Modern Studies est un
groupe écossais qui s’est formé en 2015 sur une idée d’Emily Scott qui
avait écrit quelques esquisses sur un grand harmonium à pédales qu’elle avait
dans son appartement de Glasgow. We Are
There est le 4ème album studio, mais n’oublions pas de rajouter Emergent Slow Arcs (2019) composé avec Tommy
Parman. Ainsi en avant-poste de Modern Studies (nom emprunté au
journaliste Euan McColm qui offre sur sa page Twitter des études
modernes), il y a la compositrice, multi instrumentiste et chanteuse Emily
Scott. Elle est entourée de trois musiciens chevronnés, également
compositeurs et multi instrumentistes (Rob St. John, Pete Harvey,
Joe Smillie) qui développent pour elle ses ébauches qui vont devenir des
petites perles musicales. Le groupe compose ses morceaux dans le centre de
l’Ecosse (le Perthshire) en pleine campagne avec ses collines et ses rivières.
Là, Peter Harvey également au poste de producteur,a son studio,
le Pumpkinfield, rattaché à sa maison familiale. Dans cet endroit calme avec
jardin, tout est en place pour composer et enregistrer la meilleure musique
possible. Il est clair qu’à l’écoute des nouvelles compos, ce cadre bucolique,
loin du speed urbain, se ressent immédiatement dans la musique du quatuor.
Aérienne,
feutré, pastorale, il y a ici une sérénité, une complicité qui s’installe dès
les premières notes. La voix à la fois posée et solaire de Emily Scott, (em)portée
par les harmonies et arrangements soignés, avec violons à foison, donnent aux
compos aux couleurs fin 60, début 70 une magnifique texture folk, psyché et
pop. On est quelque part entre Pentangle, Marissa Nadler,The
Besnard Lakes, mais c’est évidemment juste trois noms, car difficile de
mettre la musique de Modern Studies dans une famille. Car entre la
touche arty (également présente sur la pochette) et le mix technologie moderne et
ancienne, le tout donne une patine personnelle auquel, il est inutile de chercher des comparaisons.
Aussi ne vous fiez pas à une première écoute rapide, car We Are There est ce petit miracle qui prend vie au fil des écoutes.
Son aspect confortable du premier abord, montre petit à petit l’étendue du
travail mélodique et harmonique à la fois complexe et simple. Tel le chant d’un
oiseau au petit matin, la musique florale de Modern Studies procure des
émotions, une humeur zen pour bien commencer la journée du bon pied. Ce n’est pas un hasard si le 3ème
morceau de l’album a pour titre Comfort
me (Me réconforter).
Nicolas Le
Baultestdessinateur de BD, artiste visuel, écrivain et
dirige avec Frederika Abbate les éditions White Rabbit Prod. Avec la BD graphique La Dimension Perdue, Nicolas Le Bault s’est lancé dans une
nouvelle série qui contiendra une dizaine de fascicules de 32 pages couleurs. Sa
BD a pour héroïne la petite Karine.
Encore enfant, mais si proche de l’adolescence, Karine vit seule avec son père qu’elle aime beaucoup. Sa mère est
morte et sa grande sœur a quitté la maison familiale. Les « personnages »
mis en place, il ne reste plus qu’à commencer l’intrigue que je ne vais pas vous
dévoiler. Nicolas Le Bault a choisi le traitement du conte/film d’horreur,
à travers le regard, réflexion de son héroïne qui vit, ressent « naïvement »
ce qui se passe devant elle. Le texte sans filtre gravé dans les cases est ce qu’elle pense, voit à travers sa
tête d’enfant de 12/13 ans. Il n’y a pas ou peu
de phylactères/bulles de dialogues. Le dessin est à la fois simple, naïf et
brut. On est ici dans le dessin en 2D frontal au style enfantin. On pense un peu au
trait de crayon des artistes en art brut
comme August Walla et Johann Hauser, notamment pour l’utilisation,
mélange abusifs des couleurs. Le style graphique, pauvre, sans moyen, comme un
film Bis ou l’esprit DIY du punk rock, de Nicolas Le Bault est un atout qui
donne ici une dimension inquiétante, grossière et transgressive au
développement de l’histoire. D’autant que notre artiste ne se prive d’aucune
liberté graphique pour la gestion des cases. Ainsi un dessin peut faire deux
pages et une page pour une lettre manuscrite. Cette liberté permet au lecteur d’être
dans la tête du personnage Karine. Et
c’est clair, ça travaille dans sa « petite tête » !
Pour en savoir plus sur cette nouvelle série graphique qui nous tient en apnée,
j’ai posé 5 questions à Nicolas Le Bault.
