lundi 20 mars 2023

NORMA LOY "Ouroboros" (CPM/Manic Depressions Records) – 17 février 2023

Toujours bien vivant et inspiré, le groupe Norma Loy publie en 2023 son 7ème album. Groupe originaire de Dijon formé en 1981, Norma Loy est une formation importante dans la musique indépendante des années 80, plus particulièrement dans les styles punk, new-cold-wave, industriel. Depuis ses débuts, Norma Loy n’a pas caché ses influences en faisant des reprises, tant en live que sur disque. Déjà le nom Norma Loy leur a été soufflé par Alan Vega de Suicide, le morceau Heaven extrait de la BO du film Eraserhead de David Lynch, les accompagnent depuis leur début, et les reprises des Stooges, plus particulièrement extraient de l’album Fun House est chez Norma Loy comme un fétiche porte bonheur. Après des reprises interprétées et gravées ici et là, Norma Loy nous propose avec son nouvel album titré Ouroboros (mot mythologique de la représentation du symbole du serpent qui se mord la queue), exclusivement des reprises. Il y en a 12, dont Romance, un morceau d’eux qu’ils ont composés et publiés sur leur premier EP sorti en 1983 sur New Wave Records.  A l’époque, la production lo-fi n’était pas à la hauteur, c’est aujourd’hui  réparé avec un nouveau mixage qui donne plus de puissance, de relief à Romance 2022.

La première reprise est Saeta de Nico. Ce morceau est extrait de l’album The Drama Of Exile sorti en 1983, époque où elle habitait à Ibiza, où elle finira ses jours jusqu’à la chute en vélo, suivi d'une hémorragie cérébarale le 18 juillet 1988. Norma Loy garde la texture mélancolique du morceau, teinté de fantômes funèbres, nous installant ainsi dès l’ouverture de l’album dans une ambiance cotonneuse, parsemé de spleen bleuâtre. La voix de Chelsea est magnifique, tant elle nous transporte à l’intérieur du corps de Nico… femme fatale. On poursuit avec In a Manner of Speaking de Tuxedomoon. Ce morceau est extrait de leur 4ème album Holy Wars sorti en 1985. Depuis 1981, ce groupe de San Francisco habite à Bruxelles. Ainsi le son de leur musique possède une texture Européenne qu’on retrouve à l’époque à travers Marquis de Sade, Mecano, Fra Lippo Lippi, Jean-Jacques Burnel en solo, sur  le label Crammed Discs et Minimal Compact, qu’on retrouve parmis les reprises avec le classique Next One Is Real (1984) qu’on prend plaisir à réécouter sous la marque Norma Loy, qui nous donne ici deux belles versions : mélancolique sur Tuxedomoon, after punk EBM acide sur Minimal Compact. Next One Is Real versus Norma Loy 2023 a tous les attributs pour satisfaire les belles soirées électro goth. Place maintenant à un classique tout public, avec Venus In Furs du Velvet Underground & Nico, album sorti en 1967 qui ne contient que des classiques. Ce n’est peut-être pas une bonne idée de graver un morceau aussi connu, car difficile de s’approprier un tel monument du rock, au même titre que I Wanna Be Your Dog des Stooges, Satisfaction des Rolling Stones, My Generation des Who, She Los’t Control de Joy Division. Malgré ses notes new wave synthétique esprit Sisters Of Mercy, c’est la reprise la plus faible de l’album. 

Fan jusqu’à l’os de Suicide, Norma Loy nous délivre un Touch Me sensuel, à fleur de peau sous quelques notes échappées de synthétiseur de Riders On The Storm des Doors, mélangeant ainsi deux belles références. Magnifique ! L’enchainement est au poil avec Leaving The Table de Leonard Cohen. Ici on est dans du velours mélancolique en noir et blanc, esprit Les Ailes du Désir de Wim Wenders. Ce morceau de Leonard Cohen date de 2016. La trilogie berlinoise (Heros, Low, Lodger) est une des périodes les plus riches musicalement pour David Bowie, en compagnie de Brian Eno et Tony Visconti. Norma Loy a choisie de reprendre Some Are, un inédit-bonus qui est publié en 1991 sur la version CD remastérisé. Norma Loy nous interprète une version ambient mystérieuse qui aurait trouvé sa place sur la BO de la série culte Twin Peaks de David Lynch. Version aussi envoutante que le dernier album studio de David Bowie *(Blackstar).

En plage 9, A Night To Forget du groupe expérimental Factrix, composé d’ex Minimal Man. Ici on est bien dans le son 80 de Norma Loy. N’oublie pas d’où tu viens. Côté musique, on pense à Siouxsie and The Banshees meet Bauhaus. C’est juste jouissif pour l’amateur du genre en transe ! qu’on va garder sur Intro/What a Day de Trobbing Gristle. Ce groupe a marqué Norma Loy, tant sur le registre musical, que visuel-graphique. What a Day est extrait du classique 20 Jazz Funk Greats (1979). Sur plus de 6 minutes Chelsea va s’exprimer avec force sur les beat, sampler de Usher. Après ce fracas électro indus, un peu d’étrange douceur avec Up In Flames extrait de la BO du film Sailor et Lula (1990) de David Lynch. L’album s’achève avec Fire Of The Mind de Coil, extrait de The Ape Of Naples (2005). Belle reprise, proche du recueillement, avec l’envoie d’une colombe en signe d’amitié, pour ne pas oublier John Balance et Peter Christopherson qui ont tant brillés de par leur talent, leur singularité.

 

Norma Loy nous a gâtés avec ce bel album de reprises. Leurs versions sont chargées d’émotion, de respect envers ses artistes hors norme. C’est un bel hommage aux morts présents dans la track-list, mais finalement toujours bien présent grâce à leur musique intemporelle et bien vivante.

https://manicdepressionrecords.bandcamp.com/album/md153-norma-loy-ouroboros

https://www.facebook.com/NormaLoyOfficiel/?fref=nf

https://www.manicdepression.fr/produit/norma-loy-ouroboros-lp/

 

Je profite de la sortie de ce nouvel album, pour mettre en ligne deux interviews de Norma Loy que j’ai réalisé pour Abus Dangereux. La première a été réalisé en février 2010 lors de la sortie de l’album Un/Real (Infrastition), de la compilation d’inédits (démos, live) Message From The Dead (Vinyl-on-demand), publié dans Abus Dangereux face 114, été 2010. En 2010, Norma Loy n’avais pas publié d’album depuis 1991. C’était le retour d’un des groupes majeur de la scène française new wave goth indus. La deuxième interview a été réalisée en août 2016, lors de la sortie de l’album Baphomet (Unknown Pleasures Records), publié dans Abus Dangereux Face 140, Octobre/décembre 2016.

