mercredi 4 mai 2022

DRY CLEANING à La Maroquinerie à Paris le 01 mai 2022

Après le report du concert du mois de janvier, changement de saison et une date symbolique, le 1er mai, soit la journée du travail, avec enfin la venue de Dry Cleaning pour son premier concert à Paris qui affiche complet, ce qui n’est pas étonnant vu le bon accueil de leur premier album New Long Leg (1), tant niveau médias (n°4 dans mon TOP 25 de 2021) que public. Il est clair, que Dry Cleaning a trouvé un style musical singulier, avec la voix de Laurence Shaw proche du spoken word et la musique noise et post punk des garçons.

Pour nous faire patienter, c’est l’artiste irlandaise  Maria Somerville qui installe une ambiance cotonneuse avec sa musique électro deep, parsemé de grisaille dream pop. Sous un joli jeu de lumière, proche du lever du jour, Maria Somerville, à la voix, guitare et aux machines nous fait voyager de bon matin, quand le soleil est encore loin à l’horizon. Sa musique intimiste a beaucoup de saveur, qui nous relie aux rêves les plus étranges. Belle prestation, tout en douceur, pour mieux accueillir les sorciers Dry Cleaning.

Après une pause de 15 minutes,  les quatre londoniens débarquent sur scène sous les applaudissements soutenus du public. Ce qui surprend au premier abord, c’est le style disparate des quatre musiciens. Le look hippie folk de la ténébreuse Laurence Shaw, avec ses très longs cheveux et sa robe noire style Nico, le fou furieux guitariste Tom Dowse avec son look anglais de petite frappe excité, le bassiste chevelu Lewis Maynard au look métalleux et le BCBG Nick Buxton à la batterie. Évidemment tous les regards sont portés sur la maitresse de cérémonie, Laurence Shaw, installée au milieu de la scène. Dès qu’elle se met à chanteur avec son phrasé parlé, on est capté par son aura, sa prestance. Elle bouge peu, de temps en temps, un petit sourire (malin ?), mais juste sa présence ne laisse pas indifférent. Comme pour ne pas se faire oublier, à cause de la chanteuse qui capte les regards du public, le guitariste Tom Dowse n’arrête pas de faire le con, de faire le malin en sortant des vannes, en jouant des muscles, tel le punk de base. Mais pas d’inquiétude, son laisser-aller jovial n’entrave pas à son jeu de guitare, bien noise, abrasive, tout en restant arty. Oui son jeu n’est heureusement pas bourrin, même si les subtilités de l’enregistrement studio sont parfois mises en live à rude épreuve. La rythmique basse/batterie est également à la fois tout en nuance et énergique. L’ensemble donne une musique originale, ce qui n’est pas évident pour le style post punk, très en vogue depuis quelques années. Entre instants électriques et d’autres plus posés, la magie Dry Cleaning prend sur scène une nouvelle dimension, proche de la communion entre le groupe et ses fidèles. Avons-nous trouvé notre sauveur ? En tout cas en cette journée de la fête du travail, Dry Cleaning n’a pas chômé, ils ont été au charbon pour le bien des spectateurs. 

Pendant toute la durée du concert (1h10), le public a été très enthousiaste auprès du groupe. A l’inverse des politiques, grâce à la musique, le lien France-Angleterre est fraternel. A la sortie du concert je croise des amis très enthousiastes, dont Joseph Ghosn, directeur de la rédaction des Inrocks, Didier Bouyer (qui a publié en 2010 le premier album de Beat Mark) qui m’a dit avoir eu la larme à l’œil, ce qui est compréhensible. Bon l’ami Manu B., dit La Cainte, a été déçu du concert, car il n’a pas retrouvé la subtilité de l’album studio, notamment à cause du guitariste qui l’a insupporté, mais à 95% le public a été conquis par la prestation de Dry Cleaning. Maintenant, de par leur style singulier, comment le groupe va-t-il aborder le prochain album et la prochaine tournée, pour  surprendre le public sans se répéter et sans vendre son âme au diable capitaliste. A suivre… on reste confiant.

Photos @ Paskal Larsen

(1): Chronique de l’album New Long Leg ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2021/04/dry-cleaning-new-long-leg-4adwarp-2.html

https://drycleaningband.com/




mardi 3 mai 2022

LAURENT PERNICE "UMTT-A World Too Late" et "Le Corps Utopique" (Halte aux Records/ADN Records) – 15 avril 2022

Depuis plus de 35 ans, Laurent Pernice est dans la marge de la musique. Pour avoir des renseignements sur son travail, il est préférable de lire le fanzine  Revue & Corrigée au lieu de Rock & Folk. Pour acheter ses albums, ce sera surtout du côté du disquaire pointu, comme Le Souffle Continu à Paris qu'il faudra se renseigner. Laurent Pernice étant un électron libre, il réalise à la fois des albums en solo, des collaborations pour la danse, l’art contemporain. Ainsi pêle-mêle il a joué avec le groupe indus tribal NOX, Amaury Cambuzat de Ulan Bator, Nataraj XT, Richard Pinhas (Heldon), Rhys Chatham, Thierry Zaboitzeff,  l'écrivain Alain Damasio et le groupe Palo Alto avec lequel il compose régulièrement.

