mardi 25 avril 2023

"ANNE VAN DER LINDEN, Cavalière de la tempête" de Frederika Abbate (White Rabbit Prod/Les Presses du Réel) – Avril 2023


L’éditeur indépendant White Rabbit Prod s’est mis sur son 31, pour publier l’œuvre de l’artiste underground Anne Van der Linden. 240 pages couleurs au format 28 x 21 cm avec la reproduction de près de 300 œuvres (images, tableaux, dessins, documents inédits), dont de nombreuses pleines pages, autant dire que nos yeux sont éblouis par le graphisme  cru, rock’n’roll, tout en chair et de sang, mais pas que. La romancière et critique d'art, Frederika Abbate, passionnée comme une sainte devant le christ, nous raconte avec amour et détail, la carrière d’Anne Van der Linden, le tout avec le témoignage de l’artiste. Née en 1959 à Bromley (Angleterre), Anne Van der Linden, vit en France à Saint-Denis. En 1982, elle fait des études aux Beaux-Arts de Paris, mais n’y restera que 18 mois. Anne Van der Linden n’a pas besoin d’études d’art pour dessiner, avoir du style, étaler ses fantasmes sur le papier. Elle est du côté de la marge, plutôt dans les caves, sous-sol, que dans une galerie aux murs et lumière blanche avec pignon sur rue. Ainsi pas étonnant qu’elle travaille avec Jean-Louis Costes, le performeur scato qui délire sur de la musique noise bricolé sur un synthé de poche, en se mettant une carotte dans le cul. À ce sujet, je vous recommande le livre Pot Pourri édité en 2007, chez Le Dernier Cri (géré par Pakito Bolino) avec des dessins de l’artiste pour illustrer les textes des chansons de Costes à écouter sur un CDR inclue dans Pot Pourri

"Cavalière de la tempête", pages 28 et 29

Le livre de Frederika Abbate permet d’entrer dans la tête d’Anne Van der Linden, et ainsi d’avoir une porte qui s’ouvre pour pénétrer dans son univers écorché à vif, dans la chair qui déborde et s’entremêle avec son environnement. Sexe, pénétration, naissance avec douleur, mort, hémoglobine, gore pour « vomir des yeux » comme dirait Pakito Bolino, sont dans le bestiaire cruel d’Anne Van der Linden, porté par la marge de notre société et du mental humain. Avec son regard affuté, son sens de l’éclairage (même dans une cave humide non éclairée), Frederika Abbate accouche ici d’un bel ouvrage, clair et complet. Bref, son livre est incontournable et décisif pour l’amateur néophyte ou éclairé sur l’œuvre colossale d’Anne Van der Linden. J’ai posé quelques questions à Frederika Abbate au sujet de sa passion pour cette artiste singulière et hors norme.

Sourires mexicains (92x73cm) – 2012

Comment as-tu découvert l’artiste Anne Van der Linden ?

Dans la bibliothèque de Nicolas Le Bault qui appréciait ses tableaux depuis quelque temps déjà et il avait quelques livres d'elle dans sa bibliothèque. Cela m'a saisie et j'ai été séduite immédiatement. J'ai eu tout de suite envie d'écrire sur son travail et un premier texte est apparu. Je l'ai publié sur Facebook, et Anne Van der Linden l'a beaucoup aimé. Ensuite, nous lui avons proposé, Nicolas Le Bault et moi, de faire un livre avec elle dans la collection de livres miniatures Pool of Tears, chez White Rabbit Prod, la micro-structure éditoriale que dirige Nicolas. Dans ces livres, il n'y a jamais de texte. Anne Van der Linden a accepté et a souhaité que mon texte soit aussi dans le livre titré Zoo (NDLR : Ce petit fascicule graphique -10x15cm, 16 pages couleurs- contient les œuvres exposées à la Galerie Corinne Bonnet lors de l’exposition Zoo du 30 mars au 28 avril 2018 à Paris)

Qu’est-ce qui t’as plu immédiatement dans son travail ?

D'aller au cœur des choses en quelque sorte, de m'étonner, me surprendre tout en faisant vibrer en moi des résonances intimes. C'est troublant et fascinant ce mélange d'impressions, à la fois de la stupéfaction et une étrange impression de familiarité. Je crois que c'est ainsi qu'opèrent les œuvres importantes, de nous révéler quelque chose d'enfoui, de mettre en mots ou en images comme c'est ici le cas, ce qui nous traverse et nous agite au plus fort. C'est ainsi que les meilleurs artistes, écrivains, musiciens, tout en exprimant ce qu'ils ont de plus intime, touchent aussi d'autres personnes, ont pour ainsi dire un caractère universel. La peinture d'Anne Van der Linden m'a plu immédiatement et me touche particulièrement par ses sujets : les rapports entre les humains, le rapport de l'humain à la vie, à la mort, au cosmos, à l'amour et sa radicalité dans sa façon d'aborder ces sujets. Les thématiques qui animent ses œuvres sont très proches de celles de mes romans. La place primordiale du corps, des rapports des êtres entre eux, de l'amour pris dans sa dimension la plus haute.

