lundi 26 avril 2021

MADE TO MEASURE Vol. 1 (Crammed Discs/L’Autre Distribution/PIAS) – 30 avril 2021


En 2021, le label indépendant Crammed Discs a 40 ans. Créé à Bruxelles en 1981 par le musicien et producteur Marc Hollander (Aksak Maboul, The Honeymoon Killers), Crammed Discs va devenir un label de référence, tant leurs publications soignées, ouvertes, pointues à la croisée du rock, du jazz, de la musique contemporaine, expérimentale et world imposent le respect. Parmi les plus de 350 albums et plus de 250 singles/EPs parus à ce jour, notons des disques tous formats de Minimal Compact, Tuxedomoon, Aksak Maboul, Karl Biscuit, Blaine L. Raininger, Zazou Bikaye, John Lurie, Colin Newman, Sonoko, Bel Canto, Yasuaki Shimizu, Konono N°1, Dominic Sonic

En 1984, Crammed Discs lance une nouvelle série sous l’identité Made To Measure. Ces albums, soit compilés avec plusieurs artistes, soit avec juste un artiste proposent des compositions destinés à être des bandes sonores pour les besoins d’autres médias, tels que le cinéma, la danse contemporaine, le théâtre, l’art contemporain/installation vidéo, les défilés de modes... Certaines bandes-son vont trouver preneur dans le cinéma, le plus connues étant la collaboration entre John Lurie et le cinéaste new yorkais Jim Jarmusch pour les BO de Stranger Than Paradise (Vol. 7) et Down By Law (Vol. 14), et d’autres resteront dans le registre imaginaire, sans rien perdre de leur magie et sensualité musicale. De 1984 avec au menu du Vol. 1, les artistes « maison » Minimal Compact, Tuxedomoon, Benjamin Lew, Aksak Maboul à 1993 avec Le Parfum du Raky de  Benjamin Lew il y a eu 35 volumes Made To Measure, puis quelques Vol. avec des sorties plus espacées. Les Vol. sont reconnaissable à leurs pochettes, illustrées par un peintre célèbre, qu’on peut parfois admirer dans les musés. Sur le Vol. 1, la peinture titrée Les Boxeurs est de Fernand Steven.

Après avoir réédité en 2017 le Vol. 12, Music For Commercials de Yasuaki Shimizu, voici la réédition remasterisée du Vol.1 sortie en 1984 en 33t vinyle, avec au menu Pieces For Nothing de Minimal Compact, A la recherche de B. de Benjamin Lew, Un Chien… d’Aksak Maboul et Verdun de Tuxedomoon.


Originaire de Tel Aviv, installé à Amsterdam, le groupe Minimal Compact publie son premier disque S/T en 1981 sur le label Belge Crammed Discs, faisant ainsi du groupe, l’un des fers de lance du rock/new wave européen avec Marquis de Sade, Mecano, Simple Minds (du début). En 1984, le groupe a deux albums et bientôt un troisième sur Crammed Discs, soit une valeur sûre pour démarrer la série des volumes. Idem pour les new yorkais Tuxedomoon, venus s’installer à Bruxelles. En 1982 le groupe publie l’album Desire sur le label voisin Les Disques du Crépuscule et à partir de 1985, Tuxedomoon et ses membres en solo seront publiés sur MTM, avec comme mise en bouche les trois morceaux de la série Verdun présent sur le Vol. 1. L’artiste multi casquette Benjamin Lew (poète, photographe, illustrateur sonore) a déjà un pied dans la maison Crammed, il a réalisé en 1982 un album instrumental avec Steven Brown (Tuxedomoon). Cet album, Douzième Journée : Le verbe, La parure, L’amour à l’atmosphère arty donne déjà une couleur sonore de ce que sera la série des volumes. Quand à Aksak Maboul, groupe de Marc Hollander, boss de Crammed Disc, première référence du label avec l’album Un Peu de l’Ame des Bandits (1980), normal qu’on le trouve présent sur ce premier volume.

