dimanche 19 novembre 2023

HOLLY GOLIGHTLY + LORD ROCHESTER au TMB à Montreuil le 17 novembre 2023

Cela fait 19 ans qu’on attendait le passage d’Holly Golightly à Paris. Son précédent concert parisien remontait au 27 avril 2004 au Festival Les Femmes s’en mêlent au Café de la Danse. Soit une éternité. Ainsi pas étonnant que le Théâtre Municipal Berthelot Jean-Guerrin situé à Montreuil (ville considérée par certains comme le 21ème arrt. de Paris) soit rempli comme un œuf. Depuis 2004, Holly Golightly a publié en duo avec The Brokeoffs, 10 magnifiques albums de country folk lo-fi acoustique, puis en solo à partir de 2015 deux nouveaux albums -le précédent Slowly But Surely, alors 10ème album remonte à 2004-. Bref elle n’a pas chômé. D’autant qu’en 2003 étant amie avec les White Stripes (ils ont fait des tournées ensemble), ceux-ci l’invitent à chanter sur le morceau Well It’s True That We Love One Another qui clôt l’album Elephant, album qui va se vendre comme des petits pains. Bref, un bon petit buzz pour Holly Golightly, plutôt discrète, habituée à l’underground pur et dur. A ce jour, avons-nous lu  une page sur elle dans le mensuel Rock & Folk ?

Holly Golightly -TMB- Montreuil- 17/11/2023 @ Paskal Larsen

En ce soir du 17 novembre 2023, le public rock résistant (la moyenne d’âge est de 45-60 ans) s’est déplacé en masse pour retrouver l’esprit des labels Damaged Goods, Sympathy For The Records Industry, Crypt Records-compiles Back From The Grave, l’esprit du pionnier punk garage lo-fi anglais de Billy Childish, l’homme qui a joué dans un nombre infini de groupes. Également figure liée à Holly Golightly avec Thee Headcoats (une vingtaine d’albums entre 1989 et 1998), dont Holly et trois copines (Debbie Green, Kyra, Sarah J. Crouch) vont créer la version féminine avec Thee Headcoatees (six albums, plus deux albums avec Thee Headcoats entre 1991 et 1999), sans oublier l’album In Blood (1999) réalisé en commun. Dans une certaine idée, de comment devrait sonner la musique rock qui vient de l’âme, des tripes, qui donne l’envie de prendre une guitare, d’y poser sa voix, de se servir de ce qui nous entoure pour en faire des percussions et hop on se lance pour jouer avec foi et naturel. Bref le blues à l’état brut, mais avec de la chair dans la façon de se l’approprier. On n’a malheureusement pas toute la fibre, le talent musical pour pouvoir jouer avec l’émotion communicative. Par contre c’est le cas pour Holly Golightly et toute la bande qui entoure Billy Childish. Leur musique, qu’elle soit sophistiquée ou primitive sonne toujours divinement bien. C’est la classe des artistes, qui en prime trouvent un son identifiable à partir de l’histoire de leurs aînés qui viennent du blues, de la country, du rock’n’roll, du rockabilly, du R&B, de la folk, du garage, du surf, l’americana. Dans la discographie d’Holly Golightly il y a justement de nombreuses reprises (Ike & Tina Turner,  The Jaynetts, Little Walter, The Kinks, Billy Myles…), mais ce sont évidemment les compositions originales qui dominent sa discographie.

Lord Rochester -TMB- Montreuil- 17/11/2023  @ Paskal Larsen

C’est donc dans un théâtre municipal que la soirée va se dérouler. Quand on entre dans la salle, on retrouve les sièges rouges, couleur des salles de spectacle, mais aussi pas mal d’espace entre la scène et le premier rang, ce qui permet de voir également le concert debout. Si la salle est grande, c’est surprenant de voir que finalement la scène n’est pas très spacieuse. L’entrée en matière commence avec le trio écossais Lord Rochester.  Au chant et guitare customisée, le monsieur loyal Russell Wilkins aka Big Ross, à la basse la séduisante et pétillante Saskia Holling (1), à la batterie Florian Cité. Sur scène le duo Russell Wilkins et Saskia Holling prend tout l’espace en s’amusant à nous jouer du rock 50-60 inspiré de Bo Diddley avec l’insolence punk primitif des Cramps. Leur musique est joviale, donne instantanément envie de danser, de faire le pitre. Ils ont un look cartoon où le personnage animé serait un monkey. Avec eux, l’espace temporel mélange les années 1955, 1966, 1977 avec style. Inutile de faire un long discours, Lord Rochester est un groupe scénique qui fait remuer le public du début jusqu‘à la fin du set. A noter que Russell Wilkins n’est pas né de la dernière pluie, depuis le début des années 80,  il a joué  dans une pelletée de groupes, dont Thee Milkshakes, The Pop Rivets (deux groupes avec Billy Childish) et Delmonas. Bref, jouer devant un  public, il connaît, ce qui explique sa facilité à se l’approprier pour participer à sa fête garage rock.

