vendredi 25 février 2022

SAMMI SMITH "Looks Like Stormy Weather 1969-1975" (Ace Records) – 28 janvier 2022

J’ai découverts la chanteuse Sammi Smith dans Rock & Folk n°655 mars 2022, rubrique Rééditions signée par Nicolas Ungemuth. La pochette de cette compilation m’avait déjà interpelé chez Gibert Joseph St Michel à Paris. J’aime ce style de photo en noir et blanc qui respire les années 60. La chronique de Nicolas Ungemuth est dithyrambique : « une anthologie de vingt-quatre titres. Rien à jeter, ton est bon ». Avec un tel enthousiasme, l’achat du CD s’impose, d’autant que le prix de 13 euros et quelques centimes est très correct, surtout que la compilation dure plus de 77 minutes. Comme le label londonien Ace Records fait bien les choses, à l’intérieur du boitier CD il y a un livret de 12 pages couleurs, rédigé par Bob Stanley, membre de l’excellent groupe indie pop Saint Etienne.

Sammi Smith (1943-2005) est une chanteuse de country music stylée à point. Avec elle, on n’est pas dans la country plan-plan destiné aux cowboys lambda. Non, son style musical est joliment orchestré et classieux comme il faut. Avec elle on est dans la lignée de Bobbie Gentry, Dusty Springfield époque Dusty In Memphis, Lee Hazlewood & Ann-Margret, Burt Bacharach, The Carpenters et Johnny Cash. C’est d’ailleurs Marshall Grant le bassiste de Johnny Cash qui découvre en 1967 Sammi Smith en train de chanter au Someplace Else Night Club du centre-ville d’Oklahoma. Ce qui l’amène à rencontrer Johnny Cash qui va l’aider à signer sur le label Columbia Records, où elle va faire la connaissance d’un certain Kris Kristofferson qui n’a alors composé qu’un single publié par Epic. Il publie son premier album en 1970 et son premier rôle au cinéma est dans le magnifique The Last Movie (1971) de Dennis Hopper, film découverts en France en 2018. 

Sammi Smith va  publier sur Columbia ses quatre premiers singles, dont le magnifique morceau Brownville Lumbery Ard (1969), ensuite elle signe sur le jeune label de Nashville Mega. Son single He’s Everywhere/This Room For Rent (1970) est la première publication de Mega. En 1970 elle obtient deux succès dans les charts country avec He’s Everywhere et surtout avec Help Me Make It Through the Night, chanson composé par Kris Kristofferson qui lui vaut un disque d’or. Ces deux morceaux sont évidemment dans la compilation. Help Me Make It Through the Night est une ballade mélancolique qui donne la chair de poule. Les arrangements avec les violons tout en velours permettes à la voix de Sammi Smith d’entrer dans la baie des anges, l’âme portée vers les étoiles. Jusqu’en 1976 elle va avoir de nombreux morceaux classés au Top 40 des hits country. Après quelques changements de labels (Mega c’est arrêté en 1976), les années 80 seront moins glorieuses. La musique sera en second plan pour une cause qui lui tient à cœur de par ses origines. Car, petite particularité, son père est blanc et sa mère est apache. Après avoir eu quatre enfants avec deux maris, elle adopte deux fils apaches. En 1979 elle déménage en Arizona et s’implique dans les causes amérindiennes et travaille pour les Apaches.

Découvrir en février 2022 la musique de Sammi Smith est un cadeau tombé du ciel. C’est mieux que les bombes, -une pensé aux habitants, aux civils de l’Ukraine, actuellement mit à rude épreuve face à l’invasion Russe-. Sa voix, sa musique ont une dimension cinématographique qui vous envoie à une certaine idée de l’Amérique qu’on aime, celle où l’art (cinéma, musique, littérature, photographie, peinture) nous aide à mieux vivre sur terre, sans haine, sans mots vulgaires tels que, "Nationalisme", "Le grand remplacement". Sammi Smith, ayant à moitié le sang apache, savait, comprenait ce que c’était l’exclusion, le racisme, voler, posséder la terre. Avec en mémoire ses réserves indiens créé par les hommes blancs. Ainsi, pour aider à donner un peu de paix dans son quotidien, la musique et la voix de Sammi Smith est un bon remède. Sa musique country est classieuse, pas l’ombre d’un son, d’un riff ringard, c’est juste l’excellence des grands compositeurs pour l’art de faire des arrangements soignés aux mélodies imparables. Mais surtout, c’est la voix de Sammi Smith qui fait des étincelles, que la magie fait son effet. Elle est digne d’entrer au panthéon des voix célestes. Sa voix a un côté soul rural, a du blues, auquel on tombe immédiatement sous le charme. J’espère qu’il en sera de même pour vous. Du moins après Nicolas Ungemuth, je fais à mon tour le passage de relais...


