jeudi 28 mai 2020

CORNERSHOP " England Is A Garden" (Ample Play Records) - 06 mars 2020


En mai 2012 sur foutraque.com, j’écrivais au sujet de l’album Urban Turnan : « la musique de Cornershop est un mix urbain mondial sorti d’un gros ghetto blaster. N'oubliez pas de monter le son ! ». En effet sur cet album, les styles, soul, hip hop, rock, électro, pop et world hindou sont unis ensemble avec de bons ingrédients pour réussir un bon plat à déguster en famille… nombreuse. En 2015, Cornershop revisite son album indie/ noisy pop, Hold On It’s Hurt sortie initialement en 1994 (époque grunge HC ricain qui lève le doigt aux anglais britpop) en une version easy listening, BO de film. Cornerhop, soit Tjinder Singh et Ben Ayres n’en font qu’à leurs têtes et ils ont bien raison. Ainsi après 5 ans d’abstinence en version « musique longue durée », les voici de retour avec un nouvel album qui a pour titre England Is A Garden (un signe pour le Brexit qui détache le Royaume-Uni et ses fameux jardins anglais de l’Europe ?).
A l’écoute des 12 morceaux cuvés 2020, il est clair que Cornershop est revenu aux fondamentaux de sa musique. A savoir une musique indé très colorée et joyeuse à l’image de son tube Brimful Of Asha sortie en 1997, avec son très joli clip qui faisait du bien à voir sur M6 pour relever le niveau de la programmation « Boulevard des clips » de cette « petite chaine qui monte ». On retrouve ici avec plaisir LE SON Cornershop, comme un ami que l’on n’a pas vu depuis 20 ans et tout de suite tous les souvenirs refont surface, comme si l’on s’était vu la veille. Oui, pour le fan de Cornershop, cet album est une cure de jouvence, (attention pas du tout passéiste et le « c’était mieux avant ») avec à la clé 12 nouvelles créations qui possèdent une fraicheur sonore qui fonctionne instantanément. La voix de Tjinger a gardé son timbre inclassable, le sitar, flute, tabla, les mélodies pop, les chœurs, les riffs, cuivres au son anglais proche des potes de Primal Scream et tous les gimmick qui nous sont familier, mais difficile à retranscrire par écrit, sont présent sur England Is A garden (agrémenté d’une magnifique pochette). Oui ce LP est à ranger parmi les meilleurs disques du groupe. C’est donc avec grand plaisir que l’on (re)trouve intact le talent de Cornershop, groupe en activité depuis 1991, soit bientôt 30 ans, l’âge de raison ? 



A noter que la version album disque vinyle existe en double vinyle gatefold + un poster de la pochette. Il y a trois versions disques couleurs : bleu/vert, orange/rose, rouge/jaune, le tout en édition limité. Autant dire que le fan est gâté !


 
 
www.ampleplay.co.uk/
fr-fr.facebook.com/CornershopHQ/
  



Je profite de la chronique de ce nouvel album pour sortir de mes archives une interview que j’avais réalisé en décembre 2009, au moment de la sortie l’album Judy Sucks a Lemon for Breakfast. L’interview a été publiée dans le fanzine Abus Dangereux face 113 mars/avril 2010 et sur le site foutraque.com




Cornerhop fait partie de cette race de groupes qui possède un son bien particulier, tout de suite identifiable. Le timbre de la voix de Tjinder Singh, les mélodies pop qui se mélangent avec de la soul, du gospel et de la noise, le tout avec les ritournelles exotiques du sitar et des guitares très seventies.
Si le son et le style de Cornershop sont uniques, la raison se trouve dans les origines indiennes du londonien Tjinder. Pas facile de faire cohabiter tradition et rock, et surtout d'en faire un métier. Mais tel est son choix qui l'a amené au sommet des charts avec le hit "Brimful Of Asha sur l'album "When I Was Born For The 7th Time" en 1997. Depuis il est redescendu « presque » au fond avec l'album incompris "Handcream for a Generation" sorti en 2002. On croyait Cornershop fini, mais le voilà à nouveau au rendez-vous avec le très bon "Judy Sucks a Lemon for Breakfast" (magnifique pochette réalisée par Nick Edwards): retrouvailles avec Tjinder !



