lundi 14 novembre 2022

ELSA KUHN: Pop couture


L’éditeur Le Boulon vient de publier le livre In Felt We Trust consacré aux œuvres d’Elsa Kuhn (1). Styliste de formation, fan de rock indé et du support vinyle pour écouter ses coups de cœur, Elsa a réuni son talent manuel et sa passion de la musique en réalisant en couture et feutrine, des œuvres qui reprennent les visuels des pochettes de disques. Son style pop, naïf, enfantin est remplis de charme et de poésie. Ainsi, pas étonnant qu’elle reçoive des commandes de membres de groupes qui veulent avoir un exemplaire de leur pochette de disque en version feutrine. Mais laissons Elsa nous éclairer sur son travail.

 

Tu as fait des études liées à la couture, styliste ou tu es une autodidacte du fil et de l’aiguille ? Tu as fait une école d’art appliqué ?
J'ai suivi des cours de dessin pendant mon adolescence, en plus de mon cursus scolaire puis j'ai intégré une école de mode, j'ai un diplôme de modéliste et de styliste.

Tu crées des vêtements pour enfants. Tu aimes la musique indé. Quel a été le point de départ de lier ensemble couture et musique ?

J'ai toujours été à fond dans la musique depuis mon adolescence, je m'amusais à faire des fanzines quand j'étais ado, on interviewait des groupes, on chroniquait des disques et on écumait déjà les concerts. En parallèle, j'ai toujours été créative et j'adorais bricoler des trucs avec mes mains. Je crois que combiner mes deux passions a été évident. Certains jouent dans des groupes, écrivent des livres, montent des labels pour transcender cette passion pour la musique, moi j'ai choisi le biais du fil et une aiguille !

 Elsa nous prépare quelle pochette de disque ?

Comment t’es venue de réaliser des œuvres qui reprennent les visuels des pochettes de disques ?

Avant de créer ma marque de vêtements pour enfants (NDLR: Eva Koshka Paris), je customisais des pièces vintage à l'aide de cuir, pochoirs homemade, peinture et de feutrine, je m'inspirais déjà d'éléments de la pop culture: titres de chanson, de films... Pour le dos d'une veste j'avais repris le visuel de la pochette de Primal Scream, Screamadelica. J'ai continué ensuite avec des pochettes assez simples graphiquement: New Order, Teenage Fanclub, Pylon, Sex Pistols... Et j'ai changé de support, je les cousais à la machine à coudre sur des coussins. Je les revendais à des boutiques de créateurs. J'ai continué le projet mais j'ai ensuite décidé de changer ma méthodologie: coudre et broder à la main, ça m'a permis d'aller plus loin dans les détails et ombrages. Le support avait changé entre-temps, c'était des tableaux à encadrer.


Le choix de la feutrine pour remplacer le stylo ou le pinceau est venu à quelle occasion ? Avant le choix de la feutrine, tu as fait des tests de pochettes avec d’autres supports autres que la feutrine ?
Je crois en cherchant des tissus dans les merceries. J'adore aller dans les magasins de tissus et mercerie, toujours à la recherche de nouveaux matériaux.


Quelle a été la première pochette que tu as réalisée ?

Screamadelica de Primal Scream

Comment se passe le choix d’une pochette auquel tu vas passer du temps à mettre en forme ? La simplicité ou la complexité du graphique de la pochette originale a-t-elle un impact sur le choix ?

En fouillant les bacs à disques, j'adore écumer les disquaires et les vide-greniers, je collectionne les disques. Parfois une pochette m'interpelle ! Avant, je m'inspirais exclusivement de mes groupes préférés et maintenant ça va plus loin; le côté visuel va primer sur le contenu. Il y a des pochettes que j'ai sur ma to do list de groupes ou musiciens que je n'aime pas forcément. Et vice-versa, mes groupes préférés n'ont pas toujours des pochettes géniales. Les pochettes avec beaucoup de détails sont toujours une sorte de challenge, surtout quand il y a des visages, c'est parfois difficile de saisir une expression, un regard avec du fil et une aiguille. 



J’imagine que le choix de tes premières pochettes de disques était personnel. A quel moment la notion de commande par une connaissance, un artiste, puis via le net est entré en "jeu" ? Pour qui fut réalisé ta première commande et pour quelle pochette ? Tu peux nous donner quelques noms, avec le choix de la pochette, de personnes qui t’ont demandé de leur réaliser une œuvre ? Si la personne demande la pochette, soit d’un chanteur, d’une chanteuse, groupe, ou visuel qui ne te plait pas, est ce que tu le fait, où bien tu restes concentré sur les visuels des disques qui te plaise ? Si c’est le cas, quels sont les pochettes que tu as refusées ?