Quatre artistes, quatre univers à la fois différents, mais qui se recoupent. Déjà de part les musiciens qui se connaissent entres eux pour certains pour avoir travaillé ensemble. Sur les quatre pièces de Minimal Compact, il y a la présence des membres de Tuxedomoon avec Steven Brown (saxophone, clarinette) Peter Principle (1954-2017), chanteur et musicien, mais ici à la production avec son ami Gilles Martin. Les quatre morceaux de Pieces For Nothing ont été composés pour le chorégraphe Pierre Droulers. On retrouve évidemment le style new wave/post punk de Minimal Compact avec en plus une touche musique contemporaine. Sur le titre Animal Killers, le chant nous évoque les albums La Folie/Feline des Stranglers et l’album solo Euroman Cometh de J.J. Burnel. L’ensemble a très bien vieilli ! L’usure du temps n’a pas eu lieu, ouf.

Le morceau A la recherche de B. de Benjamin Lew est une illustration sonore pour l’expo de mode Huit jeunes stylistes limbourgeois. De par son utilisation, on est bien dans le style « illustration sonore » (Library Music en VO), avec ses petits sons cosmiques et son atmosphère mystérieuse, digne d’un film de SF.

Pour ce Vol. 1, Aksak Maboul a composé deux pièces sonores, Scratch Holiday et Un Chien… . Le premier est la bande son d’un film de vacances des Honeymoon Killers et la deuxième pièce en six morceaux Un Chien mérite une mort de chien a été conçu pour une pièce de théâtre de Michel Gheude. Dans le titre du premier morceau il y a le mot Scratch, justement le morceau a pris vie avec une platine et le 45t d’une musique pop des années 60.  Pour Le Chien…, le style est dans la musique contemporaine/minimaliste/répétitive esprit Philip Glass, Steve Reich. Les six morceaux de cette pièce sonore sont magnifiques et très agréable à écouter. Cette pièce illustrerait idéalement la bande son d’un film muet d’expressionniste allemand. A (re)découvrir sans plus attendre !


Le Vol. 1 fini avec Verdun de Tuxedomoon,  qui contient trois pièces écrites et enregistrées pour la bande-son du film Het Veld Van Eer réalisé par le cinéaste néerlandais Bob Visser. Il y a de l’atmosphère, de l’étrange, du sombre, ce qui est normal, vu le titre Verdun, triste célèbre champs de bataille, lors de la première guerre mondiale avec 700 000 morts/blessés/disparus en comptabilisant les soldats français et allemands. L’ambiance du deuil, sans être mortifère est présente, avec un peu de lumière dans la mélodie de Driving To Verdun qui clôture l’album.

Bref, cette réédition nous a permis de réécouter cet album, qui était resté rangé depuis des années parmi les autres vinyles. D’autres remasterations de la série Made To Measure Vol. sont prévues prochainement, ainsi que des nouveaux volumes, dont le Vol. 45 avec le duo Nova Materia pour une oeuvre immersive de 40 minutes titrée Xpujil. Sortie prévue le 25 juin 2021. Donc à suivre !

https://mtmseries.bandcamp.com/

http://www.crammed.be/index.php?id=37&rel_id=514




 

Je profite de cette réédition pour remettre en ligne la chronique que j’ai écrite sur Music For Commercials MTM Vol. 12 de Yasuaki Shimizu, sortie initialement en 1987 et réédité en 2017 sur Crammed Discs.


Yasuaki Shimizu est un compositeur et saxophoniste japonais. Il a publié son premier album solo en 1978. De 1979 à 1983 il a fait partie du groupe Mariah. Depuis le début des années 80, il a publié de nombreux albums tout en multipliant des collaborations avec des artistes comme David Cunningham, Wasis Diop ainsi que pour le cinéma et la télévision.