Les musiciens de Holly Golightly -TMB- Montreuil- 17/11/2023 @ Paskal Larsen

Après ce joli tour de chauffe (qui a bien brûlé nos toxines), place au concert de Holly Golightly. Après 15 minutes d’attente, elle arrive, tout de noir vêtu avec ses trois musiciens : Matt Radford à la contrebasse, Bradley Burgess à la guitare électrique et le fidèle Bruce Brand à la batterie. Matt Roadford et Bradley Burgess jouent avec Holly Golightly depuis 2015 sur l’album Slowtown Now !. Quand à Bruce Brand, c’est depuis la nuit des temps qu’ils se connaissent, jouent ensemble. Il est présent sur quelques albums de Thee Headcotees, présent depuis le premier album solo de Holly, The Good Things sorti en 1995. Bruce Brand, fait partie de la grande famille Childish en jouant avec lui dans plusieurs groupes dont The Milkshakes et Thee Headcoats. En parallèle, depuis 1980, il a joué dans un nombre infini de groupes garage. La date de ce soir, est la première de la tournée 2023. A noter qu’il y a 4 dates en province. Le groupe se met en place, ce sont les retrouvailles, la précédente date de concert, remonte sûrement à plusieurs mois. Tout le monde à sa place, et c’est parti pour 90 minutes de musique rock et blues avec le parfum de l’Amérique d’avant les startups de la Silicon Valley. Dès le premier morceau, la voix d’Holly, forte, habitée, parfois mélancolique, légèrement nasillarde, nous enveloppe de son timbre vocal unique, difficile à définir avec des mots écrits. C’est une voix qui n’a sa place qu’à l’écoute et non pas à travers une écriture sur du papier ou sur la toile du net -pas toujours net !-. On sent Holly heureuse de partager sa musique avec le public. Entourée de ses musiciens d’excellence, chacun au top de son instrument de musique, Holly, également à la guitare déroule son large répertoire où le rock et le blues sont rois. La guitare électrique de Bradley Burgess (à noter qu'il sera sur le prochain album de Fabienne Delsol, elle aussi sur le label Damaged Goods) fait des miracles, tant son jeu est bluffant. Il a de l’or qui coule le long de ses bras pour enflammer les cordes. Bruce Brand joue de la batterie avec une décontraction telle, qu’il pourrait boire en même temps un verre de whisky, ou discuter quelque instant avec vous. Il a la cool attitude et surtout une frappe unique. Sa force, c’est d’avoir gardé la fraicheur de jeu des premiers jours, tout en ayant acquis de l’expérience, sans en faire des tonnes. Juste la classe. Matt Radford à la contrebasse, fait également le job, en tenant en prime la setlist. Entre chaque morceau, Holly se retourne vers lui pour savoir la suite du set, et après quelque micro mise au point (pour rappel, c’est la première date de la tournée), l’équipe joue magistralement le morceau. Ce rituel sera là pendant tout le concert. Quand ça joue, le public est bluffé par tant de brio juste naturel, comme porter un t-shirt  usagé des Sonics, des Cramps ou de Nancy & Lee. Pour l’amateur de la musique qui sent le bayou, le rock 50-60 sans poussière, ni toiles d’araignées, bref du rock classieux comme un film en noir et blanc de Jim Jarmusch (dont on trouve la présence d’Holly sur deux morceaux de la B.O. du film -en couleur- Broken Flowers). Avant que cette chronique ne devienne trop longue pour remplir le chapitre d’un livre, on va juste conclure, avec le rappel où Russell et Saskia sont venus rejoindre Holly pour un final festif. Cela valait la peine d’attendre 19 ans,  en espérant qu’elle n’attendra pas autant pour revenir, car là pour le coup le public présent au TMB -du moins une partie du public- risque de venir avec un déambulateur.