Sept ans se sont écoulés entre "Handcream For A Generation" et "Judy Sucks a Lemon for Breakfast". Quelles ont été les activités de Cornershop pendant cette période?
De 1990 à 2002 nous n’avons pas arrêté. Nous avons signé avec Wiiija en 1992 et développé une base en Europe, qui changeait avec chaque morceau, sans même parler des albums. Nous avons sauvé Wiiija avec "Woman's Gotta Have It" en 95 et nous sommes sécurisés avec le succès de "When I Was Born For The 7th Time" aux Etats Unis, au Canada et au Japon. Nous avons enchainé avec l’album de Clinton "Disco & The Halfway To Discontent" en 1999, puis "Handcream For A Generation" en 2002. En résumé, nous avions enchaîné studio et tournées pendant 12 années; nous avons donc pris du temps pour s’occuper de nos familles. Nous serions revenus plus tôt, mais nous avons attendu que le marché soit prêt pour autre chose que le rock blanc à guitares.



Parlons du nouvel album. Quel est le message, l'orientation artistique que tu voulais transmettre sur ce disque ?
Il n’y a pas de message spécifique si ce n’est qu’une suite d’idées que le groupe a mis en avant. Comme "Handcream For A Generation" n’a pas atteint son potentiel, ce nouvel album est en quelque sorte le chaînon manquant entre "Handcream For A Generation" et "When I Was Born For The 7th Time".
Nous aimons que les morceaux soient politisés, même les instrumentaux. Et comme étant le seul groupe mâle de la branche britannique de la scène Riot Grrl ou "First Wog On The Moon Series" ("le premier bougnoule sur la lune") nous sommes content de poursuivre cette démarche.
Petite explication pour comprendre l’humour de Tjinder : Le fait que Tjinder est un des premiers indiens (comme un pionnier ou comme Laika le premier chien sur la lune - First dog On The Moon Series) à être sur scène à faire du rock/image, il se moque de lui-même en s’appelant ‘wog’ (bougnoule) et non pas « dog ».

Le titre "Free Love" est chanté en pendjabi. C'est le sujet de la chanson qui t'a donné la préférence de ta langue maternelle et non pas l'anglais?
Chanter en pendjabi donne souvent une impression plus vertueuse car la langue vient de la musique de prière. Mais ce n’est pas vraiment un choix, les paroles viennent naturellement. Toutes les chansons viennent d’elles-mêmes, nous ne développons que les idées qui s’ouvrent à nous.
Ce nouvel album sonne très pop, et fait référence par moment au son des seventies, soit un croisement entre les Beatles, les Stones et la soul. La pop est véritablement le style qui te nourri musicalement?
Nous ne nous considérons pas comme étant un groupe pop, nous pensons que les groupes comme The Do comme étant encore plus éloigné de la pop. Nous ne sommes pas maître des étiquettes qu’on nous colle. Nous préférons des influences plus anciennes. Je ne suis pas fan de la musique à guitare, personnellement je trouve qu’elle a perdu son goût au 12/02/2000 (ne cherchez pas c’est une joke, c’est une date prise au hasard. Ndr). Je préfère la musique électronique moderne, elle semble exprimer beaucoup plus que ce type de phase : « ma copine est paumée » ou « mon copain peut se faire voir ». 



"The Turned On Truth" dure 16 minutes (soit la durée d'une face vinyle 33t). Peux-tu nous raconter son histoire ?
J’ai toujours aimé le Gospel chrétien. Quand j'étais enfant, une église chrétienne noire partageait notre temple Sikh. La recherche de la vérité devient un objectif pour le basané (rire). En fait la plupart des musiques religieuses ont besoin de toucher leurs publics. Je collectionne aussi bien du Gospel que du Reggae biblique ! 



Tu reprends "The Mighty Quinn" de Bob Dylan. Que représente ce morceau pour toi?
L’idée est venue d’un ami qui avait écouté une version de ce morceau par The Manfred Mann et croyait que c’était moi qui la chantais. Je n’ai écouté aucune des deux versions pendant l’enregistrement, mais en ai essayé plusieurs. La version finale est un morceau joyeux, anticipant Ségolène plutôt que Sarkozy (lors des dernières élections présidentielles).



On trouve aussi sur plusieurs titres notamment sur "The Turned On Truth", une magnifique voix féminine. Tu peux nous la présenter? Comment tu l'as rencontré?
La première dame qui chante en espagnol est Lourdes Belart, une amie de Londres, elle avait aussi chanté sur "Good Shit." Nous avons les sœurs Lorraine & Michelle X encore de Londres sur "Turned on Truth", elles étaient également sur "Green P's". Doreen Edwards, de Manchester, fait les harmonies sur le premier morceau "Who Fingered Rock'n'Roll", et elle était présente sur les morceaux "Lessons Learn't From Rocky I To Rocky III" and "Motion The 11".