18 ans, soit l’âge de la majorité, c’est ce qu’il aura fallu attendre pour écouter des nouvelles chansons (avec l’album « Un/Real ») des inclassables Norma Loy. Ce groupe originaire de Dijon était dans les années 80 une formation atypique (tout comme Complot Bronswick et Clair Obscur) qui mélangeait rock, new-wave, punk avec des images surréalistes, dada, buto et SM. Sur scène, la performance du chanteur Chelsea était plus proche de celle de l’acteur shakespearien que du chanteur pop. Accompagnés par des danseuses butos, les musiciens de Norma Loy donnaient des représentations entre poésie, performance et scénario rock. Le public n’en sortait pas indemne !

Aujourd’hui en 2010, le groupe est composé du trio original Chelsea (voix et autres machines), Usher (claviers, voix et autres machines), Scavone H (basse) et de deux nouvelles recrues. Si les nouvelles compos de Norma Loy sont peut-être plus mélancoliques, leur musique n’a pas pris une seule ride. Elle crie et caresse toujours dans le sens ou à rebrousse-poil, transmettant chaleur et frissons malins.

Chelsea (connu aussi sous le nom de Reed 013) n’a pas la langue dans sa poche et en a gros à raconter sur la carrière du groupe.

Quand vous vous êtes retrouvés pour composer ces nouveaux morceaux quel était l’enjeu?

Chelsea : Le premier stade c’est celui du DESIR et ensuite se posent les questions de la PERTINENCE (est-ce que ça vaut le coup? Y a-t-il quelque chose à dire?), et enfin du CONCEPT (quelle forme adopter pour exprimer quoi ?). Garder son identité et sa spécificité (c’est bien du Norma Loy) et faire évoluer les choses (on n’est plus dans les 80′s). Bien sûr nous sommes les produits d’une époque (le début du post- punk) et aussi les continuateurs d’une musique que nous écoutions dans notre adolescence, qui nous inspirait beaucoup de sensations et nous aidait à construire notre identité (le blues, le rock, la musique expérimentale etc..), ainsi que l’influence déterminante de certains mouvements artistiques ou politiques (mais les deux n’ont-ils pas toujours été liés ?).

Après tout ce temps le désir de refaire des choses ensemble était présent. La performance que nous avons effectuée au festival Dark Omen (21/22 juillet 2006) nous a rassuré sur la pertinence de cette reformation, restait la ligne à adopter pour UN/REAL et les moyens qui devaient être mis en œuvre pour le faire exister. Nous voulions un disque contemporain et honnête (avec le moins de compromis possible), alliant des rythmes électroniques et acoustiques. Conçu dans un environnement différent (celui du home studio de Usher, nous deux simplement) sans nous censurer sur la forme (chanson, titre ambient, expérimentation, cut-up) et en gardant l’idée d’une présence mélodique. Le problème principal n’a pas consisté dans l’élaboration des titres, car nous étions très en phase et rapidement productifs mais dans l’aspect matériel (organisation, musiciens, label, disponibilité du studio d’enregistrement) et financier (moyens restreints). Ce qui a fait que la période de production s’est avérée beaucoup plus longue que prévue, avec des intervalles importants entre les pré-maquettes, les sessions, les mixes et la fabrication. Nous avons dû également reconstituer un groupe puisque nous avons dû recomposer la formation, les musiciens ne s’étaient jamais rencontrés avant d’entrer en studio et dans certains cas ils ne connaissaient même pas les titres dans leur aspect définitif. Il y a eu une part d’improvisation sur des structures qui étaient heureusement bien déterminées au départ. C’était quand même toujours sur le fil du rasoir.

Qui compose la formation 2009?

La formation actuelle (outre moi et Usher) se compose de :

Guillaume à la batterie, il vit à Paris comme moi et nous a rejoints depuis 4 ans déjà. C’est un excellent musicien qui a déjà pas mal bourlingué (géographiquement et spirituellement), fan de W.S Burroughs, et nous avons pas mal de points en commun en dehors de cette attirance pour l’écriture beat ! C’est très rassurant de savoir qu’on peut compter sur une assise rythmique aussi solide, surtout avec quelqu’un qui possède le « spirit ».

Mika à la guitare. Il vit en Allemagne près de Cologne. Usher l’a rencontré sur internet pour son projet « Die Puppe ». Ce garçon est vraiment très doué et extrêmement réactif. « Un/Real » lui doit beaucoup, pourtant nous ne nous sommes vraiment rencontrés qu’en studio le jour même de l’enregistrement de ses interventions. Il avait pu en préparer certaines avec les bases que nous lui avions fait parvenir, mais dans plusieurs cas nous avons travaillé la nuit précédent les sessions, sans parler des improvisations (c’est d’ailleurs une constante sur ce disque).

Scavone H à la basse. C’est donc le retour de notre bassiste « historique » (celui de la trilogie « T.Vision » « Sacrifice » « Rebirth »), également photographe, il vit à Dijon tout comme Usher. C’était très étrange de nous retrouver après tout ce temps. Comme tu peux le constater il y a un grand turn over chez Norma Loy, c’est une entité assez extrême et cannibale, plutôt chaotique à vrai dire. Il y a souvent des moments de grande tension, une sorte de catharsis.

De nouveau, on ne peut que constater l’éclatement géographique de ce groupe, ce qui ne simplifie pas les choses, autre grande constante chez nous !

Est-ce que la feuille blanche s’est noircie facilement?

Facilement… non. Je tenais à mener un grand travail d’introspection afin d’exprimer des sentiments vrais, basés sur l’expérience. Il est difficile de parler de l’intime sans verser dans l’exhibition, cela m’intéresse davantage de partager un ressenti qui peut être universel. J’ai traversé des moments extrêmement difficiles et douloureux au cours de ma vie qui est loin d’un long fleuve tranquille. J’aimerai pourtant me sentir apaisé et profiter d’un environnement stable, mais les circonstances sont tout autres et j’ai également une grande révolte en moi. Je voulais parler de cela sans être trop démonstratif parce qu’au fond je suis quelqu’un d’assez discret.

Certains textes semblent traiter de questions plus générales et environnementales (le monde dans lequel nous vivons en tant qu’occidentaux), comme « Second Life » qui évoque les univers virtuels d’internet mais aussi la virtualité même de la conscience. « Un/Real » renvoi à une dualité (Yin/Yang – Mort/Vie – Conscient/Inconscient…) Le monde des formes et de l’apparence est une projection du Rêve qui nous permet d’exister, un aspect particulier de la fréquence humaine, une EMANATION. Cette pensée, c’est celle qui sous-tend toute ma production (qu’elle soit musicale ou non). La thématique (juste de mon point de vue) du CONTROLE, qui se cristallisait sur l’objet TV+TV dans la trilogie, s’incarne désormais dans l’immatérialité des réseaux, royaume de l’illusion. Qui en détient les clefs et dans quel but (sous couvert de globalisation et de partage) ? Il semblerait que la perception (dans ce cas l’ILLUSION) que l’on veut donner des choses soit plus importante que la NATURE REELLE de celles-ci. Mais qui peut déterminer de quoi est constituée la REALITE quand on est soi-même au cœur d’une construction et d’une permanente interprétation de sa sensation à être.

