En 2021, le label indépendant Crammed Discs a 40 ans. Créé à Bruxelles en 1981 par le musicien
et producteur Marc Hollander (Aksak Maboul, The Honeymoon Killers), Crammed
Discs va devenir un label de référence, tant leurs publications soignées,
ouvertes, pointues à la croisée du rock, du jazz, de la musique contemporaine,
expérimentale et world imposent le respect. Parmi les plus de 350
albums et plus de 250 singles/EPs parus à ce jour, notons des disques tous formats de Minimal Compact, Tuxedomoon, Aksak Maboul,
Karl Biscuit, Blaine L. Raininger, Zazou Bikaye,
John Lurie, Colin Newman, Sonoko, Bel Canto, Yasuaki Shimizu, Konono N°1, Dominic
Sonic…
En 1984, Crammed
Discs lance une nouvelle série sous l’identité Made To Measure. Ces albums, soit compilés avec plusieurs artistes, soit
avec juste un artiste proposent des compositions destinés à être des bandes
sonores pour les besoins d’autres médias, tels que le cinéma, la danse
contemporaine, le théâtre, l’art contemporain/installation vidéo, les défilés de
modes... Certaines bandes-son vont trouver preneur dans le cinéma, le
plus connues étant la collaboration entre John
Lurie et le cinéaste new yorkais Jim
Jarmusch pour les BO de Stranger Than
Paradise (Vol. 7) et Down By Law (Vol. 14), et d’autres resteront dans le
registre imaginaire, sans rien perdre de
leur magie et sensualité musicale. De 1984 avec au menu du Vol. 1, les artistes « maison » Minimal Compact, Tuxedomoon,
Benjamin Lew, Aksak Maboul à 1993 avec Le Parfum du Raky de Benjamin
Lew il y a eu 35 volumes Made To
Measure, puis quelques Vol. avec des sorties plus espacées. Les Vol. sont reconnaissable à leurs pochettes, illustrées par un peintre
célèbre, qu’on peut parfois admirer dans les musés. Sur le Vol. 1, la peinture titrée Les
Boxeurs est de Fernand Steven.
Après avoir réédité en 2017 le Vol. 12, Music For
Commercials de Yasuaki Shimizu,
voici la réédition remasterisée du Vol.1
sortie en 1984 en 33t vinyle, avec au menu Pieces
For Nothing de Minimal Compact, A la recherche de B. de Benjamin Lew, Un Chien… d’Aksak Maboul et
Verdun de Tuxedomoon.
Originaire de Tel Aviv, installé à Amsterdam, le
groupe Minimal Compact publie son
premier disque S/T en 1981 sur le label Belge Crammed Discs, faisant ainsi du groupe, l’un des fers de lance du
rock/new wave européen avec Marquis de
Sade, Mecano, Simple Minds (du début). En 1984, le
groupe a deux albums et bientôt un troisième sur Crammed Discs, soit une valeur sûre pour démarrer la série des
volumes. Idem pour les new yorkais Tuxedomoon,
venus s’installer à Bruxelles. En 1982 le groupe publie l’album Desire sur le label voisin Les Disques du Crépuscule et à partir de
1985, Tuxedomoon et ses membres en
solo seront publiés sur MTM,
avec comme mise en bouche les trois morceaux de la série Verdun présent sur le Vol. 1. L’artiste multi casquette Benjamin Lew (poète, photographe,
illustrateur sonore) a déjà un pied dans la maison Crammed, il a réalisé en
1982 un album instrumental avec Steven
Brown (Tuxedomoon). Cet album, Douzième Journée : Le verbe, La parure,
L’amour à l’atmosphère arty donne déjà une couleur sonore de ce que sera la
série des volumes. Quand à Aksak Maboul,
groupe de Marc Hollander, boss de Crammed Disc, première référence du
label avec l’album Un Peu de l’Ame des
Bandits (1980), normal qu’on le trouve présent sur ce premier volume.
Quatre artistes, quatre univers à la fois
différents, mais qui se recoupent. Déjà de part les musiciens qui se
connaissent entres eux pour certains pour avoir travaillé ensemble. Sur
les quatre pièces de Minimal Compact, il
y a la présence des membres de
Tuxedomoon avec Steven Brown (saxophone,
clarinette) Peter Principle (1954-2017),
chanteur et musicien, mais ici à la production avec son ami Gilles Martin. Les quatre morceaux de Pieces For Nothing ont été composés pour
le chorégraphe Pierre Droulers. On retrouve évidemment le style new wave/post
punk de Minimal Compactavec en
plus une touche musique contemporaine. Sur le
titre Animal Killers, le chant nous
évoque les albums La Folie/Feline des Stranglers et l’album solo Euroman
Cometh de J.J. Burnel. L’ensemble a très bien vieilli ! L’usure du temps n’a pas eu lieu, ouf.
Le morceau A la
recherche de B. de Benjamin Lew
est une illustration sonore pour l’expo de mode Huit jeunes stylistes limbourgeois. De par son utilisation, on est
bien dans le style « illustration sonore » (Library Music en VO),
avec ses petits sons cosmiques et son atmosphère mystérieuse, digne d’un film
de SF.
Pour ce Vol. 1,
Aksak Maboul a composé deux pièces
sonores, Scratch Holiday et Un Chien… . Le premier est la bande son
d’un film de vacances des Honeymoon
Killers et la deuxième pièce en six morceaux Un Chien mérite une mort de chien a été conçu pour une pièce de
théâtre de Michel Gheude. Dans le
titre du premier morceau il y a le mot Scratch, justement le morceau a pris vie
avec une platine et le 45t d’une musique pop des années 60. Pour Le Chien…, le style est dans la musique
contemporaine/minimaliste/répétitive esprit Philip Glass, Steve Reich.
Les six morceaux de cette pièce sonore sont magnifiques et très agréable à
écouter. Cette pièce illustrerait idéalement la bande son d’un film muet d’expressionniste
allemand. A (re)découvrir sans plus attendre !
Le Vol. 1
fini avec Verdun de Tuxedomoon,qui contient trois pièces écrites et
enregistrées pour la bande-son du film Het
Veld Van Eer réalisé par le cinéaste néerlandais Bob Visser. Il y a de l’atmosphère, de l’étrange, du sombre, ce qui
est normal, vu le titre Verdun,
triste célèbre champs de bataille, lors de la première guerre mondiale avec 700
000 morts/blessés/disparus en comptabilisant les soldats français et allemands.
L’ambiance du deuil, sans être mortifère est présente, avec un peu de lumière
dans la mélodie de Driving To Verdun qui
clôture l’album.
Bref, cette réédition nous a permis de réécouter cet
album, qui était resté rangé depuis des années parmi les autres vinyles. D’autres
remasterations de la série Made To
Measure Vol. sont prévues prochainement, ainsi que des nouveaux volumes, dont le Vol. 45 avec le duo Nova Materia pour une oeuvre immersive de 40 minutes titrée Xpujil. Sortie prévue le 25 juin 2021. Donc à suivre !
Je profite de cette réédition pour remettre en ligne
la chronique que j’ai écrite sur Music For Commercials MTM Vol. 12 de Yasuaki Shimizu, sortie initialement en
1987 et réédité en 2017 sur Crammed Discs.
Yasuaki Shimizu est un compositeur et saxophoniste japonais. Il a
publié son premier album solo en 1978. De 1979 à 1983 il a fait partie du
groupe Mariah. Depuis le début des années 80, il a publié de nombreux
albums tout en multipliant des collaborations avec des artistes comme David
Cunningham, Wasis Diop ainsi que pour le cinéma et la télévision.
Music For Commercials est une compilation de musiques que Yasuaki
Shimizu a composé pour des publicités destinées à la TV japonaise. La
majorité des titres sont très courts, à peine plus d’une minute. Malgré tout,
en seulement une minute, Yasuaki Shimuzu arrive à mettre beaucoup
d’éléments sonores. Sur ce sujet, Yasuaki Shimizu écrit dans la note
figurant sur la pochette du disque : « La nécessaire contrainte temporelle
m’a permis d’affiner mes pouvoirs intuitifs ». Sa musique, malgré l’aspect
minimaliste est très riche en son, en harmonie et nous fait facilement voyager,
du moins mentalement, grâce à ses boucles entêtantes parfois zen. Ces vignettes
musicales ont une certaine légèreté qui est très agréable à écouter. Pas
étonnant que ce disque soit devenu culte et très recherché, car les 24 morceaux
de l’album ont une force intemporelle qui lui donne une certaine forme de
noblesse. Musicalement on est dans l’esprit de groupes tels que Yellow Magic
Orchestra/Ryuichi Sakamoto, David Sylvian/Japan et le compositeur Michael
Nyman. Bref un bel album sonore à (re)découvrir.
Le Vieux Thorax a créé son blog Blogothorax en 2007. Dans le livre qu’il
vient de publier, il dit dans l’introduction : « Au départ, l’idée de ce blog était surtout de mettre en valeur des vieux
45t, dans des genres qui sortaient de l’ordinaire par rapport au rock, ma
culture de base. »
En tant que chineur de 45t à 1 euro (1 à 5 francs ! avant l'euro), Le Vieux Thorax part régulièrement en
mission à la recherche de petites pépites insolites en grande partie publiées
dans les années 60, mais aussi dans les années 50 et début 70. Il cherche en priorité
des artistes, labels français où il y a de l’accordéon, du cha-cha-cha, du
twist, du jerk, du surf, du mambo, boléro, de l’exotique/Antilles, du madison, baïon, de la pop/variété réactionnaire, bref,
du curieux qui ne soit pas obligatoirement du punk, du psyché ou du rock
garage. Ces meilleures trouvailles vont alimenter son blog, et servir pour les
soirées où il tient le rôle de DJ.
Avant de créer son blog, et après avoir joué dans divers groupes (Johnny Olida & The Grand Banane Flash, Aldo Magic Band, Les Combinaisons, Les Morts, Dynamo), à partir de 1995 Le Vieux Thorax en solo a publié de nombreuses K7, quelques CDR, un 45t (Villepin’occhio en 2007) et fait des apparitions
libres sur de nombreuses compilations/samplers, dont Excusez-moi, je me sui occupé un peu de tout édité en 1999 par Vivonzeureux ! le joujou de Pol Dodu, le titre Célibataires sur le sampler d’Abus Dangereux face 74 octobre 2001, et
le pompon avec le morceau The French Paradox
sur la compilation des Inrockuptibles
CQFD sortie dans le numéro de noël 2002, numéro réalisé par les lecteurs des Inrocks. https://www.davduf.net/DISCOGRAPHIE
Dans les compos/collages/Big Beat sonores du Vieux Thorax il y a pas mal d’humour,
suffit déjà de lire les titres et de regarder les pochettes des disques. Dans
le style il y a du El’Blaszczyk, le
zinzin qui a publié un album sur Born Bad
et là tout récemment sur Mono-Tone
Records. Le Vieux Thorax joue
aussi de la basse dans le groupe rock Les
Revizors, qui a publié en 2019 le 45t Airport,
avec des concerts en route, mais arrêté en plein vol (un comble quand on titre son 7' Airport) à cause d’un satané virus
nommé Covid-19.
Le livre, en format poche (12 x18 cm) est une
sélection de chroniques mise en ligne sur le blog depuis 2007 à aujourd’hui,
car « Un blog, c’est bien, Un livre,
c’est mieux ». Les chroniques sont classées par thèmes : 45tours des
iles, 45tours pas ordinaires, 45tours d’accordéon, cha-cha, mambo, pop réac, la
collection Boum Bomo, Panorama, et quelques pièces du DJ Seb récoltées lors d’une vente à La Mécanique Ondulatoire.
A la lecture des impressions du Vieux Thorax, s’il y a des petites perles, il y a aussi beaucoup de
morceaux très moyens, voir nuls. Il faut gratter beaucoup de vinyles pour
tomber sur le riff qui dénote, et fasse tilt illico, comme le son des mascottes
anglaises du film Ne nous fâchons pas
de Georges Lautner. Parmi les morceaux
chouchou du Vieux Thorax il y a Quand l’électronique s’amuse de Vynan, Little Carolina interprété par Luis
Pena et son Orchestre, morceau disponible sur la face A de l’EP 4 titres Boum Bono n°5. La série Boum Bono a été créée par les Bonneteries
de Moreuil d’Amiens, pour faire de la pub de leurs vêtements. On voit leurs
vêtements sur les photos des pochettes des 45t. Un petit dernier, extrait du
gros dossier du label/série Panorama
avec Suspence, interprété par James Awardet son Orchestre sur le 45t Tes
tendres années. Pour la suite, je vous laisse les rechercher dans les 160 pages
du livre.
En plus des chroniques, Le Vieux Thorax a rajouté les commentaires. Par exemple, ceux du
45t Petite sœur d’Eddy Pascal. Il y a un commentaire d’Eddy Pascal qui ne chante plus depuis
des années car les circonstances l’on obligé à laisser tomber le métier, et de son
petit- fils de 10 ans, qui a appris à chanter grâce à son grand père.
Petit bémol, entre la version livre et la version
internet du blog, c’est le côté interactif du lien YouTube. Sur le net, on
clic, mais sur le livre, c’est un lien compliqué. Je vous souhaite du courage
pour recopier sur la page de recherche, les hiéroglyphes tels que
K_1rS5Z5GHI&list=PL6EYRryqJOiX0ztclo3nfKfVugW_jbKLT&index=73 pour le
morceau Dada Twist. Sur le livre, c’est
mieux de mettre juste le nom de l’artiste et le titre du morceau. Ce bémol oublié (1),
allez commander le livre (version papier et PDF) sur le site The Book édition (lien ci-dessous), car le
livre n’est pas disponible en librairie n’y chez les disquaires et autres lieux
en lien avec la musique. Bonne lecture et bonne écoute !
