "Le Déclic" de Jean-Louis Richard (1985)

Nota : Pour écrire cette chronique, j’ai recueilli des infos grâce aux notes de Stéphane Lerouge inclus dans la pochette intérieure du disque et la bio écrite par Gilles Loison sur le site internet https://francoisderoubaix.fr/pages/mauricelecoeur.html

(1): Petite présentation du label Transversales Records ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2020/06/transversales-records-un-label-qui-ne.html

https://transversales.bandcamp.com/album/musiques-pour-limage-1969-1985






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