Ce week-end au vide grenier de la Butte aux Cailles (le fief des pochoirs de Miss Tic) dans le 13eme arrondissement de Paris, j’ai acheté un lot de disques à deux euros pièce. Dans le lot il y a Homosapien, le 2ème album solo de Pete Shelley (1955-2018). Si je connais assez bien les albums du groupe Buzzocks, où Pete Shelley est l’auteur compositeur, chanteur, guitariste, du côté solo sous son nom, je ne connais pas du tout sa carrière. Ainsi cet album m’a dans un premier temps interpelé avec sa pochette arty, dans la ligné visuel des disques de John Foxx, Gary Newman du début 80, et bien sûr l’envie d’écouter ce qu’il fait en solo, d’autant que l’album est sortie en 1981, soit après les trois albums cultes des Buzzcocks. Après l’écoute des premières notes, on est bien au début des années 80 avec le son new wave synthétique. Avec le temps, cette patine sonore limite désuète à son charme. Sur les notes de pochette, il n’y a aucune indication des instruments utilisés, mais les synthétiseurs et boites à rythmes au prix abordable sont au programme. Il est clair qu’ici on n’est pas dans le style power punk des Buzzocks, mais plus dans la new wave d’Human League, Ultravox, Yellow Magic Orchestra, Devo, Blancmange, David Bowie et le groupe Magazine avec son ex collègue Howard Devoto.
Pochette du 45 tours "Homosapien"
Le morceau titre Homosapien est sortie en single, mais il n’a pas eu de succès en France à l’inverse de Don't You Want Me de Human League, Enola Gay de OMD et Fade To Gray de Visage. A noter qu’au Royaume-Uni, le morceau a été interdit à la BBC, en cause aux références homosexuelles explicites des paroles écrites par Pete Shelley:
"I'm the shy boy, you're the coy boy/ I'm the cruiser, you're the loser/ Homosuperior in my interior/ But from the skin out I'm/ And I think of your eyes in the dark/ And I see the star/ And I look to the light/ And I might wonder right where you are." (Je suis le garçon timide, tu es le garçon timide/ Je suis le croiseur, tu es le perdant/ Homosupérieur dans mon intérieur/ Mais de la peau je suis/ Et je pense à tes yeux dans le noir/ Et je vois l’étoile/ Et je regarde la lumière/ Et je me demande où tu es).
Pochette du 45 tours "I Don’t Know What It Is"
Cet album est né des répétitions du quatrième album des Buzzcocks avec leur producteur Martin Rushent. Le morceau Homosapien devait servir de travail d’accroche pour la validité de ce nouvel album, mais leur label EMI n’étant pas partant, refuse l’avance financière, ainsi ce morceau servira pour le nouvel album solo de Pete Shelley, si on compte le premier Sky Yen sorti en 1980, mais qui ne contient que deux longs morceaux dans le style de Tangerin Dream. Avec le fidèle Martin Rushent à la production, ce n’est pas étonnant que la musique prenne un virage new wave synthétique (au désarroi des fans des Buzzocks plus amateurs de guitares punk et pop), car en mars 1981, juste après l’enregistrement d’Homosapien, il va produire l’album Dare de Human League, qui va faire un carton au sommet des charts. On imagine qu’en ce début des années 80, le studio de Martin Rushent est rempli de nouveaux synthétiseurs et divers ordinateurs "made in Japan", dont celui qu’on voit sur la pochette au côté de Pete Shelley, un Commodore PET. Si les instruments sont bien de leur époque, les textes sont par contre nettement plus anciens, car une grande partie date d’avant la création des Buzzcoks, soit de 1973-1975. A noter que la track-list des morceaux est différente entre le pressage américain et européen, pas le même ordre et deux morceaux différents.
Évidemment pour apprécier en 2022 cet album, il faut
être à l’aise avec le son new wave 80, ne pas approcher cet album sous l’angle
Buzzocks, plutôt du côté Magazine. Une grande partie des
oreilles aiguisées vont trouver ce son daté, à cause des instruments utilisés, à
cause du manque de guitare électrique, à cause de la voix pop et lisse de Pete
Shelley. A l’inverse, tous ses "défauts" post MTV peuvent donner à certain une patine
retro/futuriste très plaisante à l’oreille. Personnellement, j’ai pris plaisir
à découvrir cet album qui a totalement échappé de mes radars érudits. Il n'est jamais trop tard, même avec 40 ans de retard.