Fouette cocher ! (65x81cm) – 2016

En tant que femme, que représentes pour toi les peintures de Anne Van Der Lindon, où le corps de la femme est très présent ?

J'ai toujours un peu de mal à me caractériser sous le mode « en tant que » simplement parce que cela voudrait dire que je suis divisée en moi-même et étiquetable sous différentes casquettes pour ainsi dire. Mon être-femme n'est pas séparable de mon être tout court. En revanche, je peux dire ce que je vois dans ses peintures : c'est qu'elle traite exactement de la même manière les corps des hommes et les corps des femmes, dans leurs formes et dans la façon dont ils sont peints, les touches de peinture. C'est peut-être cela qui est choquant dans le fond et surtout libérateur : des corps sont des corps, en dehors de la manière de voir des corps d'hommes ou de femmes sur un plan conventionnel. Comme je le montre dans mon livre, cela se place dans un registre cosmique. Ce sont des corps mis en regard avec des animaux, la présence des animaux est très importante chez elle. Les corps sont imbriqués au cosmos, à la vie nue, la vie qui nous dépasse.

Tout comme dans tes romans, les fluides corporels (transpiration, excrément, salive, sang menstruel…) et la représentation du sexe, notamment phallique sont présents dans son travail artistique. Tu as découvert son travail avant d’écrire des romans, et ainsi inconsciemment inspirer ton écriture, thème, où bien c’est ce sujet commun lié à la représentation du sexe qui a attiré ton attention sur son travail ? 

J'écrivais depuis vingt ans des romans à forte teneur érotique quand j'ai découvert sa peinture. C'est donc ta deuxième option qui est la bonne. Mais ce n'est pas la représentation de la sexualité qui m'a attirée chez elle. D'autres peuvent le faire aussi et me laisser complètement indifférente. C'est intéressant que tu dises qu'elle représente le sexe surtout dans sa dimension phallique. Car pour ma part, je trouve qu'elle représente également le sexe féminin. Ce que tu dis est très intéressant, c'est peut-être parce que tu es un homme et te trouve plus impliqué dans ses tableaux. Cela veut dire qu'elle touche directement son spectateur... C'est la qualité de ses peintures qui m'a attirée. Ce que nous avons en commun, c'est que l'érotisme n'est pas annexe mais fondamental, en ce qu'il fait appel chez les humains à ce qu'ils ont de plus profond en eux. C'est le rapport au charnel, à l'Autre. Que vaudrait la vie sans amour ?


"Cavalière de la tempête", pages 12 et13

Qu’est-ce qui t’a motivée à écrire un livre sur elle ? Et pourquoi ce  titre Cavalière de la tempête ?

C'est un élan spontané qui a relié tout de suite ma plume et ses toiles. L'étincelle de cet élan a jailli lors de son exposition Zoo en 2018, et cela a donné le premier texte dont j'ai parlé tout à l'heure. Ses toiles ont résonné tout de suite en moi.

Parallèlement, Nicolas Le Bault m'a dit que ce serait bien que j'écrive un livre sur elle car il avait saisi tout de suite des accointances, des proximités entre son travail et le mien. Et il désirait publier un livre complet sur Anne Van der Linden, trouvant qu'aucune monographie complète existait sur elle, rien que des livres fragmentaires et que son œuvre méritait un ouvrage couvrant l'ensemble de ses périodes et traitant de son art en profondeur. Ces deux désirs conjugués, le mien et celui de Nicolas Le Bault, ont rencontré l'approbation enthousiaste d'Anne Van der Linden. C'est ainsi que le projet, qui germait depuis le début de notre rencontre je pense, a éclos pour ce résultat formidable dont nous sommes très fiers. Le titre m'est venu parce qu'en travaillant à ce livre, j'ai pensé à William Blake, et que le groupe rock The Doors s'appelait ainsi en référence à l'expression de Blake : ouvrir les « portes de la perception ». Là, m'est venu en tête un morceau des Doors que j'aime beaucoup, Riders On The Storm, et cela a donné Cavalière de la tempête. Anne Van der Linden chevauche la tempête pour nous et cette tempête, c'est la vie, dans son jaillissement intempestif.

Quelques mots sur le processus de la mise en place du livre, (écriture, angle d’approche, rencontre avec l’artiste). C’est un travail qui t’a demandé combien de temps pour aboutir au rendu final ?