Il faut donc un Maître du jeu ET un manipulateur.

« Ah Pook, the destroyer.

Question – If Control’s control is absolute, why does Control need to control?

Answer – Control needs time.

Question – Is Control controlled by its need to control?

Answer – Yes

Question – Why does Control need humans, as you call them?

Wait, wait. Time, a landing field. Death needs time like a junkie needs junk.

And what does Death need time for?

The answer is so simple. Death needs time for what it kills to grow in for Ah Pook’s sake.

Bryon Gysin has the all purpose nuclear bedtime story.

The all purpose bedtime story, in fact.

Some trillions of years ago a sloppy, dirty giant flicked grease from his fingernails.

One of those gobs of grease is our universe on its way to the floor.

Splat. » W.S Burroughs (Dead City Radio)

A l’écoute d’« Un/Real«  on sent une certaine mélancolie avec pas mal de passages poétiques. J’ai l’impression que votre musique s’est adoucie (du moins de l’extérieur). C’est l’âge qui donne cette impression moins agressif/indus (sauf sur « F+A+T+E »)?

Le coté mélancolique (avec sa part poétique) a toujours été présent, c’est quelque chose que je porte profondément en moi, ainsi qu’une envie de révolte quasi existentielle. Je ne pense pas qu’ « Un/Real » soit plus doux que par le passé, les thèmes abordés sont même plus douloureux. C’est très certainement le processus de conception qui a entraîné cette sensation d’un son moins agressif : quand on compose les chansons avec des machines et l’assistance de l’informatique on n’est pas dans la configuration d’un local de répet ou tout le monde essaye de se faire entendre en montant les niveaux et/ou je suis obligé d’ hurler pour m’entendre. Je suis persuadé qu’on peut exprimer des choses très violentes sans se déchirer la gorge pour autant, voir même qu’on y a tout intérêt car on y gagne en subtilité. Moi j’aime chanter pour exprimer une palette de sensations la plus large possible. C’est d’ailleurs amusant que tu fasses référence à « F+A+T+E » parce que c’est le seul morceau ou je crie, mais je le fait derrière et presque comme un clin d’œil (voyer je peux le hurler aussi. Il y a des moments où on ne peut plus faire que ça.). Du point de vue de l’expression d’une certaine forme de violence (pour moi la violence c’est quelque chose que l’on a à SUBIR) « Dirt » qui semble très doux ou « Bleeding Death Angel » qui parle de la perte de mon amie sont bien plus extrêmes que « Fate ». Le coté indus est très présent sur « Speed Pills » ou « Spiders » (et aussi un peu partout d’ailleurs) mais mêlé à d’autres formes (expérimentales, psychédéliques, minimales…). Il faut dire aussi que pour nous l’idée de ligne mélodie est importante.

Vous dédiez l’album à Ron Asheton et vous faîtes une reprise des Stooges. Que représentait le groupe pour vous ?

Le premier titre que nous ayons jamais joué (ou plutôt massacré) avec notre premier groupe (Metal Radiant) en 1977, c’était « I Wanna Be Your Dog ». Les Stooges ont une place à part dans notre panthéon personnel. Je me souviens que nous passions des nuits entières à écouter TRES FORT « Fun House » leur deuxième album (qui était d’ailleurs difficile à trouver). Il y a là quelque chose d’indépassable aujourd’hui encore, et après toutes ces écoutes, ce disque n’a rien perdu de son côté surprenant, pur, expérimental et… radical. La « Mecque », cela implique un (au moins) pèlerinage non? Dans ce cas nous n’avons pas fini d’y user nos boots. La grande différence c’est que dans notre cas il n’y a pas de notion de « devoir », aucune obligation, mais par contre une sorte de foi, oui. C’est un groupe fondateur pour nous. On a grandi avec et il nous a fait grandir, on a appris dessus et c’était sans effort. Comme l’étoile polaire dans notre hémisphère, il suffit de regarder (écouter) pour prendre la bonne direction. C’était la démonstration qu’avec des termes simples et quelques notes (comme avec le blues), on pouvait faire passer des émotions complexes et profondes. De plus les Stooges sont la démonstration que c’est l’INTENTION qui compte. En effet s’il est très facile de jouer la structure de ces titres, il est par compte difficile de les charger de cette incandescence qui tient à l’interprétation, tout cela se trouve au cœur de soi. La question s’est posée avec notre reprise de « Dirt », comment CHARGER cette chanson d’une émotion personnelle ? Qu’est-ce qu’on veut faire dire à cette chanson ? Il faut aller chercher au fond de soi. C’est pourquoi ça a pris du temps de faire cette reprise, la difficulté était d’y apporter sa propre vérité, c’est aussi pour cette raison que je pense que c’est une bonne version, bien meilleure que la reprise de « TV Eye » sur « Rebirth ».

Le son d’"Un/Real"  sonne parfois très new-wave/80 façon Sisters Of Mercy. Malgré votre éclectisme de goûts musicaux (rock 70, punk, dub, électro…) vous semblez être restés très attachés à cette époque cold ?

Tout d’abord il faut bien comprendre qu’il n’y a aucune posture dans ce son, c’est simplement le notre. Je veux dire par là qu’on n’essaye pas de reproduire ou d’imiter quelque chose. Il se trouve que nous sommes les produits d’une époque (la fin des 70′s) et aussi, dans une certaine mesure, parmi les initiateurs d’un mouvement qui a commencé à ce moment-là. Qui a hérité du punk (minimalisme dans les moyens mis en œuvre, technique accessible à tout-à chacun, le do it yourself, un certain nihilisme), tout en voulant de nouveau réformer les choses. Il fallait sortir du cadre « rock » guitare, basse, batterie en utilisant une nouvelle technologie (émergence des synthés), en élargissant le cadre des influences (musique contemporaine, ethnique, etc…) avec des influences plus européennes et intellectuelles (c-a-d moins américaines, ni country ni blues), en faisant références à des mouvements comme Dada, le surréalisme ou les situs, tout en gardant l’URGENCE. Bien sûr, c’est très schématique et sans doute qu’à l’époque on ne réfléchissait pas tant que ça, on savait par contre que le punk (du moins ce qu’on aimait dans le punk) était mort, qu’on détestait le rock progressif et le hard fm. Qu’on ne voulait pas d’une musique de puriste revival (le neo-rockab, le néo-garage…), que le monde basculait dans autre chose et qu’il fallait trouver une nouvelle forme. Cela ne nous empêchait pas d’être redevable et influencé par nos sources « classiques » (Doors, Stooges, Velvet, Stones entre autres), mais aussi par la musique industrielle (TG), la réminiscence des groupes allemands comme Can, Kraftwerk ou Faust, et des passeurs comme PIL, Joy Division ou Suicide qui font la jonction avec le punk (d’où nous venons). Nous voulions aussi échapper au cadre strictement musical en intégrant d’autres formes d’expression comme la danse (le buto), une présence massive de visuels et retrouver ce côté shamanique et rituel des origines. Les thèmes abordés dans les chansons étaient aussi différents, on ne parlait pas de révolte adolescente ou d’histoires de filles. Sauvage ET méditatif.

Pour moi, Sisters of Mercy ça ne représente rien. C’était juste un groupe de cette époque comme nous l’étions. On n’avait pas conscience de faire partie d’un mouvement et nous n’en avions pas l’envie. Ici en France il y avait surtout des individualités et chacun restait dans son coin. C’est à la fin des années 90, quand nous ne faisions plus rien, qu’on nous a recollés dans le mouvement « gothique » auquel nous n’avons jamais appartenu. C’est d’ailleurs un terme qui était peu utilisé à l’époque. Je me souviens qu’on disait que les Cramps (le 1er album) étaient gothiques. Je me souviens aussi que personne n’arrivait à nous caser quelque part et que c’était un problème dans ce pays, et aussi que c’était la croix et la bannière avec les sonorisateurs des salles parce qu’ils ne pouvaient pas intégrer le fait que les claviers étaient l’instrument lead et ne venaient pas en arrangements.

Nous avons ce son parce que nous sommes de ceux qui l’avons inventé et qu’il fait partie de nous, mais j’espère que nous l’avons fait évoluer d’une façon contemporaine, nous essayons tout du moins. Nous utilisons la technologie d’aujourd’hui et nous parlons du monde présent, je ne suis pas un puriste ni un nostalgique de la forme (l’outil doit se réinventer), je peux par contre me montrer nostalgique d’une pensée.

Coup sur coup vous venez de sortir un nouvel album « Un/Real » et le double vinyle/DVD Message from the Dead qui regroupe des démos/live et raretés. Quelle est la part de hasard et de préméditation dans ce calendrier qui relie présent et passé ?

C’est une question de contexte, d’opportunité et de désir (en ce qui concerne le nouvel album). Cela signifie qu’il y a un regain d’intérêt envers nous ainsi que l’expression d’une certaine forme de nostalgie portée aux années 80 qui s’inscrit dans un mouvement global de rééditions. Les labels (enfin les survivants) qui ne se comportent pas comme UNIQUEMENT des marchands de lessive, essayent de trouver des niches ultra-spécialisées. On pourrait d’ailleurs se poser la question de savoir pourquoi on utilise désormais l’adjectif « culte » à propos de tout et n’importe quoi. Ça signifie certainement qu’il y a l’idée d’une perte et que l’on a définitivement laissé en arrière une certaine innocence. L’art s’est banalisé en tant que produit et il réalise du même coup les prédictions Warholiennes d’une industrie de reproduction de masse.VOD (le label allemand qui a sorti « Message From The Dead ») n’était intéressé que par des vieilles bandes (l’idée du retour à la source, à la pureté, c’est le concept vintage), alors que nous disposions de plusieurs inédits bien plus cohérents mais plus tardifs. Il est bien plus facile de sortir des vieux trucs déjà existants que de financer une production contemporaine qui demande un investissement. De même qu’il y a une demande de résurgence des traces d’un passé éteint, mais une grande difficulté à organiser des concerts, parce que le circuit qui permettait cette production a disparu ou en tout cas s’est considérablement modifié. Il n’a jamais été aussi simple de faire un disque (dans son home-studio) et jamais été aussi difficile de le faire exister (d’une façon non virtuelle). Ceci dit s’il n’y avait pas eu cet engouement pour le passé, nous n’aurions pas pu nous conjuguer AU PRESENT.

Après toutes ces années avec des hauts et des bas, être un artiste en 2010, est-ce une utopie?

L’utopie artistique, ça n’a rien à voir avec l’époque, ça à voir avec la personnalité. Tout dépend de ce qu’on recherche et de ce qu’on est prêt (ou pas) à accepter pour y parvenir. J’imagine que cette question s’est posée de tout temps, même si certaines périodes se montrent plus favorables que d’autres. Je trouve qu’aujourd’hui la plupart des utopies sont mortes. Elles n’ont pas résisté à la démonstration de leur incapacité à perdurer dans le temps (les tentatives communautaires post 68, le peace & love etc…), ou à se réaliser (le communisme). Souvent même on est arrivé à l’effet inverse.

L’Utopie réclame un mouvement collectif (un « partager » ensemble). Nous sommes dans l’individualisme, parce que tout est fait pour fragiliser et dépersonnaliser l’individu justement. Quand on voit la liberté d’expression (et artistique) de la fin des années 70 on voit ce qui a été perdu.

Quant à la question des hauts et les bas… eh bien j’en ai eu plus que ma part. Il me semble que c’est aussi cela la vie. J’essaye d’en faire quelque chose, bien que je ne pense pas que les périodes de dépression soient vraiment productives. Etre utopique ça peut vite mener à un certain découragement, mais aussi à de la colère. « La colère est une énergie » comme dit John Lydon, la colère me motive pour avancer. Même si c’est inutile, je ne renonce pas à vouloir porter ma voix, à vouloir changer les choses, c’est ma vision qui me porte.

Vieillir dans la musique blues, jazz ou reggae, c’est naturel. Dans le rock, qui est par essence/nature une rébellion de la jeunesse, c’est plus dur. D’ailleurs c’est souvent difficile d’atteindre les 60 ans (Jacno, Lux Interior, Joe Strummer, Ramones…) Quel est votre sentiment sur l’envie de faire du rock à/après 50 ans?

Vieillir dans le blues ou le jazz, ça s’est imposé depuis plus longtemps qu’avec le rock qui n’est apparu que dans les années 50. Maintenant le rock commence à produire son lot d’ex-jeunes. La vraie question c’est : « est-ce qu’on se comporte, est-ce qu’on traite les choses de la même façon à 18, à 30 ou à 50 ans ? ». Bien sûr que non, tout le monde vieilli (on ne joue plus non plus pareil à 2 ans et à 18 ans, non ?). Est-ce qu’on peut être révolté à 50 ou à 60 ans ? bien sûr que oui.