Music For Commercials est une compilation de musiques que Yasuaki Shimizu a composé pour des publicités destinées à la TV japonaise. La majorité des titres sont très courts, à peine plus d’une minute. Malgré tout, en seulement une minute, Yasuaki Shimuzu arrive à mettre beaucoup d’éléments sonores. Sur ce sujet, Yasuaki Shimizu écrit dans la note figurant sur la pochette du disque : « La nécessaire contrainte temporelle m’a permis d’affiner mes pouvoirs intuitifs ». Sa musique, malgré l’aspect minimaliste est très riche en son, en harmonie et nous fait facilement voyager, du moins mentalement, grâce à ses boucles entêtantes parfois zen. Ces vignettes musicales ont une certaine légèreté qui est très agréable à écouter. Pas étonnant que ce disque soit devenu culte et très recherché, car les 24 morceaux de l’album ont une force intemporelle qui lui donne une certaine forme de noblesse. Musicalement on est dans l’esprit de groupes tels que Yellow Magic Orchestra/Ryuichi Sakamoto, David Sylvian/Japan et le compositeur Michael Nyman. Bref un bel album sonore à (re)découvrir.


https://yasuakishimizu.bandcamp.com/


dimanche 25 avril 2021

VIEUX 45 TOURS DU BLOGOTHORAX par Le Vieux Thorax – 18 avril 2021


Le Vieux Thorax a créé son blog Blogothorax en 2007. Dans le livre qu’il vient de publier, il dit dans l’introduction : « Au départ, l’idée de ce blog était surtout de mettre en valeur des vieux 45t, dans des genres qui sortaient de l’ordinaire par rapport au rock, ma culture de base. »

En tant que chineur de 45t à 1 euro (1 à 5 francs ! avant l'euro), Le Vieux Thorax part régulièrement en mission à la recherche de petites pépites insolites en grande partie publiées dans les années 60, mais aussi dans les années 50 et début 70. Il cherche en priorité des artistes, labels français où il y a de l’accordéon, du cha-cha-cha, du twist, du jerk, du surf, du mambo, boléro, de l’exotique/Antilles, du madison, baïon, de la pop/variété réactionnaire, bref, du curieux qui ne soit pas obligatoirement du punk, du psyché ou du rock garage. Ces meilleures trouvailles vont alimenter son blog, et servir pour les soirées où il tient le rôle de DJ. 


Avant de créer son blog, et après avoir joué dans divers groupes (Johnny Olida & The Grand Banane Flash, Aldo Magic Band, Les Combinaisons, Les Morts, Dynamo), à partir de 1995 Le Vieux Thorax en solo a publié de nombreuses K7, quelques CDR, un 45t (Villepin’occhio en 2007) et fait des apparitions libres sur de nombreuses compilations/samplers, dont Excusez-moi, je me sui occupé un peu de tout édité en 1999 par Vivonzeureux ! le joujou de Pol Dodu, le titre Célibataires sur le sampler d’Abus Dangereux face 74 octobre 2001,  et le pompon avec le morceau The French Paradox sur la compilation des Inrockuptibles CQFD sortie dans le numéro de noël 2002, numéro réalisé par les lecteurs des Inrocks. https://www.davduf.net/DISCOGRAPHIE

Dans les compos/collages/Big Beat sonores du Vieux Thorax il y a pas mal d’humour, suffit déjà de lire les titres et de regarder les pochettes des disques. Dans le style il y a du El’Blaszczyk, le zinzin qui a publié un album sur Born Bad et là tout récemment sur Mono-Tone Records. Le Vieux Thorax joue aussi de la basse dans le groupe rock Les Revizors, qui a publié en 2019 le 45t Airport, avec des concerts en route, mais arrêté en plein vol (un comble quand on titre son 7' Airport) à cause d’un satané virus nommé Covid-19.


Le livre, en format poche (12 x18 cm) est une sélection de chroniques mise en ligne sur le blog depuis 2007 à aujourd’hui, car « Un blog, c’est bien, Un livre, c’est mieux ». Les chroniques sont classées par thèmes : 45tours des iles, 45tours pas ordinaires, 45tours d’accordéon, cha-cha, mambo, pop réac, la collection Boum Bomo, Panorama, et quelques pièces du DJ Seb récoltées lors d’une vente à La Mécanique Ondulatoire


A la lecture des impressions du Vieux Thorax, s’il y a des petites perles, il y a aussi beaucoup de morceaux très moyens, voir nuls. Il faut gratter beaucoup de vinyles pour tomber sur le riff qui dénote, et fasse tilt illico, comme le son des mascottes anglaises du film Ne nous fâchons pas de Georges Lautner. Parmi les morceaux chouchou du Vieux Thorax il y a Quand l’électronique s’amuse de Vynan, Little Carolina interprété par Luis Pena et son Orchestre, morceau disponible sur la face A de l’EP 4 titres Boum Bono n°5. La série Boum Bono a été créée par les Bonneteries de Moreuil d’Amiens, pour faire de la pub de leurs vêtements. On voit leurs vêtements sur les photos des pochettes des 45t. Un petit dernier, extrait du gros dossier du label/série Panorama avec Suspence, interprété par James Award et son Orchestre sur le 45t Tes tendres années. Pour la suite, je vous laisse les rechercher dans les 160 pages du livre.


En plus des chroniques, Le Vieux Thorax a rajouté les commentaires. Par exemple, ceux du 45t Petite sœur d’Eddy Pascal. Il y a un commentaire d’Eddy Pascal qui ne chante plus depuis des années car les circonstances l’on obligé à laisser tomber le métier, et de son petit- fils de 10 ans, qui a appris à chanter grâce à son grand père. 


Petit bémol, entre la version livre et la version internet du blog, c’est le côté interactif du lien YouTube. Sur le net, on clic, mais sur le livre, c’est un lien compliqué. Je vous souhaite du courage pour recopier sur la page de recherche, les hiéroglyphes tels que K_1rS5Z5GHI&list=PL6EYRryqJOiX0ztclo3nfKfVugW_jbKLT&index=73 pour le morceau Dada Twist. Sur le livre, c’est mieux de mettre juste le nom de l’artiste et le titre du morceau. Ce bémol oublié (1), allez commander le livre (version papier et PDF) sur le site The Book édition (lien ci-dessous), car le livre n’est pas disponible en librairie n’y chez les disquaires et autres lieux en lien avec la musique. Bonne lecture et bonne écoute ! 

(1) Le Vieux Thorax vient de me préciser par mail, que les liens YouTube sont prévus pour la version PDF, permettant ainsi de cliquer directement sur le lien.

https://www.thebookedition.com/fr/vieux-45tours-du-blogothorax-p-381989.html

http://thoraxoblog.canalblog.com/

https://www.facebook.com/vieuxthorax

Ci-dessous la playlist du Vieux Thorax avec 73 morceaux haut en couleur :

https://www.youtube.com/playlist?list=PLhO4bArnJKnXpY242UF5vGYA9EJotmHCJ







Je profite de cette chronique, pour mettre en ligne un article que j’avais écrit fin 1996 sur Jean Croc pour le fanzine Ortie n°4, publié en février 1997. A cette époque, Jean Croc était une figure sur Radio Nova. Le week-end il animait avec Ariel Wizmann l’émission Cocktail Time. Toujours sur Radio Nova, il avait une chronique à 7h45 où il passait un 45t décalé, qui nous faisait sourire et nous mettait de bonne humeur. Dans ces 45t, il y avait souvent des petites perles sonores, d’où le rapport avec les 45t chinés par Le Vieux Thorax.

En 2002, Jean Croc avec Nicola Errèra (avec Ariel Wizmann il a également fait parti du duo Grand Popo Football Club avec l’excellent tube électro à danser Each Finger Has An Attitude) vont créer le groupe Rouge Rouge, qui publiera l'album Ce Soir après dîner. Le morceau L’amour (avec un sample de Mouloudji) est un petit délice mélancolique. Par la suite j’ai perdu de vue le parcourt de Jean Croc. Sauf, en aout 2018, lord de la projection à Ground Zéro (Paris) du film A la recherche de l’ultra-Sex réalisé par Nicolas Charlet et Bruno Lavaire, qui ont également créé sur Canal + l’émission décalée Message à caractère informatif. Avant et après la projection du film, Jean Croc était au poste de DJ, installé dans une caravane des années 70. Ce poste de DJ (avec ses 45000 disques, il a de quoi faire), il le fait surement toujours sur Paname, entre soirées undergrounds et d'autres plus chics.

Petit nota, avant de lire l’article/interview ci-dessous. L’article a été publié en 1997, soit un retour dans l’espace-temps de 24 ans. En 1997, on n’était pas encore à l’euro, mais au franc, et bien entendu il n’y avait pas Internet n’y et les réseaux sociaux. Bonne lecture !


JEAN CROC : Pop pourri, les 45 tours chics et pas chères


S’il vous arrive parfois d’aller fouiller dans les brocantes, braderies et vide-greniers de votre quartier, département, vous avez certainement vu des 45t vendus entre 1 et 5 francs (moins d’un euro). Ces 45t sont le plus souvent des disques passés de mode (succès devenue ringard ?), voire totalement inconnus, qui n’intéressent plus grand monde, ce qui explique souvent leur prix peu élevé. Les gens les vendent pour s’en débarrasser et non pour faire de l’argent. Il faut dire que si l’on prend ces disques « bas de gammes » au premier degré, ce n’est pas souvent drôle. Comment trouver un intérêt à écouter Viens boire un petit coup à la maison ou un tube du con de Lagaf et son Il est beau le lavabo ou encore Dur, dur d’être un bébé de Jordi, la version Dur, dur d’être un pépé est surement plus pittoresque. Par contre, si on décide de prendre ces disques au minimum au second degré et qu’on commence à faire une sélection dans les tas de vinyles au rabais, on peut alors trouver de nombreux disques bien drôles. Pour sélectionner les perles, il y a la pochette, puis les titres des chansons, ensuite les noms et enfin le look des artistes chanteurs. Moins c’est connu (halte aux tubes !), plus l’ensemble donne dans le pittoresque et le non-sens. Essayez de flairer entre les sillons ceux qui ont un bon feeling,  quelque chose de spécial qui vient du cœur, comme par accident, votre bonheur n’en sera que meilleur. Alors visez directement le candidat classé 50ème à l’un des concours de l’Eurovision, les associations, les clubs, les couples, les familles, les coups montés (but = le tube) mais loupés, les reprises et adaptations, le folklore de votre région chanté par un de vos oncles ou tantes, les stars connues mais habituellement classées dans un autre registre, les sosies, les choristes et les enfants (petits et grands). Bref, tout un catalogue de gens issus de la foule qui ont publié un jour comme par un tour de magie, un disque sans autre envie que de voir gravé d'une chanson pour l’immortaliser.


Pour mieux cerner ce monde parallèle du disque, nous avons rencontré un spécialiste nommé Jean Croc. Cet homme porte bien son nom, car avant il est avant tout collectionneur de disques dans pleins de domaines musicaux. Il a 25000 disques, dont 700 à 800 45t issu de la France paillarde. Jean Croc fait la chronique d’un 45t tous les jours de la semaine sur Radio Nova. Il fait une petite présentation du disque, au 3/4 inventée, et il diffuse un morceau dans son intégralité. Avant la radio, il a été l’homme-orchestre dans la troupe Archaos. Là il faisait le son et l’animation. Comme dans une foire, il passait sa pile de disques en racontant des histoires. Le public ne savaient pas très bien c’était du lard ou du cochon avec tout ce que déblatérait Jean Croc. Alors quand à l’interview qui suit, sont-ce des tripes ou de la vache folle ? A vous de juger. Jean Croc, le micro est branché !

Jean Croc : Dans ce genre, je n’ai essentiellement que des 45t car c’est là qu’on trouve les trucs les plus ridicules. Je les achète à 5 francs un peu partout dans des brocantes ou des magasins spécialisés. J’y passe pas mal de temps. Ça fait longtemps que je chine car c’est sans fin. C’est marrant de dire qu’il y a tout le temps des disques de ce type à trouver et de se plonger dans des trucs qui ne sont pas chers puisque personne n’en veut. Et pourquoi personne n’en veut ? Soit il y a trop de choses à écouter et on ne peut pas accorder d’attention à tout ce qui se passe, ou bien c’est tellement mauvais que ça ne peut intéresser personne. Ce qui est drôle, c’est que c’est quand même une expression artistique où il y a aussi des disques qui sont produits uniquement pour faire un coup. Par exemple le tube Macarena de Los Del Rio transformé en Ma Caravane par le Festival Robles. C’est le genre d’initiative qui m’amuse car artistiquement il n’y a pas grand-chose, mais la musique a été submergée par la notion de profit. C’est une perversion du système.


