vendredi 4 août 2023

"PARIS CINÉS : 1982-1992 Des cinémas disparaissent" de Jean-François Chaput (Snoeck) - 22 juin 2023

De 1982 à 1992, le photographe (également ex projectionniste au Studio des Acacias,  à La Pagode, au Saint-Germain des Prés) Jean-François Chaput a immortalisé sur papier argentique les cinémas parisiens qui allaient disparaitre, par manque de spectateurs. La fin d’une belle époque débutée de l’après-guerre jusqu'au début des années 70, quand le cinéma de quartier se portait très bien en faisant salle comble. Le cinéma étant une sortie, une évasion en famille (ah le cinéma d’Hollywood !) pour pas chère. Évidemment la télévision, puis la vidéo n’ont pas aidé à la survie de ses salles de quartier. De nombreux cinémas parisiens ont traversés les décennies à partir de la fin du 19ème, début 20ème siècle en s’adaptant à la demande du public (Gabin, Autant en emporte le vent, policier, western, péplum, comédie, cinéma Russe, indien, Maghreb, film de kung-fu, érotique, porno…), mais aussi au changement de population du quartier selon les vagues d’immigration. Avant d’aller plus loin, voici quelques noms de cinémas qui  portent à l’évasion, l'envie de sortir voir un film: Eden, Le Far-West, Scala, Concordia, Cinex, Neptunia, Midi-Minuit, Rio-Opéra, Le Ritz, Montmartre-Ciné, La Pagode, Kinopanorama, Panthéon, Galaxie…

Dans l’avant-propos de son livre, Jean-François Chaput nous racontes comment il a eu l’idée de photographier ses cinémas voués à la destruction pour être remplacé par un supermarché, une boutique de chaussures, une banque, un immeuble d'habitation, une route… : « Un matin d’octobre 1981, j’étais sur les Grand-Boulevards en repérage pour un projet de court-métrage, une histoire de hold-up qui se terminait devant l’écran d’un cinéma, sous les yeux du public. Je cherchais une petite salle moderne, au style impersonnel, et j’avais rendez-vous avec le projectionniste du Cinéac-Italiens. Il m’a ouvert les portes, j’ai visité les salles, pris quelques photos, puis nous sommes sortis. Comme nous discutions sur le trottoir et que j’expliquais au projectionniste ce que je comptais faire, il m’a dit : « Si vous voulez filmer ici, dépêcher vous, on ferme dans trois mois. » (Page 2)

Jean-François Chaput abandonne son projet de court-métrage et décide d’immortaliser en photos, mais aussi avec le témoignage des actifs du métier (projectionnistes, ouvreuses, caissières, contrôleurs, chefs de cabine, gérants) sur ces lieux de vie en plein déclin lors de cette décennie des années 80, avec la fermeture de 124 cinémas en seulement 11 ans. Né à Paris en 1955, Jean-François Chaput est déçu de voir disparaitre ses cinémas pour être remplacé par un supermarché. « C’est dingue quand on y pense, c’était un concert ! Après ça a été un cinéma et maintenant c’est un G20. La première fois que j’y ai été, j’ai vu des yaourts à la place de l’écran… Ah là la !... ». (Page 176, Pascale Besset ouvreuse aux Tourelles. Café-concert puis cinéma qui a existé de 1899 au 20 mai 1986. A l’ultime séance, est projeté le film Les Aventuriers de la 4ème dimension de Jonathan R. Betuel -1985-). Heureusement quelques cinémas ont résisté pour rester au moins un lieu culturel, concert, cirque, théâtre, pour La Cigale, Le Trianon, Le Berry Zèbre, où top de la classe, rénovés pour rester salle de cinéma pour le Louxor-Pathé, le Max-Linder, La Bastille qui devient MK2-Bastille, La Pagode qui devrait ré-ouvrir en 2024 après neuf années de fermeture et le Panthéon qui a le mérite d'être le plus vieux cinéma de Paris encore en activité. Le Panthéon a ouvert en 1907. C'est Ginette Leweber, en 1987, alors caissière du Panthéon qui est en couverture de Paris Cinés. Dans le livre, sont témoignage est court et sans bavure: "Nous les caissières, on n'a pas grand-chose à raconter, faut demander aux ouvreuses." (Page 224, Ginette Leweber)