Le rock est-il par essence une rébellion de la jeunesse ? Sans doute était-ce le cas au début, quand le rock était lui-même jeune. Cette rébellion nécessaire évolue elle aussi, c’est pourquoi je pense que les (bons) musiciens rock de la première vague se sont retournés vers l’idée du blues en vieillissant. Le blues c’est aussi une musique de rébellion, comme le jazz, comme le reggae, comme le hip-hop (et puis aussi des centaines d’autres formes musicales, parce que l’art EST une réaction), mais une rébellion qui est sortie de l’adolescence. C’est tout à fait justifié de chanter « mes parents m’emmerdent », « je veux baiser des filles et tout péter » quand on a 18 ans, mais ça ne suffit pas à en faire le programme de tout une vie. En ce qui nous concerne (et comme je l’ai dit plus haut), nous ne nous sommes jamais inscrit dans cette tradition des années 50/60 du rebelle sans cause. La matière de mes textes reste la même, ce n’est donc pas plus un problème pour moi aujourd’hui qu’hier. Ma pensée est la même, la façon dont je l’exprime est différente.

Ce qui change fatalement avec l’âge c’est le corps. Essayer de paraître 20 ans à 50 c’est vraiment débile et inutile. Je ne vois pas en quoi cela interfère sur la portée de ce qu’on a à dire, sauf bien entendu si le message est : « je suis un/une pin-up boy/girl, un mannequin qui vend un produit pour les jeunes ». C’est l’intensité, la vérité et l’intégrité du message qui m’importe. Un chaman, on ne lui demande pas d’être mignon et sexy, on lui demande de faire un lien entre deux territoires (visible/invisible), d’être un passeur, c’est ce que les artistes doivent être.

Bien sur le « rock » (mais qu’est-ce c’est en vérité que le « rock » aujourd’hui ?) a une dimension iconique, ça inclue une image de jeune demi-dieu tout puissant mais aussi cette face sombre et tellement romantique (pour les autres) de la déchéance et de la carbonisation, (il est mort pour nous en incarnant notre mal-être et notre révolte virtuelle – c’est très christique). Le public adore cette part de tragique qui est celle de nombreux mythes aussi anciens que l’humanité. La vérité est souvent beaucoup moins glamour, juste celle de gens isolés et largués, en souffrance. C’est sûr aussi qu’en général (il y a peu d’exceptions), un toxico/alcoolique va voir son corps se dégrader plus vite, on paye ses excès avec les intérêts. Moi je ne vois rien de bien exaltant chez un junky, c’est pourtant une des images récurrentes du folklore rock (sex & drugs & rock’n roll qu’ils disent). C’est juste de la merde qui nie ton humanité.

Au moment de la sortie du film « The Limit Of Control », Jim Jarmusch a donné une interview où il rapportait un propos de Neil Young (qui a composé la BO de son film « Dead Man ») qui dit : « Quand on joue du rock’n'roll, on ne réfléchit pas! Dès que tu réfléchis, tu perds le truc. Le rock, ce n’est pas de la réflexion, c’est de la sensation ». Que penses-tu de ce propos?

Sans doute. Mais AVANT de jouer on a réfléchi à ce que l’on voulait faire passer, on a fait un travail d’introspection. D’autre part : avant de jouer de la guitare « sans réfléchir », il a bien fallu apprendre à maîtriser cet instrument, et se poser plusieurs questions sur le style. Je ne pense pas que la pensée s’oppose à la sensation, je pense qu’elle la précède. Si nous sommes capables d’expression complexe, c’est que nous sommes des animaux sociaux dépendant d’une culture, avec une faculté d’analyse. C’est le fait de se poser des questions qui déclenche une émotion, sinon dans ce cas il n’y aurait que des actes réflexes : ça brûle, je retire ma main / j’ai faim, je veux manger n’importe quoi de comestible… l’art demande d’avoir un point de vue donc une réflexion.

Pour revenir à l’album « Un/Real », le livret qui accompagne/complète le CD est très complet (textes, citations, commentaires) et bien sûr comprend de belles photos… C’est pour combattre le MP3, la clé USB, le téléchargement (légal et illégal) que vous attachez une importance/prenez soin de l’objet CD?

Bien que nous ayons toujours apportée beaucoup d’attention à l’environnement graphique (il y a eu des livrets dès notre 1er maxi et chez nous l’aspect visuel est extrêmement important). C’est vrai qu’un effort particulier a été fourni sur « Un/Real » (un booklet de 28 pages). C’est un peu un baroud d’honneur, la conjoncture est très difficile pour le support disque, surtout pour des labels indépendants qui ne disposent pas de moyens promotionnels et ne peuvent jouer sur une production de masse. Il faut absolument pouvoir proposer quelque chose de plus, même si le combat me parait perdu d’avance. L’avenir est à la dématérialisation (des films, de la musique, et même de l’écrit). Je trouve cela très triste mais c’est comme ça ; le cd comme le dvd vont disparaître à court terme. Pourtant je me souviens d’un temps pas si lointain ou une pochette de disque c’était vraiment quelque chose. J’adorai le format des disques vinyles, les 33t comme les 45t, la notion d’objet. Je passais des heures à décrypter les pochettes, on pouvait se fier au visuel, c’était signifiant. Un disque c’était un tout, j’aimais aussi le fait qu’il y ait une face A et une face B. On leur accordait une signification différente. Il n’y a aucune poésie dans une clef USB et encore moins dans un fichier téléchargeable. C’est utilitaire, ça ne prend pas de place, du coup ça s’empile par milliers, ça perd tout son sens. Un accès immédiat à un truc pré-fabriqué, pré-formaté pour être écouté sur son téléphone et pourquoi pas comme sonnerie. Cette facilité d’accès tue tout le plaisir de la quête. Je suis un fétichiste des objets, j’aime l’idée des marques du temps sur eux, comme des corps qui racontent une histoire avec leurs rides et leurs cicatrices. Je ne me vois pas lire un livre sur un écran. Le livre, j’aime le tenir entre mes mains, l’odeur de l’encre, corner les pages, annoter. Bien sûr j’ai un I-pod, c’est pratique pour écouter de la musique dans le métro. Mais j’ai les disques, des centaines d’albums que je connais tous. Je me suis rendu compte qu’avec 5000 titres sur mon I-pod, ça ne signifiait plus grand-chose. On s’y perd, ça ne devient plus qu’une liste, un empilement. Ce format numérique, qui fait partie de toute une chaîne, pousse aussi à en faire trop, il y a moins de sélection qu’auparavant. Dans la logique du marché, il FAUT donner un MAXIMUM de contenu à ce qui est mis en avant : le hardware (l’ordi, la clef USB, le lecteur MP3 et…). En effet, c’est le hardware qui rapporte, et qu’on doit changer tous les 2 ans, parce qu’on fait en sorte qu’il soit obsolète pratiquement dès sa sortie sur le marché. Quand on parle d’économie durable ça me fait bien marrer. Un livre c’est un objet durable parce qu’on l’a choisi et sélectionné pour le garder (on n’empile pas 5000 bouquins qu’on ne lira même pas dans son studio – on fait un tri).Tout cela est évidemment déclinable. Quel est l’intérêt de faire 5000 photos avec son appareil numérique (c’est très simple), alors que 20 auraient suffi, et qu’on les aurait regardées, elles.