La pochette est également magnifique, et prend sa dimension sur le format 33t vinyle. Tu peux nous parler de l'artiste et de l'idée de cette pochette très pop art?
Un vieil ami, Nick Edwards, a fait la pochette. Il vient de finir de montrer les pochettes de notre album et singles à Milan, et il est en freelance pour quelques magazines londoniens respectables. Il aime illustrer notre répertoire, ce qui est heureux car nous ne pouvons-nous l’offrir. Etant collectionneurs de disques, nous connaissons l’importance des pochettes. L’album "Judy Sucks A Lemon For Breakfast" est un double album, avec une pochette qui peut se déplier comme un poster.



"Brimful Of Asha" a été un grand tube. Malgré tout aujourd'hui Vous vous êtes retrouvés sans label, c'est pourquoi vous avez créé Ample Play Recordings. Etes-vous amers envers l'évolution du système de diffusion de la musique?
Nous avons créé notre petit label Meccico dès 1995, et avons démarré Ample Play Records pour le nouvel album car Rough Trade Records a changé de propriétaire. Nous trouvons que l’idée de créer notre propre label est plus bénéfique pour nous, mais la distribution digitale d’aujourd’hui est parfois pire pour un artiste qu'être sur un label qui l'exploite. Au moins dans le passé, tu avais une avance d'une maison de disque ou d'édition le temps de créer tes chansons. Aujourd'hui tu dois tout sortir de ta poche. Il est très difficile de vivre de sa musique.



 


Comment se passe la composition d'un morceau?
J’amène généralement les idées initiales, paroles ou musique et je produis tous les morceaux. Parfois Ben Ayres (guitare, clavier) et moi développons des prémisses. Parfois nous travaillons tout de suite en groupe, cela dépend du type de chanson. Mais ces approches différentes mènent à des résultats différents, préservent ainsi notre fraîcheur et notre enthousiasme.



Tjinder tu es un grand passionné de musique, tu fouilles beaucoup dans les vides greniers pour y trouver toute sorte de curiosités, mais aussi des classiques. Ces disques que tu achètes dans les vides greniers, te servent aussi dans ta recherche des sons, du collage. Le sampling est pour toi un élément important dans la création d'un morceau?
J’ai passé pas mal de temps à fouiller avec toi (et oui votre serviteur Larsen a fait quelques vides greniers avec Tjinder Ndr), et comme ta question le met en évidence, pour moi c’est de la recherche, du développement et même des secrets professionnels. C’est même en partie pour ca que j’ai arrêté de faire le DJ. Je continue à faire du sampling quand je pense que cela apporte quelque chose au morceau. J’ai un sampler WecherV3 de Russie que je continue d’utiliser.



Te rappelles-tu à quel moment tu as su que tu voulais être musicien, et en faire ton métier? Comment tes parents ont réagi ?
Je me considère comme quelqu'un qui fait de la musique, mais jamais comme un musicien ou un artiste Il n’y a pas eu de réactions de la part de mes parents car je ne suis pas assez stupide pour le leur avoir dit, même quand nous avons signé sur un label. Là d’où je viens, cela représente une dissolution, c’est une grave offense de jouer de la guitare et de chanter en anglais en public. Offense qui ne peut s’effacer que par la mort (les parents de Tjinder sont décédés Ndr). Je suis heureux de dire que cela n’est plus vrai aujourd'hui, même si parfois certains musiciens méritent quelques bonnes claques de temps en temps. Mais je me considère comme quelqu'un qui fait de la musique, plutôt qu'un musicien ou un artiste. 



Le sitar est un instrument populaire indien, tout comme l'accordéon chez nous. C'est devenu un des sons caractéristique du groupe. Que représente cet instrument pour toi ?
Je dirais que l’accordéon est davantage l’équivalent de l’harmonium indien ou baja. Le design est identique, tous deux ont un système d’air insufflé manuellement. Tous deux ont influencé la musique folk et font référence au passé, à des valeurs humbles. Le sitar est du grand art, tout comme la harpe. Je n’aime pas le comportement hautain de certains publics indiens vis-à-vis de cette pratique artistique. Je pense que Ravi Shankar a donné une fausse image des indiens comme étant paisible et relax, et je préfère au contraire le jeu de sitar davantage expérimental d’Ananda Shankar.



La personne avec laquelle tu partages ta vie est française. Tu baignes donc entre trois cultures, trois langues. De quelle façon cela influence ton travail artistique ?
Londres comme Paris sont des anomalies de par leur diversité. Je suis heureux de cela, mais je suis aussi conscient que la plupart des Indiens n’ont pas une vie comme moi, pas même mes frères et sœur. Cela me laisse penser que je suis un étranger invisible face au progrès. Je suis aussi très heureux de pouvoir passer du temps avec mes deux fils. Je ne dirais pas qu’ils changent ma manière de composer, mais il est bon de tester les chansons sur eux sans qu’ils le sachent.

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