Holly Golightly -TMB- Montreuil- 17/11/2023 @ Paskal Larsen

Nota : Remerciements à Philippe Migrenne pour son aide érudite et à Gilles Barbeaux pour les vidéos du concert. Sans oublier Cédric Caer qui a organisé le concert et Patrice Caillet, programmateur au TMB.

(1): Saskia Holling a écrit un livre sur l’histoire des Delmonas et Thee Headcotees:  'Girlsville: The Story of The Delmonas & Thee Headcoatees (Spinout Publications) https://www.spinoutproductions.com/product/girlsville-the-story-of-the-delmonas-and-thee-headcoatees/

Holly Golightly est actuellement en tournée, dates ci-dessous:

Si un jour à cause des inondations, je ne dois prendre qu’une dizaine de disques avec moi, il y aura dans le lot l’album Truly She Is None Other. Chronique ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2020/12/holly-golightly-truly-she-is-none-other.html

https://damagedgoods.co.uk/bands/holly-golightly/






samedi 18 novembre 2023

PATRICE CAILLET "Un champ d’observation des surfaces phonographiques altérées" (Labelle 69) – Novembre 2023

Voici un disque insolite à découvrir si vous êtes curieux de la marge. Sous le titre à rallonge, digne d’une thèse en musicologie : Un champ d’observation des surfaces phonographiques altérées, Patrice Caillet nous propose 50 extraits de disques 33 tours, 45 tours, 78 tours, hors d’usage, détériorés, endommagés (défaut de pressage, rayé, cassé, voilé, usée, plié, peint,  papier collé, moisissures à cause de dégâts des eaux -dans le Nord Pas-de-Calais suite aux inondations, il risque d’y en avoir prochainement des vinyles dans les poubelles ou premiers vides grenier du printemps 2024-. Ces disques, Patrice Caillet les as trouvé « en fin de marché aux puces, prélevés dans la poubelle de disquaires, une déchetterie, sur un trottoir, un vide grenier, aux encombrants. » (Texte extrait d’une note explicative de Patrice Caillet, inscrite au dos de la pochette du 33 tours). Avant d’aller plus loin dans le contenu du disque, un petit mot sur Patrice Caillet. On le connait pour ses livres Discographisme maison/Homemade Records sleeves (1) consacrés aux pochettes de disques modifiées, griffonnées, customisées par des inconnus. Là aussi, Patrice Caillet va glaner dans les vides greniers, Emmaüs, foire à tout, pour trouver ses pochettes brut, que seul son regard peut y trouver de la poésie, mais une fois tous ses disques réunis, ils vont former un ensemble esthétique. On connait aussi Patrice Caillet pour son festival La Semaine du Bizarre qui a lieu tous les ans au mois de décembre au Théâtre Municipal Berthelot Jean-Guerrin à Montreuil, où il travaille en tant que programmateur. Depuis sa première édition en 2010, on a pu voir à La Semaine du Bizarre, Pere Ubu, Dominique Petitgand, HEIMAT, Denis Lavant, Pascal Comelade, Pierre Bastien, Vincent Epplay, Jac Berrocal, Dorian Pimpernel, Luis Rego lire du Roland Topor, Emmanuelle Parrenin, pour ne citer que quelques noms.