Norma Loy a disparu du circuit rock dans les années 2000. En revenant sur le devant de la scène en 2009, n’aviez-vous peur d’avoir été oubliés. Est-ce que cela peut être angoissant, l’oubli?

Je crois que derrière tout acte artistique il y a la volonté de laisser une trace. Il y a une aspiration à une certaine forme d’immortalité. Créer c’est une façon de vaincre (ou de conjurer) la mort. Quand nous étions en sommeil (les années 2000), c’est l’intérêt qu’on semblait nous porter (et non pas l’inverse) qui est l’un des éléments qui nous a décidé à effectuer ce retour.

J’aime beaucoup votre version de « L’Homme à la Moto ». Comment est venue cette idée de reprendre un titre d’Edith Piaf ? Car à l’époque c’était inhabituel pour un groupe punk comme vous – plutôt porté sur le Buto et l’imagerie SM – de reprendre du rétro.

L’idée de cette reprise ne vient pas de nous mais d’un label qui nous avait contactés pour collaborer à un album de reprises de Piaf. Nous étions en train de préparer « Sacrifice », autant dire qu’on était très éloignés de la chanson populaire française (rien de péjoratif là-dedans). Nous avons cependant travaillé, non sans mal, sur cette chanson (qui est l’adaptation d’un classique de Leber/Stoller), et elle nous est resté sur les bras quand on nous a appris que cette compilation ne se ferait pas. A la dernière minute nous l’avons inclue sur « Sacrifice » (c’était tellement décalé) et ça a plutôt bien marché, à notre plus grande surprise. Je regrette simplement que les ayant-droit ne nous aient pas accordé le bénéfice des arrangements (notre mélodie est très différente de la version originale), ce qui fait qu’on n’a pas touché un centime la dessus! En ce qui me concerne, je ne vois pas en quoi le fait d’aimer le punk et le SM serait inconciliable avec Piaf !

Avec le recul, quel regard portez-vous sur la musique des années 80 ?

Je voudrais juste re-préciser que les années 80 ça n’était pas simplement des fringues avec des épaulettes fluo, Duran Duran ou de la variété synthétique à deux balles. C’était aussi et surtout des explorateurs comme Tuxedomoon, Minimal Compact, la No-Wave, Birthday Party, Joy Division, Pil, l’essor de la musique industrielle (TG, Cabaret Voltaire), les plus beaux albums de Kraftwerk, Blondie, le Gun Club, les concerts délirants des Cramps, des B’52′s et de bien d’autres (on suait beaucoup dans les salles), le reggae, les débuts du hip-hop, la novo vision, Alan Vega, Psychic TV, Siouxsie & the Banshees, Sonic Youth, et mille autres choses excitantes au sein d’une époque en plein bouleversement, mais qui avait encore su garder une certaine fraîcheur et l’idée de vouloir changer le monde.

Le plus gros problème des années 80 c’est la fin des années 80 et la mainmise des idées néo-libérales sur la planète, des gens comme Tatcher et Reagan, la mondialisation d’un système boursier ivre de sa puissance et particulièrement irresponsable, une nouvelle forme de totalitarisme, d’autant plus dangereux qu’il se donne les apparences de la démocratie.

Avez-vous un message à rajouter ou à faire passer ?

Death to the Low World ++

Dans le style cold, électro indus et dark folk, à l’atmosphère surréaliste en copie noir et blanc, la musique de Norma Loy est flamboyante. Elle ouvre tant de portes à l’imaginaire et à la réflexion. Toujours debout, tel pourrait être le slogan de Norma Loy. Formé à Dijon en 1981, Norma Loy prouve avec son nouvel album Baphomet, qu’ils sont « encore » bien vivants. Non, ils n’étaient pas le 13 novembre 2015 au Bataclan, par contre cette date leur laisse des séquelles, d’où le morceau « 13 Novembre » avec ses mots (écrits trois jours après les attentats) qui résonnent dans notre tête : « Si tu descends dans la rue/La rue est rouge, rouge sang (…)-Ta belle amie, ton bel amant/Plus rien ne bouge ». Oui, en 2016 Chelsea (voix, effets) et Usher (synthé, piano, samples) ont encore beaucoup de choses dans le ventre à nous offrir, ils sont plus que jamais très inspirés. Ils répondent à nos questions.


Comme renait de ces cendres, après 10 années d’activité intensives dans les années 80’s, puis 18 années de sommeil sous l’enseigne Norma Loy, vous réapparaissez en 2009 avec l’album Un\Real et aujourd’hui l’album Baphomet. Qu’est-ce qui vous a motivé à remettre le couvert ?

Tout d'abord entre Attitudes (1991) et Un\Real (2009), nous n'étions pas totalement inopérants puisque diverses productions ont été éditées (Open your Mind (1997), DYNA (1999) The Rebirth (2007), Message from the Dead (2009)). Le successeur d'Attitudes, qui était de nature très rock, n'est jamais sorti, bien que beaucoup de titres aient été composés à cet effet. Le titre Baphomet Sunrise est en quelque sorte à l’origine de cet album mais il est bien antérieur à celui-ci. Nous l’avions joué pendant la tournée de Un/Real et il faisait partie d’une série de morceaux restés à l’état de maquettes (avec Freak, Apocalypse, Les fleurs, Je me rappelle. Nous trouvions dommage que ces titres restent à l’état d’ébauches. Au départ nous étions partis sur l’idée d’un maxi 45t et puis nous avons été pris par l’inspiration et beaucoup de nouveaux titres sont sortis très rapidement. Nous ne faisons pas les choses par prédétermination ou par calcul, l’idée de l’album s’est imposée à nous de façon très naturelle. Bien sûr, il a fallu ensuite retravailler les chansons et elles ont beaucoup évolué au fur et à mesure des différentes versions et des mix. Une seconde raison, c’est un concert que nous avions joué à Genève en septembre 2010 ou nous n’étions que tous les deux. Nous avons voulu retrouver cette forme épurée. C’est d’ailleurs durant ce show que nous avons interprété Je me rappelle qui est une adaptation de I Remember de Suicide, mais avec un texte se référant à Georges Perec (son livre : Je me souviens) qui parle de notre adolescence à Troyes, quand nous étions encore au Lycée et que nous commencions à faire de la musique et des parutions d’ouvrages de poésie ou de textes en cut-up.


Malgré tout, sept années séparent Un\Real de Baphomet. Que s’est-il passé pendant ses sept années ?