Son livre Paris Cinés est l’aboutissement de 40 années consacré au sujet. Avant le livre, Jean-François Chaput a montré ses photos lors de nombreuses expositions à travers la France. Le format A4 en italien, et la qualité du papier, de l’impression couleur de Paris Cinés permet de mettre en valeur les photos pleine page réalisées par Jean-François Chaput. On voit les belles salles, souvent proche d’une salle de théâtre avec les rideaux et sièges rouges, mais aussi des salles fatiguées avec l’usure du temps, mais qui ont malgré tout une patine qui rend nostalgique d’un temps ancien, la cabine du projectionniste, la caissière à son poste de travail, les devantures des cinémas avec les affiches des films de la semaine, dont Le Brady avec les affiches peintes des films La Sorcière sanglante d’Antonio Margheriti avec Barbara Steele (1964), Lèvres de sang de Jean Rollin (1974). C’est un plaisir pour les yeux de feuilleter cet album avec des photos d'une autre époque, pas si lointaine, bien loin des multiplexes et des salles de cinéma sans humain(s), mais avec des machines pour prendre ou valider son billet, comme chez Mc Do. Autre force de Paris Cinés, ce sont les témoignages que Jean-François Chaput a recueillie tout au long des années 80. Des témoignages techniques avec les projectionnistes, car à l’époque, les films n’était pas en numérique sur une clé USB, mais en pellicule, dont il fallait surveiller le déroulement, changer de pellicule et bien les stocker au sec pour qu’ils ne prennent pas feu. Des témoignages cocasses avec les ouvreuses, caissières en contact direct avec les clients. Juste trois petits exemples parmi le florilège de témoignages : « Un jour, j’étais à la caisse, et puis y a un monsieur très bien, il s’amène et il me dit : "Je viens voir L’ouvreuse qui siffle." Je lui dis : "Monsieur aujourd’hui, on ne passe L’ouvreuse qui siffle, on passe Les Baiseuses en folie." Y me dit : "Non, vous m’avez mal compris, il paraît que chez vous, il y a une ouvreuse qui siffle pour rappeler les clients à l’ordre." C’était Éva. (…) Éva… elle voulait faire la police dans la salle. Alors elle avait une solution, elle avait une chaînette et un sifflet, un sifflet à roulette, et quand y se passait quelque chose dans la salle, braouaou ! Elle sifflait ! » (Page 32, Jacqueline Gisbert, caissière du Strasbourg -1990-).

Un autre témoignage : « …il y avait ce mythe d’Hollywood, les stars d’Hollywood, on alait au cinéma pour rêver, parce que nous on était, comment vous l’expliquer, avant-guerre c’était pas la richesse, alors le cinéma nous faisait rêver. On prenait du rêve pour la semaine, les petites qui travaillaient dans les bureaux, les vendeuses. C’est fait pour ça le cinéma, vous sortir de votre vie. » (Page 132, Madeleine Dupont, ouvreuse et caissière -1991-).

Et un petit dernier : « Y avait des hommes qui venaient au cinéma uniquement pour avoir la paix. Ils venaient voir une toile, oh ! ils arrivaient presque en pyjama en chaussons et en robe de chambre : "Parce ce que ça gueule à la maison", y me dit. Les appartements étaient petits à Belleville, alors ils étaient des fois quatre ou cinq dans deux pièces, alors la mère criait, les gosses criaient… Alors le père, hop, il allait se taper un film pour être tranquille une heure. » (Page 168, Christiane Leproux, gérante et femme à tous les postes au cinéma Le Berry -1991-).

Des témoignages authentiques, il y en a à foison dans les pages de Paris Cinés. D’autant, qu’elles sont retranscrites de tel façon qu’on a l’impression de les entendre parler juste à côté de nous. Ici on n’est pas dans le littéraire (quoi que), mais dans le langage populaire, le langage du vécu. Pour être le plus complet, les dernières pages de Paris Cinés contiennent un glossaire qui apporte des précisions utiles sur le Cinéma Bis, les formats 16, 35, 70 mm, le Cinémascope, Cinérama…

Pour 35 euros, vous avez un magnifique livre en couleur de 266 pages qui devrait combler tous les amateurs de films à voir dans une salle de cinéma et non pas en streaming sur son petit écran d’ordinateur.


Ici une interview de Jean-François Chaput réalisé en décembre 2010 sur le site Salles-cinéma.com : https://salles-cinema.com/anciens-cinemas/anciennes-photos-cinemas

https://www.facebook.com/profile.php?id=100055957908623

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/paris-cines-1982-1992-des-cinemas-disparaissent


1 commentaire: