Depuis 2009, le label
synth wave Dark Entries publie des
albums de Patrick Cowley (1950-1982),
qui permettent de réhabiliter le travail artistique de ce musicien et
producteur de génie. Lors de la publication de l’album Some Funkettes, j’ai écrit une chronique pour présenter cet artiste
précurseur d’un son, d’une musique « disco-club » novateur (1).
La nouvelle livraison
titré Malebox, contient six morceaux
inédits enregistrés entre 1979 et 1981. Une fois de plus, découvrir 40 ans plus
tard, ces pépites restés dans des tiroirs est jouissif. La compilation contient
cinq instrumentaux redoutables et le morceau tubesque Low Down Dirty Rhythm, avec au chant la diva disco soul Jeanie Tracy, qui a chantée pour Sylvester, Herbie Hancock, Aretha
Franklin, Sheena Easton. Quand on
est amateur de musique électro disco funk et space, dans l’esprit de Giorgio Moroder/Donna Summer, Black Devil
Disco Club, Cyboton, Cerrone, Brian Bennet, Yello Magic Orchestra, cette compilation inédite est un plaisir non coupable
qu’on a envie de partager et d’écouter dans tout type de soirée, où l’appel de
la danse est plus fort que tout. Ici, on est dans les sons disco période 78-82,
avec les notes électro de synthétiseur qui viennent de l’espace, du cosmos. La
durée des morceaux (6 minutes en moyenne) permettent d’entrer sous les sunlights
de la rythmique motorik avec ses nappes de "faux" violon qui sortent des touches du synthétiseur et donne instantanément, la fièvre au corps et l’envie
de se diriger vers la piste de danse pour tous les jours et soirs de la
semaine. Pour envelopper cette musique stylée, Gwenaël Rattke a réalisé une magnifique pochette dans l’esprit
graphique des années 80’s. En prime à l’intérieur du disque en vinyle, il y a
une enveloppe qui contient le duplicata d’« une lettre de Patrick Cowley au producteur de discothèque français
Pierre Jaubert ainsi que des notes et des paroles manuscrites.»
La Halle Saint Pierre consacre l’année 2023 au « merveilleux,
au fabuleux et au fantastique ». Les festivités commencent avec une
exposition consacrée à La Fabuloserie,
qui fête cette année les 40 ans du musée d’art Hors les normes qui a ouverts
ses portes et son jardin le 25 septembre 1983 à Dicy situé dans l’Yonne non
loin d’Auxerre (89). La Fabuloserie
fait suite à l’Atelier Jacob qui
était une galerie d’art brut, d’art naïf, situé rue Jacob à Paris, qui a existé
entre 1972 et 1982. C’est l’architecte ou plutôt l’anarchitecte, mais aussi
artiste poète, Alain Bourbonnais (1925-1988),
collectionneur d’art brut qui est l’instigateur de l’Atelier Jacob puis de La Fabuloserie (nom trouvé avec la complicité du critique d'art Michel Ragon). A sa mort, sa femme Caroline, puis leurs filles Sophie et Agnès vont poursuivre l’œuvre d’Alain en faisant vivre La
Fabuloserie. En 2014, Caroline
Bourbonnais nous quittent, mais Sophie
et Agnès gardent en vie le lieu
magique qu’est La Fabuloserie. En
2016, elles ouvrent à Paris en souvenir à l’Atelier Jacob, la Galerie-librairie La Fabuloserie situé en
face de l’ancien Atelier Jacob. En
2012, elles ont lancé une campagne participative, couronnée de succès, pour la
restauration de la Tour Eiffel réalisé par Petit
Pierre. Car Le Manège du Petit Pierre
est une des « attractions » populaire qui fait la renommée de La Fabuloserie.