Lechoixdutitre"LaDimensionPerdue"?
Le
choix du titre est ambivalent. Il donne lieu à plusieurs interprétations que
l'on peut croiser entreellesetassembler,commepourreconstituerunpuzzle,chacunedespiècesn'exprimant qu'unevérité partielle,etdont
aucunenepeutdonner àvoircequ'ilrecouvre
danssatotalité. Lapremièreest àmettre
enrelationdirectement aveclanotionmêmederéalité.
Le réel est un concept dont les contours tendent de nos jours à s'abraser sous
l'effet d'incidenceshétéroclitescommelesmédias,lesréseauxsociaux,l'omniprésencedesimages,etleurscorollaires,la déterritorialisation, la dématérialisation, la
virtualisation. Toutes sont des symptômes de lamondialisation et de la désintégration de l'ordre symbolique,
qui accélèrent l'hégémonie de laForme-Capital.
Par conséquent, la réalité fuit, nous échappe, se désagrège, devient
insaisissable, et en dernièreinstance
s'évanouitetdisparaît. L'un des gestes fondamentaux de ma démarche
artistique est de me saisir du réel comme d'unematière inerte et, en le travaillant au corps, de lui redonner
forme concrète, de lui rendre sonincarnation
en le transposant dans une réalité alternative qui en exprime l'essence, comme
pour lesauverdel'effacement.
La réalité que je décris n'est ni un monde imaginaire ni une simple
transcription du réel, mais une sorte d'univers parallèle, avec sa géographie
particulière, ses mœurs, sa vie autonome, et même sapropre mythologieinterne.
Un plan séparé de réalité qui condense ce que je perçois des vibrations et des
humeurs de notremonde.
Par
ailleurs, il y a La Dimension Perdue de
l'enfance, son apparente stabilité, ses couleurs, sespaysages, ses sensations, dont la sortie irréversible et brutale
est au cœur de l'intrigue. De touteépoque
révolue subsiste invariablement une certaine nostalgie, dont est forcément
empreint le livre. Enfin, La Dimension Perdue, c'est aussi, à un
autre niveau de lecture, et suivant un certain nombred'indices disséminés dans l'ouvrage, un refuge, un lieu secret
hors du temps et à l'abri des troubles,oùles personnagesdel'histoiretendentàse réfugier pour échapperàlaviolence.
Quel est le message que tu désires faire
passer avec cette histoire, avec les personnages ? C'estunecritiquedu genrehumain ?Son humanité, s'ilen reste?
Iln'yapasdemessageexplicite dansl'ouvrage,et lesévénementsqu'il décritontuneabsencetotalede justification. Il
n'y a rien de pire que les livres à thèses, et l'objet d'un roman graphique
n'estjamais d'expliquer, mais de
faire éprouver au lecteur des sentiments troubles et d'ordinaireincommunicables. On peut faire un
parallèle entre la transition angoissante que vit Karine, le personnage
principal,l'altération de son
identité du fait de ses changements biologiques - de l'enfance à l'adolescence,
del'ingénuitéàlaconscience,del'inquiétudelatenteàlavraiepeur-etlamutationterribledumonde dont elle capte confusément tous les
signaux, et dont de nombreux éléments indiquent qu'il est entraindebasculer. La folie de son père qui se
révèle petit à petit, les rumeurs de guerre civile qui circulent sur lesréseaux sociaux et menacent la
tranquillité de son petit village qui semble bientôt assiégé, lapénétration de cette insécurité jusque
dans sa vie intime, évoquent ce que l'actualité récente tendmalheureusement à confirmer de manière
funeste, et que je pressentais, un retour de la Violence, un retourdel'Histoire, un retour du
Refoulé.
Le
père a une tête de cochon. Cette symbolique a le mérite d'être claire. Quelques
mots sur cepère,safille,
sans oublier safamille?
Je
ne sais pas si la symbolique est claire, rien n'est tranché, rien n'est évident
ou univoque dans monlivre.Lecochonest perçu,ilestvrai,commel'allégoriedece quiestrégulièrement
dénoncécomme lesmanifestationstoxiquesd'unecertaineformede masculinité.D'oùlafameusepolémiquedu « balance ton
porc », par exemple. Plus traditionnellement, le « porc », le « cochon », estordinairement associé à la figure du
pervers, du prédateur sexuel, de la saleté et du stupre, ou plusneutralementdelatransgressionérotique.Maisc'estaussiunanimalsacré.Batailleneconclut-ilpas son récit Madame Edwarda par cette citation : « Dieu, s'il savait, serait un
porc » ? Le Père, toutcomme Dieu,
est une figure d'autorité, qui voit tout, sait tout, et dans lequel tout
s'origine, fût-ilaffublé d'un tel
visage. C'est lui qui définit le champ symbolique du licite et de l'interdit.