Le feu vert a été donné à la mi-mai de l'année dernière. Anne Van der Linden m'a envoyé les principaux articles écrits sur elle et j'ai regardé ses principaux livres. Nicolas Le Bault en possédait déjà un certain nombre. Les autres, Anne Van der Linden me les a prêtés. J'ai regardé aussi des films, d'elle ou sur elle. J'ai ensuite puisé dans son site les peintures qui me parlaient le plus et je les ai classées par dates. J'ai commencé à dégager des thématiques de mon livre et j'ai dressé une série de questions à lui poser directement. Chaque fois que je rapporte un propos qu'elle m'a dit, c'est mentionné dans le livre. Mes questions ont beaucoup porté sur sa vie, les années de voyage par exemple que j'ai trouvées très importantes dans l'élaboration de son œuvre et comme sources d'inspiration. Elle a voyagé en Inde, en Afrique, en Amérique Latine, à la rencontre chaque fois de peuples premiers. Elle a été étonnée que je l'interroge autant là-dessus, elle m'a dit que personne ne l'avait fait auparavant. C'était juste mentionné dans sa biographie. J'ai traité d'abord sa vie en rapport à sa création. Et il y a tout un travail sur le monde, la culture underground. La partie critique, dégageant ce qui est pour moi le sens de son œuvre, qui est tout à fait originale, est le fruit de mes longues années d'étude pour la préparation de mes romans, de mes textes, ma culture personnelle. J'ai terminé le livre fin septembre de l'année dernière. Quatre mois et demi en tout, j'ai travaillé intensivement, passionnément !

 

Ballade Futuriste (54x65cm) – 2017

Andromède (81x100cm) – 2020

Il y a beaucoup d’illustrations, d’œuvres dans la mise en page du livre. Comment les as-tu récoltées ?

Nicolas Le Bault a voulu que le livre soit le plus complet possible, dans la mesure il couvre l'ensemble des périodes et montre l'envergure de son travail. Comme toujours chez White Rabbit Prod, il y a un contrat moral et non écrit entre l'artiste et l'éditeur. White Rabbit Prod n'est absolument pas subventionné, Nicolas Le Bault refuse toute aide de l'État, de quiconque et tient absolument à son indépendance. L'artiste envoie des fichiers Haute Définition de ses œuvres pour l'impression. Il est payé en exemplaires, qu'il vend à sa guise, comme cela lui convient. Ainsi, White Rabbit Prod peut produire des ouvrages de qualité.

Les œuvres de ce livre couvrent toutes les époques connues et inconnues, car il remonte à la genèse même de l'œuvre, avec des documents inédits : la période de  l'abstraction, où la jeune artiste était à la recherche des formes, l'apparition de la figuration, ses premières toiles intimistes que personne ou presque n'avait vues, et la revue La Vache bigarrée aussi.

Peux-tu en une phrase résumer les qualités artistiques, la personnalité d’Anne Van Der Linden ?

Sa peinture nous fait sentir que nous sommes pris et emportés dans un courant plus vaste, traversés par des pulsions primordiales qui nous animent. C'est une personnalité qui, comme tout artiste véritable, se dédie entièrement à l'art, toute sa vie s'y consacre. Elle fonctionne de manière spontanée, non par concepts mais principalement par images.

 

La dernière phrase de ton livre est : "Ainsi elle a ré-enchanté le monde." C’est une belle phrase pleine de promesse.

À l'inverse d'un art conceptuel, formaliste, qui a envahi la scène artistique, qui s'est ancrée surtout sur une absence de sens, sur une vacuité, chose que dénonçait à sa manière toujours fine et élégante Jean Baudrillard, Anne Van der  Linden nous montre que la vie a un sens, c'est celui de notre courage et de notre élan à nous investir pleinement dans notre vie, à vouloir aller absolument vers l'Autre, montrant que les rapports d'amour existent, même s'ils comportent, au- delà de la tendresse, cruauté et violence. Elle ré-enchante le monde en insufflant fortement du charnel. Dans ce monde qui aujourd'hui se désincarne de plus en plus, devient flou, sans repères, hors de la matière et de la vraie vie, c'est une œuvre incontournable aussi dans ce sens.

S’il y un message à faire passer à nos lecteurs, c’est ici !

Regardez les toiles d'Anne Van der Linden. Lisez Anne Van der Linden, Cavalière de la tempête, vous ne le regretterez pas et vous ferez un pas de plus au-delà du bien et du mal de la Vie.

Le lion chimérique (130x89cm) – 2023

Exposition Le Vice Suprême du 15 au 20 mai 2023 à l’Atelier Basfroi à Paris 11ème


http://www.annevanderlinden.net/

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