Chelsea : Je me suis tout d’abord reconstruit après un passage assez difficile puis j’ai entrepris des études en sciences de l’information et cela m’a beaucoup accaparé. Mes activités artistiques étaient plus au moins au point mort, à part une série graphique sur le thème de la pornographie dans le style de mon travail avec Bazooka/Un regard Moderne. C’est une situation assez récurrente chez moi, j’alterne entre des périodes de grande production et de creux total. C’est un peu bipolaire mais cela doit être nécessaire pour renouveler mon inspiration.
Usher : Cette période de sept années fut extrêmement fructueuse pour ma part. J’ai en effet enregistré et surtout le dernier Die Puppe, A Doll’s House pour Kamisori, puis fondé BLACK EGG qui a sorti deux albums (Legacy from A Cold World puis Mélencolia) ainsi qu’un EP (Brotherhood) que aufnahme+wiedergabe (Berlin) ainsi qu’un CD Songs of Death and Deception chez UPR. Parallèlement à cela, j’ai initié l’expérience Adan & Ilse dont le cycle (5 albums et un EP) s’est achevé cette année avec un album Chirurgie Plastique où je me suis souvenu de Kraftwerk mais aussi de Jacno. Tous ces travaux m’ont permis de rencontrer Pedro HIV+, Normotone, Vera, Peter Rainman, Sebastien Faits Divers, Porl King, ou de renouer avec Mika Chrome. J’ai aussi sorti des albums très expérimentaux (Heal Heathen ou Withdrawal Strategies) et d’autres en collaboration avec Mnomized (The Color Thieves), Wehwalt, Osiris Module ou Zreen Toys (Der Traum).

Vous pouvez nous raconter comment c’est construit l’album Baphomet ? La couleur musicale, les thèmes que vous vouliez aborder, le choix du titre ?

Chelsea : Baphomet n’est pas un concept album en tant que tel, ce n’est pas une suite d’histoires ou de considérations ayant forcément des liens les uns avec les autres, le lien existant entre les titres c’est celui de notre appréhension du monde et de nos ressentis intimes ou réactifs à l’environnement dans lequel nous sommes immergés (la base de toute activité artistique en somme). Ce disque se situe donc dans la droite ligne des albums précédents avec des thématiques communes et constitutives de notre identité : l’illusion du réel, le contrôle des consciences, les territoires psychiques et magik [désigne un système magique, terme utilisé par Aleister Crowley-NDLA], La voie du rêve [appellation de traditions shamaniques-NDLA-] , un certain questionnement existentialiste, les relations entre plaisir et souffrance, la révolte… ce sont surtout des questionnements qui utilisent la méthode « paranoïa-critique » chère à Salvador Dali, qui ne prétendent pas apporter de solutions toutes faites, de « prêt-à-penser » mais qui expriment des points de vue ou projettent des « images-symboles ». Baphomet Sunrise qui donne son nom à l’album est issu d’un rêve très particulier, un rêve-monde. Du point de vue de Carl Gustav Jung on pourrait parler d’une forme archétypale ou du point de vue magik d’une vision. J’ai pratiquement retranscrit mot pour mot ce qui m’a été confié et puis j’ai cherché à en comprendre le sens par l’intuition et aussi en effectuant des recherches sur ce terme très ambigu. La composition musicale a suivi à peu près le même chemin. C’est vrai qu’il donne une certaine couleur globale à l’album qui se construit de fait sur des notions d’affinité, d’opposition et de complémentarité (yin/yang), d’autant plus qu’il se situe en miroir avec Kundali Rising sa parèdre qui vient clore le disque. Ces deux titres se renvoient l’un à l’autre et forment une boucle, comme une sorte d’Ouroboros (le serpent mythique qui se mord la queue). Il est en effet question d’alchimie, et c’est cette acceptation du Baphomet qui nous intéresse, et non pas l’imagerie sataniste qui ne nous concerne pas (et avec laquelle nous sommes en opposition). Le Baphomet en soleil levant est une représentation ésotérique hermétique (Là haut, comme ici-bas), elle exprime la nécessité (intérieure) d’unir les forces opposées afin d’atteindre l’unité, l’illumination, qui sauvera ce monde de la perte. L’interne s’appliquera à l’externe. L’animalité et le spirituel doivent s’unir dans l’harmonie : c’est le sens de la représentation la plus connue de Baphomet donnée par le dessin effectué par Eliphas Lévi dans son ouvrage Dogmes et rituels de haute Magie. C’est un symbole du nécessaire équilibre. La figure de la tour, dans la seconde partie, renvoie à une carte du tarot (La maison Dieu) ; elle précise l’impératif de cette mise en garde : conflit (opposition) le monde ancien, celui dans lequel nous vivons et qui est profondément malade, doit être détruit et il doit changer pour se reconstruire sous peine de catastrophe irrémédiable. La Magie c’est l’art de déplacer les fréquences de la perception, on peut utiliser certaines formes de rêve pour cela, des sons, des vibrations. Baphomet est un nom opérationnel.

L’album possède un son étonnant. Plus électronique que par le passé. Je sais que vous en êtes très satisfaits. Pouvez-vous nous raconter votre chemin qui part du son after punk/rock et indus au son plus électronique et ambiant ?

Chelsea : Il y avait déjà cette approche sur une bonne moitié de l’album précédent, celle en fait ou nous ne sommes que deux. Cette configuration restreinte nous oriente naturellement vers cette forme. Ca d’ailleurs été toujours plus ou moins le cas : Willpower et Ghost Rider sur l’album Attitudes sont de cette nature, pas mal de titres anciens figurant sur Message From The Dead aussi. Il ne faut pas oublier non plus qu’avec Coït Bergman [groupe pré-Norma Loy-NDLA], nous avons joué à la fin des 70’s sous forme d’un duo synthé/orgue/chant, ce sont les racines de Norma Loy. Le côté punk, ce serait plutôt celui de Metal Radiant (une autre de nos incarnations en 1977). Usher travaille depuis toujours avec les séquenceurs et les synthés, une grande partie de sa production solo est basée la dessus.

Usher : En effet, tous les projets dont j’ai parlé tout à l’heure font la part belle à l’électronique, et le fait de nous être repliés sur une formule à deux ou trois est venu amplifier cette tendance. Auparavant nous fûmes toujours un groupe avec batterie, à part Coït Bergman, ici ce sont les boites à rythme qui ont remplacé cet élément. Pour le reste notre inspiration est toujours ce qu’elle fut mais on perçoit ici davantage notre goût pour la musique minimale et électronique des années 80, passée à travers le filtre de nos obsessions et des souvenirs qui constituent notre enveloppe sonore.

Sur l’album il y a le titre 13 Novembre. Chelsea, tu peux nous en dire plus sur le besoin d’écrire sur cette triste soirée ? Depuis il y a eu l’attentat du 14 juillet à Nice. Que t’évoque cette période trouble de notre histoire ?

Chelsea : Il se trouve que dans le cadre de mon travail j’ai du intervenir sur le traitement photographique d’images de ces jeunes victimes, c’était très dur pour moi émotionnellement. Je vits pas loin des lieux frappés par les attentats, comme tout le monde j’ai été choqué bien sûr, j’ai également été frappé du fait que beaucoup de monde se trouvait en lien plus ou moins proche avec une des victimes de cet acte monstrueux. Je ne suis pas du tout étonné par l’ «évolution» actuelle du monde, cela fait très longtemps que nous prédisons la déliquescence des structures sociétales et des courants de la pensée dominante. Quand aux religions notre discours n’a jamais varié à ce sujet, nous considérons que ce sont des conglomérats politico-économiques de contrôle des consciences, les religions sont le cancer de la spiritualité. L’État Islamique s’inscrit parfaitement dans cette lecture.

Finalement on était plus libre dans les années 80’s, alors que la musique indé était plus sombre (cold, gothic) que maintenant (psyché, garage, pop). Que peut-on souhaiter aux enfants des 10 prochaines années ?

Chelsea : Nous avons beaucoup perdu sur le plan des libertés fondamentales. Je souhaite que les enfants des temps futurs mettent en œuvre le message de prise de conscience et d’éveil de Baphomet tel qu’explicité plus haut.

Usher : Surtout nous avons perdu les dimensions d’espoir et d’insouciance propres aux années 80. Tout était encore possible et l’essentiel de la production musicale de cette époque hante encore la nôtre. Sur le plan de la musique, celle-ci était encore une valeur sacrée, essentielle, on se battait physiquement entre membres des différentes chapelles, on attendait avec impatience la sortie des albums des groupes précurseurs, on pouvait fonder sa vie et ses valeurs à partir de la musique. Aujourd’hui elle n’est plus qu’un objet de consommation, elle a perdu sa brillance fétichiste, à de rares exceptions près. Sans parler de l’ « esprit » qui n’est plus le même, et au fond n’existe plus que chez ceux qui ont connu et vécu cette période.

Je sais que vous êtes très fan de Suicide. Alan Vega nous a quittés le 16 juillet dernier. Que représente cette disparition pour vous ?

Chelsea : Suicide est une influence majeure pour nous, outre le fait qu’Alan Vega soit à l’origine du nom Norma Loy. J’ai éprouvé une profonde tristesse à l'annonce de la disparition d'Alan Vega, une inspiration continue pour moi. Il constituait l'incarnation de l'exemple à suivre. Je regrette de n'avoir pu échanger davantage avec lui, il se montrait très accessible et profondément huma(i)n(iste). Le temps n'avait pas altéré sa révolte et son refus des compromissions. Norma Loy s'est toujours réclamé de l'héritage de Suicide, et nous avons à de multiples occasions repris des titres de leur répertoire.

Sur Baphomet il y a justement votre reprise Blue Moon et sur Je Me Rappelle, un son, une mélodie très Suicide/Vega. C’était un besoin vital pour vous de rendre à un moment donné dans votre carrière, votre hommage au groupe Suicide ?

Chelsea : Comme je viens de le dire nous avons édité des reprises de Suicide à de multiples occasions : Cheerie (sur PPHZ (1984)), trois versions de Ghost Rider (une sur la version cd de Sacrifice/T.Vision (1987), une sur Attitudes (1989), une sur la ré-édition de One/Psychic Altercation et Cheerie Dream sur la ré-édition du label Infrastion de Rebirth (une version mélangeant Cheerie, Girl et Dream Baby Dream). Il y aussi des versions live qui trainent ça et là (par exemple une vidéo sur notre site Normaloy.net) C’est donc plutôt une constante chez nous !

Usher : Je Me Rappelle est une version de I Remember augmentée de nos souvenirs adolescents, comme l’avait dit Chelsea. Le minimalisme pulsionnel et la fulgurance vocale et Suicide nous ont toujours fascinés, et c’est encore le cas aujourd’hui. Le premier album de Suicide est comme un chef d’œuvre absolu dont on s’inspire et dont on rejoue les titres inlassablement comme lorsque les élèves copiaient les œuvres des maîtres à l’époque classique.

En ce moment tous les groupes sortent leurs disques en vinyle. Vous enfant des années fin 70/80 qui sortiez auparavant vos disques en vinyle, vous sortez Baphomet qu’en CD. Pourquoi ?
Chelsea : Très simplement, d’une part on ne nous l’a pas proposé et d’autre part le cd ne tiendrait pas sur un simple vinyle. C’est d’ailleurs fort dommage parce que j’adore l’objet disque (33t ou 45t) que trouve bien plus beau qu’un cd. J’essaye d’apporter une plus-value en imposant des livrets et un packaging conséquent pour nos albums. De toute façon la question ne va plus se poser très longtemps encore car la dématérialisation gagne du terrain. A ce rythme on ne pourra peut-être plus qu’écouter des titres caché dans un Pokemon virtuel.
Usher : Nous aurions en effet préféré un vinyle, il n’est d’ailleurs pas dit que ça ne se fasse pas si les ventes de cd sont excellentes. Ceci dit encore une fois nous faisons en sorte que nos cd gardent ce côté « fétiche » avec des images, des signes et des messages particuliers.

Si vous avez des choses à évoquer, qui vous tiennent à cœur, et qui n’ont pas été posés dans mes questions, c’est ici.

Nous préparons actuellement une série de trois vidéo-clips pour accompagner la sortie de Baphomet : Strange Summer, 13 Novembre et (This is the Sound of) Apocalypse. Les prises de vues sont terminées, nous sommes actuellement en phase de montage et de post production pour une sortie prévue courant septembre. Le tournage a été effectué par Laurent Calmes qui a déjà produit la plupart des films existant sur le groupe, il en assurera la réalisation. Le bernois Normo Tone effectue en parallèle une version de Apocalypse. Coté musical deux projets destinés à des compilations d'hommage fort en vogue ces derniers temps sont prévus : une reprise d'un titre de Minimal Compact et une d'Alain Bashung (Bijou Bijou). Une ressortie « extended » grand format et couleur du coffret Mecanik BBs (26 visuels de Reed 013 + bande son d'Anthon Shield) sorti en 1984 sur CPM Rcds est en préparation sur une maison d'édition américaine.




4 commentaires:

  1. " [...] jusqu’à l’accident vital en vélo le 18 juillet 1988 " ?, Finalement ce n'était pas si fatal ce ramassage de gueule... Sacrée Nico, elle aura peut-être juste roulé sur une peau de banane... (À moins qu'elle ne l'ait cramée par les deux bouts ?)

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    1. en fait elle a eu une attaque cérébrale qui n'a pas été prise en charge dans les temps.

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  2. Oui, le mot "accident" n'est pas juste, c'est une "chute" de vélo qui a causé l'attaque cérébrale. C'est modifié.

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  3. Stanislas Fatalitas23 mars 2023 à 12:29

    Haha ! Disons plutôt qu'il aurait suffit de remplacer le mot "vital" par "fatal" !

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