Je m’éclate souvent de rire quand je les découvre et aussi quand les réécoute. Par exemple, Rendez-vous à Paris par le groupe Aventure, ça donne ceci : « Rendez-vous, rendez-vous à Paris, passage de l’univers, entourés d’arc en ciel, de musique et de lumière, les parisiens sont contents (…) Paris, Paris va gagner son pari… ». J’aime bien ce genre de paroles bien graves. Il y a plein de titres terribles : Le chouchou du chien du boucher, Quand papa danse le surf par Martine, Toi par le groupe Moi, Je suis amoureuse de Travolta par Anita… D’ailleurs, cette passion m’est venue par la curiosité de voir ces titres de chansons pas possibles, que les gens en aient fait une chanson, ça m’éclate. J’ai un copain qui est sur la même longueur d’onde que moi, mais lui fait plus fort : il classe ses 45t par sujet de chansons. La nourriture, la télé, les trains, les anniversaires, le loto sont des sujets qui reviennent souvent.


Les critères d’un bon disque cheap ?

Il faut que le disque soit un peu ridicule mais sans que cela soit fait exprès, qu’on sente une certaine authenticité et que cela soit sincère dans la démarche, que l’on sente umier degré dans la personnalité du chanteur, dans le choix de la pochette ou encore que le disque soit fait dans un but commercial. Le recul peut venir tout de suite, dans la période qui suit la création du disque, ou bien les années donnent un décalage qui prete à l’humour, à la dérision. En meme temps je respecte la démarche « pure » de ces gens. J’ai un disque enregistré par une association d’handicapés et chanté par un handicapé. C’est autoproduit, c’est de la pureté meme, ça représente tout. Faire un disque, ce n’est pas rien. Il faut créer des paroles, la musique, trouver un studio et des gens qui soient d’accord pour le faire. Faire un disque implique un certain nombre de gens sans qu’à aucun moment, personne ne dise « t’es sûr de ton coup ? ». C’est ça qui est drôle. J’aime ces disques par rapport à la chanson, au passage dans un studio et la trace qui en reste après. J’ai plusieurs 45t d’un faux artiste marseillais des années 60 qui s’appelait Edmond Taillet. Il a écrit des titres tels que Le cône rit ou Taillé dans le Rock, ça c’est très pur (rire).


Il y a aussi des gens d’une autre dimension au talent sérieux et reconnu comme Pierre Vassilliu, il y a déjà tout le décalage qu’il faut dans la musique, les paroles, c’est trop bien pour le genre. J’ai parfois croisé des gens qui ont fait un disque sans succès ni intérêt, mais ils n’en parlent pas. Ces disques sont des témoignages sociologiques de leur époque. Dans les années 80, il y a eu une grande folie de production à tout-va. Tout le monde était bon pour faire un disque. Avec l’argent roi, les gens se sont mis à chanter dans tous les sens, comme ces présentateurs télé (Pierre Bellemare, Roger Gicquel, Jean-Pierre Descombes, Denise Fabre…), des gens plus ou moins connus qui viennent d’autres domaines (sport, miss, cinéma, politique…). C’est une exploitation curieuse de la chanson, de la forme musicale. C’est vrai qu’on peut tout dire en musique, mais de là à s’affirmer chanteur quand on est journaliste, animateur ou acteur, c’est toujours curieux. Sociologiquement, ce n’est pas qu’il y ait une déviation mais plutôt une vulgarisation de la forme de l’expression musicale.

Sinon, il y a une trentaine d’années, il y avait une scène, des lieux et des occasions plus grande qu’aujourd’hui pour se produire. Il y avait les galas, les tournées, les premières parties. Je respecte beaucoup ces formes de tremplin car c’est bien de chanter ce que l’on a sur le cœur et de pouvoir s’exprimer car c’est toujours mieux que de rester enfermé chez soi entre quatre murs. Dans le fond, ce qui m’éclate, c’est d’imaginer des gens qui ont acheté ces disques au premier degré. Ils prennent plaisir à les écouter et les réécoutent. Car écouter une fois le disque c’est une chose, c’est pour se faire une opinion, mais quand on réécoute, c’est que l’on aime et ça c’est trop, je me demande vraiment comment certains disques ont pu sortir et encore des gens pour les acheter. Quand ils rentrent chez eux, c’est soit une punition, soit un cadeau. L’intérêt que je porte à ce genre de disques, c’est aussi de trouver que même à 5 francs, on peut trouver quelque chose et ça me ravit autant que l’aspect crétin que ça peut avoir.