Alain Bourbonnais @ ph. Paskal Larsen
L’exposition à La Halle
Saint-Pierre est sur deux niveaux, avec la présence d'oeuvres de 50 artistes, dont Aloise, Paul Amar, Miguel Amate,
Mario Chichorro, Alain Genty, Solange Lantier, Simone Le
Carré-Galimard, Francis Marshall,
Michel Nedjar, Emile Ratier, Lena Vandrey et
la présence de quelques Turbulents réalisés par Alain Bourbonnais. La scénographie est réussie. On retrouve l’esprit
du lieu de La Fabuloserie à Dicy, grâce
aux installations. Les artistes ont plusieurs œuvres d’exposer, ce qui permet d’entrer
en communion avec leurs univers. Il y a aussi une salle de projection, une
présentation des projets en architecture d’Alain
Bourbonnais. A la librairie de la Halle, il y a de nombreux livres sur l’art
brut, l’art singulier, l’art du bord des routes. La Halle a publié un
magnifique catalogue de l’exposition.
Je profite de la news au
sujet de l’exposition consacré à La
Fabuloserie, pour sortir de mes archives, un article que j’ai écrit en 1995
sur SimoneLe
Carré-Galimard. L’article titré La petite maison deSimone Le Carré Galimard, a été publié dans le fanzine Ortie n°2 sorti en avril 1995. C’est un
après-midi octobre 1994 (je n’ai pas noté le jour) que je suis allé avec une
amie, Karine rendre visite à Simone
et son mari Maurice. Ci-dessous, le
texte de cette rencontre :
Ortie n°2 pages
52, 53 – Avril 1995
Non, Le Carré-Galimard n’a rien à voir avec
une maison d’édition ou un jeu de cartes. Le
Carré-Galimard est le nom de famille de Simone, 82 ans, demeurant avec son mari Maurice dans un pavillon quelque part dans une petite rue du 14ème
arrondissement de Paris.
Mais Simone n’est pas
une mamie comme les autres. Elle habite une maison transformée en un lieu
magique et féérique par les multiples petits personnages et animaux bizarres qu’elle
réalise depuis 1976. Récupérateurs en tout genre, Simone et Maurice
gardent tous les petits riens qui peuvent leur servir pour concevoir des
tableaux et sculptures hauts en couleur et en folie baroque. Avec ces objets
perdus, devenues inutiles (capsules de bouteille, boutons, perles, poupée,
fleurs en plastique, jouets et verres cassés, aluminium, coquillages, plumes,
os…), notre artiste colle, coupe, assemble, déchire de ses doigts de fée pour
réaliser un tableau tout en relief, un bonhomme qui ressemble à une créature de
fiction, une sculpture grandeur nature ou un masque de type africain. Maurice
met aussi la main à la pâte en se chargeant par exemple de concevoir une boîte
avec une porte transparente pour conserver certaines de ces œuvres. Celles-ci ne
portent pas de nom car d’après Simone, chacun doit laisser libre court à son
imagination en les regardant, les touchant, et en faire sa propre
interprétation. Ses œuvres sont exposées dans tout le pavillon, des murs de la
salle à manger aux toilettes en passant par la chambre, l’étage, l’escalier qui
y mène, la salle de bain, le salon, le couloir, le grenier et le jardin. Tout
ceci sans compter les longs tiroirs de rangement (conçus par Maurice), dans les
placards, sur les étagères, des tables et divers meubles qui servent au
quotidien du couple.
Simone Le Carré-Galimard – Octobre 1994 @ photos
Paskal Larsen
Leur maison est un
univers baroque et kaléidoscopique où l’adulte et surtout l’enfant (dont Simone
adore avoir des témoignages) avec ses yeux grand ouverts ne sait plus où
regarder. Il faut dire que chacune de ces œuvres a son identité, sa fantaisie
et une fraicheur simple et touchante. Bref, de l’art brut sincère, vif et
surtout loin des principes scolaires et arbitraires. Son œuvre est seulement le
résultat de son gout d’assembler et de créer. Souriante et accueillante, Simone
nous explique qu’elle fait plusieurs sculptures ou collages en même temps,
suivant son inspiration et sans ligne directrice trop précise. C’est sa libre
interprétation.