(1) Le Vieux Thorax vient de me préciser par mail, que les liens YouTube sont prévus pour la version PDF, permettant ainsi de cliquer directement sur le lien.
Je profite de cette chronique, pour mettre en ligne un
article que j’avais écrit fin 1996 sur Jean
Croc pour le fanzine Ortie n°4,
publié en février 1997. A cette époque, Jean
Croc était une figure sur Radio Nova. Le week-end il animait avec Ariel Wizmann l’émission Cocktail Time. Toujours sur Radio Nova,
il avait une chronique à 7h45 où il passait un 45t décalé, qui nous faisait
sourire et nous mettait de bonne humeur. Dans ces 45t, il y avait souvent des
petites perles sonores, d’où le rapport avec les 45t chinés par Le Vieux Thorax.
En 2002, Jean
Croc avec Nicola Errèra (avec Ariel Wizmann il a également fait parti du duo Grand Popo Football Club avec
l’excellent tube électro à danser Each Finger Has An Attitude)
vont créer le groupe Rouge Rouge,
qui publiera l'album Ce Soir après dîner. Le morceau L’amour
(avec un sample de Mouloudji) est un petit délice mélancolique. Par la suite j’ai perdu de vue le parcourt de
Jean Croc. Sauf, en aout 2018, lord
de la projection à Ground Zéro (Paris) du film A la recherche
de l’ultra-Sex réalisé par Nicolas
Charlet et Bruno Lavaire, qui
ont également créé sur Canal + l’émission décalée Message à caractère informatif. Avant et après la projection du
film, Jean Croc était au poste de DJ, installé dans une caravane des années 70. Ce poste de DJ (avec ses 45000 disques, il a de quoi faire), il le fait surement toujours sur Paname, entre soirées undergrounds et d'autres plus chics.
Petit nota, avant
de lire l’article/interview ci-dessous.
L’article a été publié en 1997, soit un retour dans l’espace-temps de 24 ans.
En 1997, on n’était pas encore à l’euro, mais au franc, et bien entendu il n’y
avait pas Internet n’y et les réseaux sociaux. Bonne lecture !
JEAN CROC : Pop pourri, les 45
tours chics et pas chères
S’il vous arrive parfois d’aller fouiller dans les
brocantes, braderies et vide-greniers de votre quartier, département, vous avez
certainement vu des 45t vendus entre 1 et 5 francs (moins d’un euro). Ces 45t
sont le plus souvent des disques passés de mode (succès devenue
ringard ?), voire totalement inconnus, qui n’intéressent plus grand monde,
ce qui explique souvent leur prix peu élevé. Les gens les vendent pour s’en
débarrasser et non pour faire de l’argent. Il faut dire que si l’on prend ces
disques « bas de gammes » au premier degré, ce n’est pas souvent
drôle. Comment trouver un intérêt à écouter Viens
boire un petit coup à la maison ou un tube du con de Lagaf et son Il est beau le
lavabo ou encore Dur, dur d’être un
bébé de Jordi, la version Dur, dur d’être un pépé est
surement plus pittoresque. Par contre, si on
décide de prendre ces disques au minimum au second degré et qu’on commence à
faire une sélection dans les tas de vinyles au rabais, on peut alors trouver de
nombreux disques bien drôles. Pour sélectionner les perles, il y a la pochette,
puis les titres des chansons, ensuite les noms et enfin le look des artistes
chanteurs. Moins c’est connu (halte aux tubes !), plus l’ensemble donne
dans le pittoresque et le non-sens. Essayez de flairer entre les sillons ceux
qui ont un bon feeling,quelque chose de
spécial qui vient du cœur, comme par accident, votre bonheur n’en sera que
meilleur. Alors visez directement le candidat classé 50ème à l’un
des concours de l’Eurovision, les associations, les clubs, les couples, les
familles, les coups montés (but = le tube) mais loupés, les reprises et
adaptations, le folklore de votre région chanté par un de vos oncles ou tantes,
les stars connues mais habituellement classées dans un autre registre, les
sosies, les choristes et les enfants (petits et grands). Bref, tout un
catalogue de gens issus de la foule qui ont publié un jour comme par un tour de
magie, un disque sans autre envie que de voir gravé d'une chanson
pour l’immortaliser.