Électron libre encore et toujours, à l’heure du retour du vinyle et des films en ultra HD, Laurent Pernice publie le même jour deux albums autoproduits en format CD. Le coffret CD-DVD titré UMTT (Un Monde Trop Tard) avec le CD A World Too Late et le DVD titré Un monde trop tard et autres étranges poésies qui reprend en images vidéo des morceaux de l’album avec des bonus. L’autre album est Le Corps Utopique avec Dominique Beven

Le CD A World Too Late est tout d’abord sorti en 2018 sur le label suédois The Sublunar Society. Mais, ce label a jeté l’éponge dès le début du Covid, en mars 2020, ainsi l’album s’est retrouvé orphelin. Un mal pour un bien, le voici de nouveau disponible grâce au label Halte aux records ! et la fondation Stin’Akri, avec en prime le DVD pour plus d’une heure d’images vidéo immersives réalisés par Laurent Pernice et ses amis. La musique de cet album, est un mélange de poésie sonore avec des textes en français, de sons électroniques, où viennent parfois se poser un saxophone ou une flûte. Les 11 morceaux de l’album ont une portée organique qui nous fait flotter dans l’air, tout en gardant un pied sur terre. Le danger peut survenir à tout moment, il faut rester sur ses gardes. Le rythme sur le morceau Les Oiseaux est comme un battement de cœur pas rassuré par l’environnement inquiétant drainé par la petite musique à l’accent horrifique. L’album commence fort avec le titre éponyme et sa mélodie digne d’un générique de film, qui installe ses pions, son ambiance. Mi électro, mi indus, le morceau A World Too Late est d’une richesse sonore, avec notamment l’apport de l’instrument Jew’s harp (une sorte de guimbarde), qui donne le tempo sur les nappes de synthés et divers effets sonores élaboré par l’artisan Laurent Pernice. D’entrée, en sait que l’on va passer un bon moment musical, qui nous permettra de voyager, de nous dédoubler, de sortir de notre corps d’humain attaché au sol terrestre. Ici la texture du son, de la matière sonore est mise en relief, pour les papilles les plus exigeantes. Il y a à la fois l’aspect illustration sonore, et poésie urbaine qui prend la clé des champs. Si vous êtes amateurs de groupes artistes tels que Coil, Plaid, Boards Of Canada, Marc Hurtado, Palo Alto, il est clair que cet album doit venir jusqu’à vos oreilles.

Changement de tempo avec Le Corps Utopique. Ici on se rapproche de la musique contemporaine, voir ethnique pour l’aspect méditation/transe, avec une touche de free jazz. Cet album est la bande son de Le Corps Utopique, une pièce chorégraphique réalisée par la compagnie Anima Motrix, interprétée par l’actrice/danseuse Emma Gustafsson. Le Corps Utopique est le titre d’une conférence du philosophe Michel Foucault (1926-1984) diffusé en 1966 sur France Culture. Pour saisir de quoi on cause, voici de courts extraits du texte de présentation écrit par Daniel Defert pour le livre Le Corps Utopique-Les Hétérotopies, sortie en 2019 au format poche chez Éditions Lignes : "Qu’y a-t-il de moins utopique, demande Foucault, que le corps, que le corps qu’on a – lourd, laid, captif. Rien n’est en effet moins utopique que le corps, lieu duquel il ne nous est jamais donné de sortir, auquel l’intégralité de l’existence nous condamne.(…) Le corps grandi, tatoué, maquillé, masqué forme autant de figures possibles de cette utopie inattendue et paradoxale du corps. La parure, les uniformes en sont aussi de possibles. Comme la danse (« corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à la fois ») ou encore la possession… Mais, c’est l’érotisme, à la fin – Michel Foucault dit même « faire l’amour » – qui est le plus susceptible d’apaiser l’inapaisable désir du corps de sortir des limites qui sont les siennes. Ou des caresses comme moyen d’« utopiser » le corps". Pour composer la musique, Laurent Pernice a demandé à Dominique Beven d’improviser sur des instruments à vent, dont des instruments très anciens comme le khen laotien et le hulusi chinois, pour retrouver le souffle du philosophe. Belle métaphore. Une fois les improvisations enregistrées, Laurent Pernice a malaxé le tout dans sa boite magique, guidé par son cerveau de mélomane averti, puis rajouté des effets électroniques, quelques instruments (basse, trombone, flute). Et hop, le petit oiseau est sorti pour nous dévoiler 50 minutes de musique riche, pour accompagner le corps en mouvement de la danseuse et du public, qu’il soit dans une salle de spectacle ou dans son salon avec une bonne chaine Hi-Fi. Comme je le disais en intro, le résultat du travail des deux hommes qui sème le vent avec liberté, se rapproche de la musique contemporaine, expérimentale parfois concrète avec une touche de world, d’ambient. Il y a une certaine sensualité -certes intellectuelle- dans le son, les rythmes. On imagine entendre la goutte de transpiration couler sur le corps nu, ou le pas du pied nu frotter sur le sol boisé. Les titres des morceaux sont suffisamment évocateurs, Mise à nu, Les Rêves, Féerie, Montagnes lointaines, pour en dire plus. Bref, tenter sans plus attendre, la rencontre avec Le Corps Utopique de Foucault, qui souffle à tout vent d’Ouest sans coupe vent.


https://laurentpernice.bandcamp.com/

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