La Cible (Targets en VO) est le film type de la méthode Roger Corman, dont le titre de son autobiographie prend ici tous son sens : Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime (Capricci/Harmonia Mundi-2018). Réputé pour être très radin, Roger Corman a la possibilité d’avoir le GRAND acteur Boris Karloff à sa disposition suite à un accord avec l’agent de Karloff qui désire récupérer une part des bénéfices du film L’Halluciné – où Le Château de la terreur (The Terror en VO) sortie en 1963. Ce film est déjà une tambouille réalisé sur les économies du film Le Corbeau (The Raven en VO) avec Boris Karloff. A la fin de la réalisation du Corbeau, Corman découvre que Boris Karloff peut rester deux jours de plus sur les plateaux, avec les magnifiques décors, dont un château, ainsi pourquoi pas les réutiliser pour un autre film. Ainsi en un week-end, avec l’aide des techniciens toujours sur place, Roger Corman va une nouvelle fois tourner avec Boris Karloff alors âgé de 76 ans, pour jouer le rôle du Baron Von Leppe. Jack Nicholson également à l’affiche du Corbeau remet le couvert pour L’Halluciné. Évidemment, un week-end pour faire un film, ce n’est pas suffisant, mais toutes les scènes avec Boris Karloff sont tournées, il ne reste plus qu’à la seconde équipe de tourner les scènes supplémentaires (géré par trois réalisateurs en plein apprentissage, soit Francis Ford Coppola, Monte Hellman, Jack Hill, Jack Nicholson) et enfin au montage de faire de la magie pour rassembler les scènes et rendre le film visible et compréhensible. Au final, la réalisation de L’Halluciné n’a pas coûté cher et va rapporter beaucoup d’argent grâce à la présence de Boris Karloff à l’affiche. C’est sur le tard, que l’agent de Boris Karloff découvre que L’Halluciné a rapporté beaucoup d’argent, ainsi c’est seulement en 1967 qu’il demande sa part du gâteau avec un bon pourcentage en prime.
Mais avec Roger Corman, on n’a pas rien pour rien. Ok pour une part du gâteau bien énumérée, mais en contribution, avoir deux jours de tournage avec Boris Karloff, qu’importe qu’il soit âgé de 80 ans, qu’il ait des problèmes de santé, notamment à sa jambe. L’agent a réussi à convaincre Karloff pour ces deux jours. L’argent donne de la motivation! Il ne reste plus qu’à écrire un scénario qui puisse utiliser deux jours de tournage avec Boris Karloff. Roger Corman aux finances fait appel au jeune Peter Bogdanovich qui lui a déjà pas mal rendu des services en tant qu’acteur et scénariste, notamment pour le film Les Anges sauvages (The Wild Angels en VO), The Trip. De plus, pour Peter Bogdanovich alors acteur, c’est l’occasion de devenir réalisateur pour le cinéma (pour la télévision il a déjà réalisé un documentaire consacré à Howard Hawks) et d’avoir un acteur légendaire à diriger. Corman lui donne un conseil en or : "Tu prends un vingtaines de minutes de L’Halluciné et ensuite tu tournes deux jours avec Karloff pour obtenir vingt minutes supplémentaires. Rien de compliqué, j’ai tourné des films entiers en deux jours. Puis tu tournes avec les autres acteurs pendant dix jours, tu filmes encore quarante minutes et j’obtiens un tout nouveau Karloff de 80 minutes." (Page 76, L’Ecran Fantastique vintage n°14, spécial Roger Corman, juillet 2023). La méthode Corman, c’est tout un art !
Âgée de moins de 30 ans, c’est l’âge pour relever des défis, Peter Bogdanovich va faire travailler ses méninges et trouver sans trop de difficulté un scénario qui tient compte du conseil de son mentor Corman. Notre cinéaste en herbe va imaginer un vétéran du Vietnam qui a perdu la tête. Il va tirer sur des gens dans un drive-in. Le drive-in permettant de projeter le film L’Hallucinée. Au commande de La Cible, Peter Bogdanovich sera aux postes de réalisateur, au scénario, au montage et acteur.