https://acerecords.co.uk/looks-like-stormy-weather-1969-1975

https://www.discogs.com/fr/artist/444574-Sammi-Smith?type=Releases&filter_anv=0




jeudi 24 février 2022

SUSSAN DEYHIM & RICHARD HOROWITZ "Desert Equations: Azax Attra – Made To Measure Vol.8" (Crammed Discs/L’Autre Distribution/PIAS digital) – 25 février 2022


Le label belge Crammed Discs poursuit avec ce Vol.8, les rééditions d’albums publiés dans la série Made To Measure, tout en éditant de nouvelles références avec Nova Materia (Vol.45) et Aquaserge (Vol.46). Toutes les rééditions sont remastérisés, avec souvent des morceaux inédits en bonus. Pour rappel, les albums Made To Measure sont des collaborations, des expériences dédiées aux musiques instrumentales, ambient, électroniques et expérimentales, tout en étant accessible aux personnes curieuses de sensations fortes et intimes. La réédition de l’album Desert Equations : Azax Attra de Sussan Deyhim et Richard Horowitz, sorti initialement en 1986, confirme l’expérience unique en matière de sensations auditives hors norme. En effet difficile de classer le style de musique, morceaux composés par ce duo iconoclaste.

Sussan Deryhim est une chanteuse iranienne qui possède une étonnante voix située au carrefour du chant rituel, d’une cantatrice lyrique pour accompagner un solo de danse contemporaine, du chant grégorien pour un groupe pop new wave, du chant pour accompagner un trio de jazz, ou une berceuse pour enfant. Oui, la voix de Sussan Deryhim interpelle de par la richesse sonore de son timbre/chant vocal en langage persan. Pas étonnant que tout au long de sa carrière, de nombreux artistes de divers horizons aient fait appel à elle pour qu’elle chante dans leur compos. Juste quelques noms : Hector Zazou, Elliott Sharp, Loop Guru, Brian Eno, Jah Wobble, Bill Laswell, Arto Lindsay, Joe Jackson.

Richard Horowitz est un compositeur américain new yorkais qui va surtout composer pour le cinéma, du moins à partir de 1990 avec la BO du film Un thé au Sahara de Bernardo Bertolucci. Pour cette BO, Richard Horowitz va collaborer avec le grand Ryuichi Sakamoto (ex YMO, compositeur de la BO du film Furyo avec David Bowie acteur). Ensemble ils vont recevoir le Golden Globe Award pour ce score. C’est justement grâce à l’album Desert Equations : Azax Attra qu’il va entrer en contact avec le réalisateur Bernardo Bertolucci et commencer sa longue carrière de compositeur de musiques de films.  Dès son  deuxième album solo titré Aras Iradia (1981), le style musical de Richard Horowitz nous entraine dans l’Orient avec ses sons électroniques joués aux synthétiseurs, qu’on va identifier sous l’appellation d’ethno world ambient, où l’on trouve les compositeurs David Byrne, Bill Laswell, Brian Eno, Peter Gabriel, Jon Hassell, Harold Budd.  

Ensemble, le mariage voix de l’Orient avec la musique électronique chargée de sons traditionnels et populaires donnent une dimension unique et intemporelle. Pas étonnant qu’à la sortie de l’album en 1986, les critiques ont été unanimes avec un accueil bienveillant.