Ma première commande était pour un ami qui m'avait demandé la pochette de Love Forever Changes, j'ai réalisé un Chomp de Pylon pour Vanessa, la chanteuse du groupe, Entertainment pour le batteur de Gang of Four, la pochette de Tropics and Meridians de June of 44 pour leur réédition, Anti-Midas Touch pour David Callahan le chanteur des Wolfhounds, entre autres ! J'ai réalisé plus de 200 pochettes ! Je refuse seulement si la pochette est difficile à retranscrire, par exemple celles de My Bloody Valentine sont trop floues et ne rendraient pas vraiment en broderie et feutrine.


Y a-t-il des pochettes que tu as réalisées plusieurs fois suite aux demandes ? Si oui lesquels ?
Oui, j'ai refait Screamadelica ou London Calling des Clash plusieurs fois. 

Quelle est la démanche pour te commander une œuvre ?

On peut me contacter via les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) ou par mail.

A travers les photos de ton livre qui vient de paraitre, le rendu visuel sur papier est magnifique. On peut facilement voir ton style graphique à la feutrine sur une pochette originale. As-tu eu des demandes pour réaliser des « vrais » pochettes de disques sur lequel on verrait bien le visuel en feutrine ?
J'ai brodé la pochette de la réédition de Tropics & Meridians de June of 44, pour une série de compilation réalisées par Randall Poster (music operator pour Wes Anderson, Scorsese...), j'ai failli faire la pochette du dernier Black Country, New Road, le label Ninja Tunes m'avait contactée, mais le timing était trop serré.

Qu’est ce qui t’a amené à faire un livre pour montrer tes œuvres ?
La maison d'édition Le Boulon m'a contactée directement !

Ton style "graphique" réalisé avec de la feutrine est très coloré, naïf, qui évoque l’illustration des livres pour les enfants. C’est intentionnel, ou au contraire, ce style enfantin, -tout en rondeur, jusqu’à parfois ne pas dessiner les yeux, nez et bouches,- est assumé et recherché.
Oui, j'adore les illustrations de livres pour enfants, la bande-dessinée également et l'art brut, je crois que ça m’inspire forcément.


J’imagine que tu aimes toutes tes réalisations, malgré tout, quelle est la pochette dont tu es la plus satisfaite ? Et qu’elle est la pochette, la commande qui t’a le plus touché coté émotion ?

J'adore travailler sur le Jimi Hendrix, c'était un gros challenge ! Celle de Robert Wyatt Dondestan est une pochette que j'ai adoré réaliser. Celle de Prince aussi même si je ne suis pas forcément fan de sa musique. Je crois que je les aime toutes, à force de passer du temps dessus, me les réapproprier et traquer tous les petit détails.

A l’occasion de la sortie du livre, y aura-t-ils des expositions itinérantes pour montrer tes œuvres ?
J'ai une expo à Nantes fin janvier, une à Paris en février et une autre à Pau pendant le festival Rock This Town.

Est-ce que ton chat (son nom ?) t’accompagne, t’inspire dans tes réalisations ?
C'est Andie, une de mes chattes ! Elle m'inspire et surtout essaie d'assister en déroulant mes bobines de fil. 


 

Nota: Tous les visuels proviennent du Facebook In Felt We Trust.

(1): Chronique du livre In Felt We Trust ici :https://paskallarsen.blogspot.com/2022/11/in-felt-we-trust-de-elsa-kuhn-les.html