Synopsis de La Cible :
"Byron Orlok (Boris Karloff), célèbre acteur de films d’épouvante, a décidé de mettre un terme à sa carrière. Sa dernière apparition publique aura lieu le lendemain à un drive-in où il présentera son dernier film. Ce jour-là, Bobby Thompson (Tim O’Kelly), un assureur fasciné par les armes à feu, abat de sang-froid sa mère et sa femme. Bien décidé à ne pas s’arrêter là, le jeune homme poursuit sa route, jalonnée de cadavres, jusqu’au drive-in…".
Le réalisateur Samuel Fuller va aider Peter Bogdanovich pour finaliser, améliorer le scénario. Sur sa demande il ne sera pas crédité au générique, Fuller ne voulant pas faire de l’ombre au débutant Bogdanovich. Le résultat donne un magnifique thriller bien monté, qui ne ressent pas les contraintes de la réalisation, le côté bout de ficelle qui n'est heureusement pas du tout visible à l’écran. Au contraire, on a ici affaire à un vrai film qui tient le spectateur en haleine. Le film est tellement bien réalisé, bien monté, que Boris Karloff le considère comme son dernier film, balayant La Maison ensorcelée de Vernon Sewell (1970), The Snake People de Jack Hill (1971), The Incredible Invasion de Jack Hill (1971), El Coleccionista de Cadaveres de Edward Mann (1971). Boris Karloff rejoint les étoiles le 2 février 1969 à l’âge de 81 ans.
La force de La Cible est de faire cohabiter la vrais histoire de l’icône du film d’horreur Boris Karloff alors très âgé, qui désire se retirer du monde du cinéma, d’autant que le style horreur en 1968 n’est plus le même que celui des années 30 avec les films Universal. En 1968, sur les écrans, c’est La nuit des morts-vivants réalisé par George A. Romero qui bouscule les codes avec ses images sales avec de la violence, du sexe, pour un budget dérisoire de 114 000 dollars. Dans La Cible, il y a deux trois scènes qui montrent l’humour de Karloff face à son statut de monstre d’Horror films, notamment quand il sursaute quand il se voit dans un miroir. La partie « tireur psychopathe » qui tire sur la foule est inspirée de la fusillade de la tour de l’Université du Texas à Austin le 1er août 1966 par Charles Whitman âgé de 26 ans, qui fera 16 morts et 32 blessés, après avoir tué sa mère et sa femme. Au bout de deux heures, Charles Whitman sera tué par les tireurs d’élites. Dans La Cible, notre tueur aura un autre sort.
La Cible fait sa première en salle à New York le 13 août 1968, puis en septembre au festival du film d’Édimbourg. La Cible n’aura pas de succès, car la même année, il y a eu aux États-Unis deux assassinas importants, Martin Luther King le 4 avril, Robert Francis Kennedy le 6 juin, ainsi le public américain n’a pas envie de voir des films violant avec un tireur fou. En France La Cible sort en salle le 31 mars 1971. La Cible n’a pas rencontré le succès, mais a permis de montrer le talent de Peter Bogdanovich en tant que réalisateur. Ainsi en 1971 il va réaliser le film La Dernière séance (The Last Picture Show en VO) qui va avoir plus de succès. Ce film avec le jeune acteur Jeff Bridges est chaudement recommandé !
Carlotta Films vient de publier le film en Blu-ray, en DVD, le tout restauré en 2K effectuée à partir d’un scan 4K supervisée par Peter Bogdanovich. Coté bonus, il y a le commentaire audio et une présentation du film par le réalisateur, le doc Sidération par Jean-Baptiste Thoret et la bande annonce. Pour les amateurs de goodies qui prennent de la place sur l’étagère, il y a une version « prestige » limité à 2000 exemplaires avec fac-similé, jeu de photos de tournage, affiche. A noter que la précédente version DVD, date de 2003 avec déjà le commentaire audio et la présentation du film.
https://laboutique.carlottafilms.com/products/la-cible-de-peter-bogdanovich
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