D’entrée, le morceau Desert Equations nous ouvre la porte vers l’Orient d’une façon magistrale. Emportée par une voix remplie de mystère -tel le générique d’un film d’aventure exotique en technicolor ou un thriller façon Hitchcock-, qui nous informe qu’on entre dans un royaume rempli de mystère et d’amour. Sur Ishtar, Sussan Deryhim crache du feu pour exorciser nos sens. Malgré la zone calme dûe aux petites notes jouées au synthé, le danger peut apparaitre à tout moment. Sur Got Away, la voix de Sussan est un curieux mix où l’on peut percevoir les cris stridents de Diamanda Galás, Blixa Bargeld (Einsturzende Neubauten) et la tonalité répétitive de Laurie Anderson. Ce morceau est le sommet de cet album riche en sensations multiples. Si vous avez raté le coche en 1986 (les moins de 30 ans sont excusés), la réédition 2022, avec trois morceaux en bonus va vous donner une seconde chance de découvrir cette beauté musicale intemporelle.


https://crammed-discs.bandcamp.com/album/desert-equations-azax-attra-made-to-measure-vol-8

http://www.crammed.be/index.php?id=37&rel_id=529





DUQUETTE JOHNSTON "The Social Animals" (Single Lock Records/Modulor) – 25 février 2022


Il arrive parfois de dire que l’habit ne fait pas moine. Avec le visage marqué, fatigué, tel un Thom Yorke avec des cheveux courts, on peut dire qu’on a du mal à imaginer la voix qu’on entend sur l’album avec le visage inquiettant de Duquette Johnston qui prend toute la pochette de l’album. Sa voix au phrasé mélancolique et la musique au couleur de l’indie rock, de l’americana sont d’une beauté époustouflante à enlever tous les marques d’une vie abimé, à enlever la transpiration moite qui sent fort la fatigue. Bref on se pose, on oublie les soucis et on laisse les compositions de l’artiste sortirent du chapeau à magie, sans le risque d’être perturbé par un lapin ou des pigeons. The Social Animals est le 5ème album de Duquette Johnston. Avant d’entamer sa carrière solo, il a joué dans les groupes Verbena, Cutgrass et The Gum Creek, soit des groupes indé plutôt obscurs qui n’ont pas laissés beaucoup de traces discographiques. 

En 2014, nouvellement papa et en pleine promotion du 3ème album solo, Duquette Johnston c’est retiré du monde de la musique pour s’occuper de sa femme Morgan tombée malade, suite à une infection bactérienne. Elle a failli mourir. Pendant près de deux ans, sa vie sera consacrée à sa famille, tout en gardant une guitare à portée de la main. En 2016 avec sa femme ils ouvrent le Club Duquette, un espace communautaire qui rassemble un magasin de vêtements, des galeries d’art et de spectacles qui vont animer le quartier historique de Birmingham, leur ville situé en Alabama. Une fois que sa vie s’est stabilisée, à retrouver les joies du quotidien, Duquette Johnston commence à écrire les morceaux de son album qui deviendra The Social Animals. Avec en guest Steve Shelley (ex Sonic Youth) à la batterie et John Agnello (Buffalo Tom, Steve Wynn/The Dream Syndicate, Sonic Youth, Kurt Vile) à la production, l’album devait sortir en 2017 et finalement nous voici en 2022 pour la parution officielle. L’album contient 11 magnifiques morceaux d’indie rock, matinée de folk, de country, de pop qui évoque les groupes Arbouretum, Dinosaur Jr, Violent Femme, Buffalo Tom, Jonathan Wilson, The Church et l’éternel Neil Young. Avec le routard John Agnello à la technique, autant dire que le son sur The Social Animals est au petit soin. Ici les harmonies vocales et l’instrumentation brillent avec ardeur. On est directement dans l’idéal américain avec vue sur l’étendue sauvage des grands espaces boisés. Les compos de Duquette Johnston ne font pas dans le lo-fi, au contraire il y a du volume, des voix (Rachael Roberts, Bekah Fox, Najee Waters), des mélodies qui pleuvent à tout vent, oui Duquette Johnston est en forme et heureux. C’est du moins ce qui sort de ce bel album à écouter sans relâchement. 

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