Quels sont les labels et circuits de distributions que l’on trouve le plus souvent ?

Dans les années 70, il y a eu le label Vogue qui était très prolifique car il y avait une branche belge. Les belges sont très forts car ils s’expriment plus facilement que nous. Ils laissent libre court à leur fantaisie sans contrainte. Ça donne lieu à des trucs cocasses. Il y avait aussi CBS, RCA, Polydor, Carrère, Phillips, et avec ce label, les artistes étaient toujours bien orchestrés. Sur Barclay, il y avait un directeur artistique qui s’appelle Leo Messire (NDR : 1921-2005). Il a produit plein de titres assez comiques comme Le Cha-cha des tons ou encore Zigoumi caca boudin de Sonia Varey. Quant au label de crétinerie par excellence, c’est AB Productions, le label de Dorothée. Tout est nase de A jusqu’à B. C’est toujours des jeunes qui chantent et c’est d’une bêtise confondante. Mais dans ma collection, je n’ai pas beaucoup de disques AB.

Il y a enfin les chanteurs qui ont leur pile de 45t auto-produits. Ils les vendent à leurs galas ou plus tard dans le métro quand leur carrière a tourné. Il y a aussi ceux qui tournaient sur les podiums style Ricard pendant l’été à travers la province. Là aussi, ils pouvaient vendre leurs disques avec même une dédicace. Il ne faut pas non plus oublier tous les 45t sortis sur des labels obscurs. Ce qui est drôle dans les disques autoproduits, c’est juste l’envie qu’ont certaines personnes de vouloir chanter des chansons. Par exemple, Henriette, une vieille dame qui a interprétée La bombe atomique ou une chanson sur son quartier. Ça c’est très populaire comme la chanson devrait le rester en tant que mode d’expression.

Ce qu’il y a d’étonnant avec ses 45t, c’est qu’au dos de la pochette, il y a souvent une adresse pour écrire au fan club du chanteur ou du groupe, connu ou moins connu. Il y a toujours un espoir, un geste de reconnaissance envers eux, j’espère qu’on leur écrit en retour. 


En fait dans ma chronique sur Nova, ce n’est pas réellement d’eux que je me fous (car le les respecte) mais de ce que représente le disque avec le système de promo que cela implique. J’ai une dent contre les chefs de produits et têtes de gondole des labels. Le marketing, le principe de la promo, ça déglingue beaucoup de choses. J’ai horreur de ce principe et dès que je peux stigmatiser ce trait, je ne manque pas de le souligner dans ma chronique. Pour illustrer mon propos, cet été, France 2 a décidé qu’on allait danser sur Carrapicho et leur Tckikitchikitchikitcha. Les chefs de produit ont décidé que ce serait ça ! Finalement c’est Macarena qui a marché. Le verdict, c’est le public, il ne faut pas l’oublier, ouf ! Ce titre est toujours moins niaiseux que La Dance des Canards, même si c’est aussi fait pour danser. 

Fin de l'interview.


D’ailleurs vous pouvez aussi apprendre à danser, car dans cette mine d’or du 45t, il y a plein de danses, -autres que le Gymtonic de Véronique et Davina- à découvrir : le casatschock, le tamouré… Dansons sur Amours Disco (texte de Didier Barbelivien), sur de la variété de supermarché avec Bla-bla-bla-bla, sur A la tienne, Maité chantée par la serial killeuse d’anguilles ou encore Noel c’est formable par le duo Charly Oleg et le Professeur Choron. Pour accompagner votre  cuisine Bio, glissez dans votre pick-up (souvenir de famille récupéré de grand-père Jacques) une rengaine bien grasse telle que Kronembourg marche et le Recette de la choucroute extrait du volume 2 de la Fête de la bière. Laissez libre cours à votre imagination pour trouver un intérêt adéquat aux 45t à 5 francs. Attention aux abus !