TANIT : Le top de la cold wave made in France dans les années 80

Pour annoncer sa conférence Histoire du post punk en France de 1978 à aujourd’hui qui s’est déroulé le 18 février au Bar à Bulles à Paris lors de la sortie de Persona n°25, l’ami Frédéric Lemaître boss du fanzine Persona a utilisé pour illustrer son flyer, une photo de l’Autoportrait du photographe autrichien Herbert Bayer (1900-1985), grande figure du mouvement Bauhaus. Ce visuel daté de 1932, je l’ai découverts en 1983 grâce au groupe Tanit qui l’a utilisé pour illustrer la pochette de son premier (et unique) EP, Can an Actor Bleed. C’est l’occasion de réécouter ce groupe éphémère qui a beaucoup tourné à l’époque sur ma platine vinyle.

Pochette recto verso de l’EP "Can an Actor Bleed" (Ecran/New Rose) - 1983

Tanit est un groupe cold wave parisien qui a existé entre 1981 et 1985. Au sein du groupe il y a Elsa Drezner au chant, Pascal Humbert à la basse, Thierry Bertomeu à la guitare, puis Pascal Normal (ex Orchestre Rouge) à la batterie, venu un peu plus tard compléter le trio. Durant sa courte période d’existante, Tanit à publier l’EP, Can an Actor Bleed (Ecran/New Rose) et le mini album To Alaska… (Divine), soit un total de 10 morceaux, dont la reprise Lola des Kinks avec pour Tanit, un guest de luxe aux percussions, harpe, basse, seconde voix, ni plus, ni moins Brian Eno qui utilise ici quatre pseudos, Ibn’ Aroen, Ben O’Rian, A.N. Bonnier et Nina Bore, soit un pseudo pour chaque rôle. Cette belle rencontre est dû au hasard du studio d’enregistrement, où Eno était également présent, et interpelé par la voix de Elsa. Bref, Kinks-Eno sur un même morceau, c’est quand même la classe. En fait tout est classieux chez Tanit. Déjà en premier lieu, la voix profonde et envoutante d’Elsa Drezner qui donne aux compos une couleur unique. Sa voix habitée évoque le lyrisme cold de Siouxsie Sioux, Nico et quand elle chante en allemand, on pense à Anja Huwe d’Xmal Deutsland et Bettina Köster de Malaria !. Son chant peut être vif, rock, théâtral, souple, c’est juste un bonheur de l’écouter tant elle nous transporte, loin et haut, très haut.

Tanit en 1981 est en formation trio. La voix d’Elsa est portée par la guitare ligne claire, qui évoque The Cure époque de Three Imaginary Boys de Thierry Bertomeu et la basse bien cold de Pascal Humbert (futur Passion Fonder, groupe de Theo Hakola qui prendra naissance en 1984 après le split d’Orchestre Rouge) et la boite à rythmes KR55 pour le rôle du batteur. En formation trio naitra l’EP quatre titres Can an Actor Bleed, dont le morceau titre est le summum de leur son post punk et cold wave. La rythmique et la voix sont à tomber. En prime la couleur cold du début des années 80, lui donne une belle patine, que les générations suivantes de musiciens aimeront reproduire. Chez Tanit on est dans l’authentique, c’est là toute la différence. Pascal Normal, libre depuis le split d’Orchestre Rouge vient ensuite rejoindre le groupe pour la réalisation de To Alaska… où l’on retrouve le morceau Can an Actor Bleed ? avec l’ajout un point d’interrogation dans le titre et dans une version plus longue. To Alaska… contient six morceaux d’excellence pour l’amateur de cold wave, d’after punk. Edité sur le label Divine, on est dans la famille des groupes européens, Mecano (attention le groupe hollandais et non pas l’espagnol), Fra Lippo Lippi, Flue, Minimal Compact, et de la belle scène française de l’époque avec Clair Obscur (1), Complot Bronswick, Norma Loy (2), End of Data, Kas Product (3), Marquis de Sade, Charles de Goal (4). Au poste de producteur, il y en a trois, le journaliste de Rock & Folk Paul Alessandrini (déjà à ce poste sur l’EP), Bernard Deffond (qui a notamment produit l’EP culte Anyway de OTO) et Maxime Schmitt qui a produit les disques de Taxi Girl et Ici Paris, complété par l’ingénieur du son Steve Prestage (The Sounds, XTC, Japan). Le résultat donne un album sans faille au son puissant et enveloppant.

Pochette recto verso du mini LP "To Alaska…" (Divine) - 1984

Au dos de la pochette, de l’EP on peut lire cette phrase de Flaubert-Salammbô : "Le mystère de Tanit roulait au fond de vos yeux, plus limpides que les globules des fleuves." Au dos de la pochette de To Alaska… c’est une phrase d’Elsa Drezner: "We will sing you six land and give everything to the nowhere-land : Alaska." Ces phrases sont des indices pour nous plonger dans leur musique qui éveille notre esprit, notre imaginaire.

Malgré que leurs disques tournaient vaillamment à l’époque sur ma platine disque, je ne les ai pas vu en concert. Je n’avais pas la chance d’habiter Paris, de pouvoir aller les voir au Gibus, au Palace le 17 février 1983 en première partie d’Echo & The Bunnymen (à noter qu’Echo a déjà joué au Palace le 19 juin 1981. Concert enregistré à l’époque pour l’émission Feedback animé par Bernard Lenoir sur France Inter: https://www.youtube.com/watch?v=KVIM5adcfxk) ou en première partie d’Iggy Pop (13 décembre 1982 au Palace ?, date à confirmer). De ce que j’ai lu dans le livre Carnets Noirs Acte II – La Scène Francophone (e/dite-Collection K-Inite-2006): "Tanit aurait pu aussi avoir une longue carrière, vu l’enthousiasme suscité par leurs prestations scéniques (…). Tanit est avant tout un groupe de scène et a tourné dans toute la France." (Page 64). Si vous les avez vus en concert, n’hésitez pas à laisser vos souvenirs en commentaire.

Malgré des belles prestations scéniques, des enregistrements exemplaires qui présageait une carrière avec plusieurs albums, cela n’empêchera pas Tanit de couler après quatre années. Les relations entre Elsa et Pascal deviennent compliquées. Pascal quitte le groupe en 1985, après un concert à L’Observatoire (ex Rose Bonbon). Malgré tout Elsa ne baisse pas les bras, un nouveau line-up est tenté avec à la basse Léo (ex Lili Drop), à la batterie Frank Gliksman (ex 12°5), mais après quelques répétitions, un passage au studio, les relations ne sont pas bonne, Elsa met un terme à Tanit. On devra se contenter des 10 morceaux gravés pour l’éternité sur deux disques en vinyle.

Pochette du CD "1981-1985" (Infrastition) - 2007

En 2007, le label Infrastition publie un CD qui regroupe l’EP et le mini album, plus 7 live inédits, dont les reprises Kill de Joy Division et The Circle de Nico. On trouvera aussi des morceaux (non inédits) de Tanit sur diverses compilations, dont le volume 1 Des Jeunes Gens Mõdernes (Naïve). Pour les plus jeunes d’entre vous, je ne peux que vous conseiller de découvrir Tanit qui a été un groupe français de haute qualité. En prime l’espace-temps réussi très bien à leur musique, encrée dans la première moitié des années 80.