https://www.infeltwetrust.com/

https://www.facebook.com/infeltwetrust

https://www.facebook.com/elsa.kuhn

https://eva-koshka.com/fr/




dimanche 13 novembre 2022

FRANCOIS MERLIN "Les Magnifiques" (Araki records) – 18 octobre 2022

Quand on voit de loin la pochette, on pourrait penser qu’il s’agit du disque d’un groupe de musique industrielle du style Death In June ou Laibach. En fait il n’en est rien, il s’agit du  2ème album du compositeur François Merlin. La pochette réalisé par Dylan Cozian, nous montre la photo du sergent Hans Schultz interprété par l’acteur autrichien John Banner dans la célèbre série sixties américaine Papa Schultz. Sur la pochette, les yeux de l’acteur sont remplacés par les yeux de Bashful, personnage du dessin animé Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney (1938). Ce visuel rétro est lié à la perte des deux grands-pères -André et Roland, morts en l’espace d’une semaine-, de François Merlin. Ils ont dû voir Blanche-Neige au cinéma et le personnage du sergent Hans Schultz doit représenter l’occupation de Allemagne nazi pendant la seconde guerre mondiale ou une vieille série télé de l’époque ORTF, même si pour le cas de Papa Schultz qui  date du milieu des années 60, elle n’a été diffusée à la télé française qu’au milieu des années 80 sur Canal+. Titré Les Magnifiques, ce 2ème album de François Merlin est donc un hommage intime à ses deux grands-pères et à une génération née pendant dans la période de la  2ème guerre mondiale. En espérant qu’il n’y est pas une troisième avec le climat géo politique actuel.

Photo @ François Dourlen

Le multi instrumentiste François Merlin, a composé, arrangé les morceaux chez lui et produit l’album au studio Near Deaf Expérience avec Éric Cervera (ex Hoa Queen, excellent groupe breton qui n’a publié qu’un album) et Sébastien Lorho (la liste des disques qu’il a produit donne le vertige). Pour l’enregistrement des morceaux/instrumentaux, il est accompagné de nombreux musiciens et  voix, donnant ainsi aux morceaux, une dimension orchestrale, théâtrale, entre une B.O. de film et la musique pour un spectacle de danse, de théâtre de marionnettes, cirque/cabaret de poche où manège de fête foraine. De par l’hommage, lié à un passé révolu (à l’époque il n’y avait pas les réseaux sociaux -sociaux ?-, les téléphones portables avec moult applications -bientôt pour ouvrir n’importe quelle porte ou acheter une pomme, il faudra avoir installé une application sur son téléphone -téléphone ?- portable, en espérant qu’il n’y a pas de panne de batterie au moment du geste), il y a beaucoup de mélancolie, de spleen à travers les morceaux, sans pour autant tomber dans la dépression, ouf. Quelque collages sonores nous ramène à l’époque de la radio RTF, l’évocation d’images en noir et blanc d’un film des années 50 ou 60, comme Persona de Ingmar Bergman (1966), qui fait le lien avec le premier album de François Merlin, tout simplement titré Persona (2018). L’introduction (Le métronome de Fantômas) de l’album Les Magnifiques  utilise des sons de la fin du morceau éponyme de l’album Persona. Pour rester dans les liens avec un mot, dans le fanzine Persona n°7, hiver 2019, il y a une interview de François Merlin réalisée par Frédéric Lemaitre.

Pochette de l’album Persona (Auto-production) - 2018

De par la richesse de l’instrumentation en mode analogique (piano, vibraphone, violons, percussions, synthétiseurs -Moog, Korg, Farfila, harmonium-, clarinettes, flûte, cors, mandoline, guitares acoustiques et électriques, basse…), des voix "angéliques", une acoustique sonore à tomber, c’est clair, ici on est dans l’exigence d’un compositeur de la trempe de John Barry, Jean-Claude Vannier, Angelo Badalamenti et dans la famille d’artistes comme Pierre-Daven Keller, Fred Pallem, Air, Pascal Comelade, Sixteen Horsepower/David Eugene Edwards et Pink Floyd. Allez, assez écrit, le mieux est que vous écoutez ce second album qui est justement "magnifiques", au pluriel, en espérant que Roland et André entendent tout la haut ce que leur petit fils à composer pour eux. Pour clore la chronique, à noter, pour le fétichiste du vinyle, le dernier morceau de l’album, Redoutable Turandot ne s’achève qu’une fois que vous avez levez le bras de la platine disque. Le dernier sillon tourne en boucle (1). 


(1): Il doit sûrement avoir des collectionneurs de ce type de disques. From Here To Infinity, premier album solo de Lee Ranaldo (ex Sonic Youth) -1987- ne contient que des morceaux qui finissent en boucle. A la fin de chaque morceau, il faut relever le bras de la platine. Ainsi les 40 secondes de chaque titre (la durée moyenne officiel) peuvent durer à votre convenance et patience d'un son qui tourne en boucle, comme la goutte d'eau dans un évier.

https://francoismerlin.bandcamp.com/album/les-magnifiques

https://www.facebook.com/fran.merlin