Après cette toute petite présentation, revenons à notre disque insolite. Déjà les 50 micros extraits sont réunis sur une seule face. L’autre face est vierge, avec l’inscription sur la rondelle centrale "Surface test d’anti-patinage". Maintenant parlons des réjouissances sonores… qui grésillent, sautent, sont rayés. Parfois une voix, un son rayé arrivent à sortir un semblant de note, mais ce n'est qu'une impression. L’ensemble sonne bruitiste, avant-garde. Il y a l’effet scratch, mais sans le groove, malgré la présence de Under the groove du groupe Funkadelic. C’est d’ailleurs ce 33 tours qui a subit le dégât des eaux  (= papier collé, moisissures) qui fait la pochette de l’album. Si dans la liste des disques endommagés, il y a quelques noms connus (Velvet Underground, Jean-Sébastien Bach, Laurie Anderson, Sidney Bechet, Guy Bedos), inutile de chercher une mélodie, un rythme, ici c’est la fête du craquement, du feu de bois. Pas besoin de demander les droits d’auteurs, ici l’auteur était déjà parti au rebut. Même le retour à la vie sur un support vinyle via Patrice Caillet et le label Labelle 69 de Jérôme Poret qui l’édite, n’aura pas réussi à faire retrouver à l’auteur sa couleur musical, ici recyclé en bruit ou grésillements. Dans l’esprit, sonore, travail avec le support vinyle, on pense à Christian Marclay, voir au premier album solo de Lee Ranaldo, From Here To Infinity, dont chaque fin de morceau est gravée sur un sillon qui tourne en boucle. La boucle, c’est justement l’effet que procure l’écoute Un champ d’observation des surfaces phonographiques altérées. Par instant on a envie de lever le bras de la platine pour avancer le disque, car on pense qu’il est rayé pour de vrais, qu’il va tourner en boucle jusqu’à notre intervention. C’est évidemment un effet sonore, vu que l’album n’est pas rayé, en espérant qu’il n’y est pas dans ce pressage à 300 exemplaires, quelques canards boiteux qui sont rayé pour de vrais. Par contre, au verso de la pochette, il y a une faute d’orthographe dans le « champ » du titre avec un « s » en trop. Quand j’ai vu la longue liste de disques utilisés, j’ai pensé au groupe belge 2 Many DJ’s avec leur album (devenu culte) AS Heart On Radio Soulwax Pt.2 (2002) avec la liste infernale de samples. Par conte coté style de musique et démarche, ces deux disques n’ont pas de lien. Pour plus d’information sur la démarche, concept de cet album, Patrice Caillet a écrit au dos de la pochette du 33 tours, un joli texte détaillé à côté de la liste des 50 disques glanés. Ce texte et la liste, on le trouve aussi sur la page de présentation du site de Labelle 69 (lien ci-dessous). Vous voilà armé pour écouter en toute sérénité, Un champ d’observation des surfaces phonographiques altérées.

L'album est disponible à Paris chez le disquaire Souffle continu (20-22 rue Gerbier, 75011 Paris)

(1): Chronique du livre Discographisme maison/Homemade Records sleeves ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2022/11/discographisme-maisonhomemade-records.html

https://www.labelle69.com/blog/portfolio/un-champ-dobservation-des-surfaces-phonographiques-alterees/

https://www.facebook.com/labelle69records/?locale=fr_FR

https://www.facebook.com/patrice.caillet.37/?locale=fr_FR

vendredi 17 novembre 2023

LAUDANUM "As Red As Your Lips" (We Are Unique!) – 17 novembre 2023

Au mois de septembre dernier, Matthieu Malon aka Laudanum publiait As black as my heart album qui fait partie d’une trilogie. Voici le second volume titré As red as your lips. Dans ma chronique du premier volume, je fais une petite présentation (1). Une des particularités de la trilogie, est que dans chaque album il y a une pléiade d’invités. Pour la partie Red, Matthieu Malon est entouré de Nolto, DJ Need, Alice Hubble, Aidan Moffat (Arab Strap), Angela Aux (Midnight Embassy), Chloé Saint-Liphard (Collection D’Arnell-Andrea) et David Best (moitié du duo Fujiya & Miyagi), soit une belle brochette d’artistes du milieu indé (rock et électro). De par le nombre de personnalités, chaque morceau composé par Laudanum a sa couleur: pop, électro, trip hop, rock indé, tout en gardant une unité de style à travers le son électro. On n’est pas dans une compilation. Red est moins cinématique que la partie Black. De par sa couleur, les morceaux sont plus solaires, plus pop que la face Black. Même le morceau To the lighhouse avec au chant Chloé Saint-Liphard du groupe new-dark wave Collection D’Arnell-Andrea possède une patine pop aérienne positive des plus agréable à écouter. Et juste après, entendre le phrasé parlé de David Best (stylé Bertrand Sumner de New Order ou David Sylvian ex Japan) sur les nappes synthétiques, teintées d’Orient de Laudanum est un pur bonheur. Bref la couleur rouge se marie très bien avec la musique de Laudanum. En janvier 2024, fin de la trilogie avec As blue as my veins.

(1): Chronique de l’album As black as my heart ici: https://paskallarsen.blogspot.com/2023/09/laudanum-as-black-as-my-heart-we-are.html

https://laudanumfr.bandcamp.com/album/as-red-as-your-lips-volume-4-2

https://laudanum.fr/

https://www.facebook.com/welovelaudanum?locale=fr_FR