Depuis plus de 35 ans, Laurent Pernice est dans la marge de la musique. Pour avoir des renseignements sur son travail, il est préférable de lire le fanzine Revue & Corrigée au lieu de Rock & Folk. Pour acheter ses albums, ce sera surtout du côté du disquaire pointu, comme Le Souffle Continu à Paris qu'il faudra se renseigner. Laurent Pernice étant un électron libre, il réalise à la fois des albums en solo, des collaborations pour la danse, l’art contemporain. Ainsi pêle-mêle il a joué avec le groupe indus tribal NOX, Amaury Cambuzat de Ulan Bator, Nataraj XT, Richard Pinhas (Heldon), Rhys Chatham, Thierry Zaboitzeff, l'écrivain Alain Damasio et le groupe Palo Alto avec lequel il compose régulièrement.
Électron libre encore et toujours, à l’heure du retour du vinyle et des films en ultra HD, Laurent Pernice publie le même jour deux albums autoproduits en format CD. Le coffret CD-DVD titré UMTT (Un Monde Trop Tard) avec le CD A World Too Late et le DVD titré Un monde trop tard et autres étranges poésies qui reprend en images vidéo des morceaux de l’album avec des bonus. L’autre album est Le Corps Utopique avec Dominique Beven.
Le CD A World Too Late est tout d’abord sorti en 2018 sur le label suédois The Sublunar Society. Mais, ce label a jeté l’éponge dès le début du Covid, en mars 2020, ainsi l’album s’est retrouvé orphelin. Un mal pour un bien, le voici de nouveau disponible grâce au label Halte aux records ! et la fondation Stin’Akri, avec en prime le DVD pour plus d’une heure d’images vidéo immersives réalisés par Laurent Pernice et ses amis. La musique de cet album, est un mélange de poésie sonore avec des textes en français, de sons électroniques, où viennent parfois se poser un saxophone ou une flûte. Les 11 morceaux de l’album ont une portée organique qui nous fait flotter dans l’air, tout en gardant un pied sur terre. Le danger peut survenir à tout moment, il faut rester sur ses gardes. Le rythme sur le morceau Les Oiseaux est comme un battement de cœur pas rassuré par l’environnement inquiétant drainé par la petite musique à l’accent horrifique. L’album commence fort avec le titre éponyme et sa mélodie digne d’un générique de film, qui installe ses pions, son ambiance. Mi électro, mi indus, le morceau A World Too Late est d’une richesse sonore, avec notamment l’apport de l’instrument Jew’s harp (une sorte de guimbarde), qui donne le tempo sur les nappes de synthés et divers effets sonores élaboré par l’artisan Laurent Pernice. D’entrée, en sait que l’on va passer un bon moment musical, qui nous permettra de voyager, de nous dédoubler, de sortir de notre corps d’humain attaché au sol terrestre. Ici la texture du son, de la matière sonore est mise en relief, pour les papilles les plus exigeantes. Il y a à la fois l’aspect illustration sonore, et poésie urbaine qui prend la clé des champs. Si vous êtes amateurs de groupes artistes tels que Coil, Plaid, Boards Of Canada, Marc Hurtado, Palo Alto, il est clair que cet album doit venir jusqu’à vos oreilles.
Changement
de tempo avec Le Corps Utopique. Ici
on se rapproche de la musique contemporaine, voir ethnique pour l’aspect
méditation/transe, avec une touche de free jazz. Cet album est la bande son de Le Corps Utopique, une pièce
chorégraphique réalisée par la compagnie Anima Motrix, interprétée par
l’actrice/danseuse Emma Gustafsson. Le
Corps Utopique est le titre d’une conférence du philosophe Michel
Foucault (1926-1984) diffusé en 1966 sur France Culture. Pour saisir de
quoi on cause, voici de courts extraits du texte de présentation écrit par Daniel Defert pour le
livre Le Corps Utopique-Les Hétérotopies,
sortie en 2019 au format poche chez Éditions Lignes : "Qu’y a-t-il de moins utopique, demande Foucault, que le corps, que le corps
qu’on a – lourd, laid, captif. Rien n’est en effet moins utopique que le corps,
lieu duquel il ne nous est jamais donné de sortir, auquel l’intégralité de
l’existence nous condamne.(…) Le corps grandi, tatoué, maquillé, masqué forme
autant de figures possibles de cette utopie inattendue et paradoxale du corps.
La parure, les uniformes en sont aussi de possibles. Comme la danse
(« corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à
la fois ») ou encore la possession… Mais, c’est l’érotisme, à la fin –
Michel Foucault dit même « faire l’amour » – qui est le plus
susceptible d’apaiser l’inapaisable désir du corps de sortir des limites qui
sont les siennes. Ou des caresses comme moyen d’« utopiser » le
corps". Pour
composer la musique, Laurent Pernice
a demandé à Dominique Beven
d’improviser sur des instruments à vent, dont des instruments très anciens
comme le khen laotien et le hulusi chinois, pour retrouver le souffle du
philosophe. Belle métaphore. Une fois les improvisations enregistrées, Laurent Pernice a malaxé le tout dans
sa boite magique, guidé par son cerveau de mélomane averti, puis rajouté des
effets électroniques, quelques instruments (basse, trombone, flute). Et hop, le
petit oiseau est sorti pour nous dévoiler 50 minutes de musique riche, pour
accompagner le corps en mouvement de la danseuse et du public, qu’il soit dans
une salle de spectacle ou dans son salon avec une bonne chaine Hi-Fi. Comme je
le disais en intro, le résultat du travail des deux hommes qui sème le vent
avec liberté, se rapproche de la musique contemporaine, expérimentale parfois
concrète avec une touche de world, d’ambient. Il y a une certaine sensualité
-certes intellectuelle- dans le son, les rythmes. On imagine entendre la goutte de
transpiration couler sur le corps nu, ou le pas du pied nu frotter sur le sol
boisé. Les titres des morceaux sont suffisamment évocateurs, Mise à nu, Les Rêves, Féerie, Montagnes lointaines, pour en dire plus.
Bref, tenter sans plus attendre, la rencontre avec Le Corps Utopique de Foucault,
qui souffle à tout vent d’Ouest sans coupe vent.
https://laurentpernice.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/laurent.pernice
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