Son goût d’assembler les objets perdus lui est
venu en comblant un espace creux qui se trouvait en hauteur dans un mur (comme
un hublot) de la salle de bain. C’était en 1976 et depuis, elle ne s’est plus
arrêtée. Découverte par Alain
Bourbonnais (qu’elle cite de nombreuses fois dans la discussion), c’est lui
qui en 1976 organise sa première exposition. Depuis, une trentaine d’autres
sont venues compléter son press-book, ainsi que quelques vidéos et en 1992, un
passage télé chez Patrick Sabatier. Une journée de tournage pour quelques
minutes à l’antenne qui lui vaudront la reconnaissance des voisins qui
prenaient jusqu’alors Simone et Maurice pour un couple bizarre en les
voyant fouiller dans les poubelles du quartier ! S’ensuivront aussi
plusieurs coups de téléphone qui donneront lieu à quelques ventes de tableaux.
Une reconnaissance qui amène Simone à réaliser que la télévision est un gros
média et de constater qu’il doit être dur pour les artistes qui se retrouvent
en haut de l’échelle de retomber dans l’anonymat.
Simone décore aussi sa maison avec des photos de magazines
(qui vont des grosses poitrines aux personnages du Muppet Show) qu’elle découpe
et colle les unes sur ou à côté des autres sur les murs pour former des frises
ou des fleurs. Elle a d’abord commencé par un coin de sa chambre pour cacher un
coin de peinture sale et, y prenant gout, elle ne s’est plus arrêtée. Maurice
refait le plafond de la chambre en blanc en ajoutant de grands nuages découpés
dans du contre-plaqué puits peints avec des couleurs vives. Ajoutez-y une baie
vitrée jamais voilée car ils aiment se faire réveiller par la lumière du jour :
tant pis si des voisins les voient à travers la vitre. « Qu’ils
regardent ailleurs ! » s’exclament-ils. Ils sont comme ça les Galimard !
Avant d’assembler ces
objets trouvés au hasard du temps en fouillant aux puces de Vanves ou dans la
rue, Simone était déjà une artiste. Durant sa petite enfance à Troyes (sa ville
natale et aussi ville de carnaval), elle se faisait des costumes en papier lors
des fêtes locales. Apicultrice jusqu’à la guerre, puis travaillant avec Maurice
dans la restauration, elle dessinait en parallèle à l’encre de chine des
racines dérivants vers des formes humaines, animales et autres curiosités. Cela
lui prenait plus d’un an pour finir ces tableaux. Elle en a vendu quelques-uns
et les autres sont soigneusement rangés dans un carton à dessins. Simone a
aussi testé la sculpture sur plâtre (les essais sont rangés dans la cave) et
aussi des sculptures en plomb qu’elle faisait fondre sur des plaques électriques
pour donner la forme désirée. Ce travail sur plomb n’a pas porté ses fruits,
malgré une exposition, à cause du poids trop imposant de son travail. Aujourd’hui,
ces œuvres sont rangées dans une armoire vitrée.
Voilà présenté
brièvement ce lieu insolite aux multiples découvertes que vous pouvez à votre
tour visiter. Simone et Maurice, un couple très uni et complémentaire (l’artiste
et le bricoleur), sauront vous accueillir et présenter leur monde qui vous fait
tourbillonner la tête avec toutes ces
poupées et personnages qui vous regardent de leurs yeux malicieux dans leur
faux-semblant de fouillis ordonné. Pour cela, il suffit de décrocher votre
téléphone et d’appeler Simone pour
prendre rendez-vous. Elle vous recevra avec plaisir. Tél : 45.--.--.21.
Des œuvres du grenier à la cave !
Simone Le Carré-Galimard nous quittera en 1996
et peu de temps après, ce sera le tour de Maurice parti la rejoindre.
Simone Le Carré-Galimard – Octobre 1994 @ photos
Paskal Larsen