Parailleurs, il est bien connu que
le cochon est un animal très intelligent, et que la virilité dans cequ'elle peut avoir d'attirant ou de
séduisant ne saurait se départir d'une sorte de magnétisme animal.Mais les vidéos récentes de L214 nous ont
montré ces animaux mis à mort par milliers dans labarbarie impersonnelle de l'élevage industriel, dans toute leur
détresse et leur fragilité, privés detoute
dignité et acculés à la souffrance, à la terreur. À propos du père de Karine,
il y a aussi unevulnérabilité chez
cet homme tourmenté qui souffre, semble aimer profondément sa fille et vouloirla protéger à tout prix. Si c'est un
animal sacré, c'est aussi un animal sacrificiel, qui peut êtresacrifié, ou sacrificateur. Bourreau ou
victime. Oppresseur ou opprimé. Dominateur ou dominé. Ilpeutinspirer autantlacompassionetlapitié quelapeur. Ilpeut terroriser, ouattendrir.
Lesthèmesdela famille,de laséquestrationetdusacrificetraversentles3filmsque tuviensdeciter,etquej'apprécieparticulièrement.
C'est vrai qu'ils font partie des sujets centraux de La Dimension Perdue. Et qu'un certain nombre demarqueurs visuels, de choix de cadrages
que j'ai effectués indiquent que la direction latente del'histoire est celle de la claustration, de l'enfermement, de
l’absence d'échappatoire, qu'un piègeinexorabletend àserefermer surKarinetoutau long decetépisode.
Massacreàlatronçonneusem'amarqué
parl'intégrationforcéedesprotagonistesauclanSawyer,avec pour paroxysme cette séquence traumatisante du repas de famille où
les cannibalesapparaissent comme une
cellule traditionnelle parfaitement normale et équilibrée, avec unedistributiondesrôleset destâchesà laquelle chacundesmembressembleobéirnaturellement.
Tandis
que les invités, perdus, sans repère, terrorisés, hurlent et sanglotent à
l'idée de leurdévoration
inéluctable. On retrouve le même esprit subversif dans Les Proies, à travers la figuremasochiste du soldat de la Guerre de Sécession incarné par Clint
Eastwood, recueilli après unebataille
par un groupe de femmes dévouées qui jurent de prendre soin de lui. Et dont le
gestepremierestdeluicouper
les deuxjambes, afin de l'empêcher
des'enfuir.
J'ai
été très imprégné par la forme du cinéma de genre, par la période classique
américainenotamment, et avec une
tendresse particulière pour les films d'horreur américains et italiens desannées 70-80-90, période à laquelle
appartiennent ces 3 films. Je continue de penser que le genre avécu un certain âge d'or au cours des 3
décennies, qu'il existait une liberté de ton qui, tout enrespectant les contraintes narratives
liées à la forme du divertissement, conférait un caractère uniqueet terriblement attachant à ces
productions originales. On pouvait faire coexister une gravité, uneprofondeur métaphysique, voire un fond de
trauma, avec une légèreté, et même un certain humour,complètement absents des productions actuelles qui sont
austères, monocordes etunidimensionnelles.Cequis'estgagné
enespritde sérieuxs'est
perduenmagieetenprofondeur.
C’est aussi cet esprit des années 80 que j’entends faire revivre avec La Dimension Perdue.
Tu prévois combien de
volumes à cette histoire ? Quelle sera la périodicité de parution ?
Ce
roman graphique est le premier volume d'un livre long, tentaculaire,
labyrinthique, dans lequel lelecteur
pourra se perdre à loisir, et dont je prépare actuellement le deuxième épisode.
La sériecomplèteen comporteraunedizaine. Jevaistoutfaire,en essayantdeconsacrertoutemonénergieà sa conception, pourqueledélaide parutiondufasciculesuivantn'excèdepasunepériodedesix
mois.
J'y travaille nuit et
jour, tout en menant de front d'autres activités, notamment éditoriales, avec
mamaison d'édition White Rabbit Prod, et je prévois aussi
de faire paraître de nouveaux numéros de larevue WhiteRabbitDream donttu as eulagentillessedeparlersur ton blog. Il est important à l'heure
actuelle, tout en défendant son autonomie et sa souveraineté propres, de nepass'isoler,
cequiestlatentation detropd'artistes. Aucoursdes4dernièresannées,j'ai éditéunetrentained'artistesdumondeentier,cedontjesuisassez fier.