Pour mieux cerner ce monde parallèle du disque, nous
avons rencontré un spécialiste nommé Jean
Croc. Cet homme porte bien son nom, car avant il est avant tout
collectionneur de disques dans pleins de domaines musicaux. Il a 25000 disques,
dont 700 à 800 45t issu de la France paillarde. Jean Croc fait la chronique
d’un 45t tous les jours de la semaine sur Radio Nova. Il fait une petite
présentation du disque, au 3/4 inventée, et il diffuse un morceau dans son
intégralité. Avant la radio, il a été l’homme-orchestre dans la troupe Archaos.
Là il faisait le son et l’animation. Comme dans une foire, il passait sa pile
de disques en racontant des histoires. Le public ne savaient pas très bien
c’était du lard ou du cochon avec tout ce que déblatérait Jean Croc. Alors
quand à l’interview qui suit, sont-ce des tripes ou de la vache folle ? A
vous de juger. Jean Croc, le micro
est branché !
Jean Croc : Dans ce genre, je n’ai
essentiellement que des 45t car c’est là qu’on trouve les trucs les plus
ridicules. Je les achète à 5 francs un peu partout dans des brocantes ou des
magasins spécialisés. J’y passe pas mal de temps. Ça fait longtemps que je
chine car c’est sans fin. C’est marrant de dire qu’il y a tout le temps des
disques de ce type à trouver et de se plonger dans des trucs qui ne sont pas
chers puisque personne n’en veut. Et pourquoi personne n’en veut ? Soit il
y a trop de choses à écouter et on ne peut pas accorder d’attention à tout ce
qui se passe, ou bien c’est tellement mauvais que ça ne peut intéresser
personne. Ce qui est drôle, c’est que c’est quand même une expression
artistique où il y a aussi des disques qui sont produits uniquement pour faire
un coup. Par exemple le tube Macarena
de Los Del Rio transformé en Ma Caravane par le Festival Robles. C’est le genre d’initiative qui m’amuse car
artistiquement il n’y a pas grand-chose, mais la musique a été submergée par la
notion de profit. C’est une perversion du système.
Je m’éclate souvent de rire quand je les découvre et
aussi quand les réécoute. Par exemple, Rendez-vous à Paris par le groupe Aventure,
ça donne ceci : « Rendez-vous,
rendez-vous à Paris, passage de l’univers, entourés d’arc en ciel, de musique
et de lumière, les parisiens sont contents (…) Paris, Paris va gagner son
pari… ». J’aime bien ce genre de paroles bien graves. Il y a plein de
titres terribles : Le chouchou du chien du boucher, Quand papa danse le
surf par Martine, Toi par le groupe Moi, Je suis amoureuse de Travolta par Anita… D’ailleurs, cette passion m’est
venue par la curiosité de voir ces titres de chansons pas possibles, que les
gens en aient fait une chanson, ça m’éclate. J’ai un copain qui est sur la même
longueur d’onde que moi, mais lui fait plus fort : il classe ses 45t par
sujet de chansons. La nourriture, la télé, les trains, les anniversaires, le
loto sont des sujets qui reviennent souvent.
Les critères d’un bon disque
cheap ?
Il faut que le disque soit un peu ridicule mais sans
que cela soit fait exprès, qu’on sente une certaine authenticité et que cela
soit sincère dans la démarche, que l’on sente umier degré dans la personnalité
du chanteur, dans le choix de la pochette ou encore que le disque soit fait
dans un but commercial. Le recul peut venir tout de suite, dans la période qui
suit la création du disque, ou bien les années donnent un décalage qui prete à
l’humour, à la dérision. En meme temps je respecte la démarche
« pure » de ces gens. J’ai un disque enregistré par une association
d’handicapés et chanté par un handicapé. C’est autoproduit, c’est de la pureté
meme, ça représente tout. Faire un disque, ce n’est pas rien. Il faut créer des
paroles, la musique, trouver un studio et des gens qui soient d’accord pour le
faire. Faire un disque implique un certain nombre de gens sans qu’à aucun
moment, personne ne dise « t’es sûr de ton coup ? ». C’est ça
qui est drôle. J’aime ces disques par rapport à la chanson, au passage dans un
studio et la trace qui en reste après. J’ai plusieurs 45t d’un faux artiste
marseillais des années 60 qui s’appelait Edmond
Taillet. Il a écrit des titres tels que Le
cône rit ou Taillé dans le Rock,
ça c’est très pur (rire).
Il y a aussi des gens d’une autre dimension au talent
sérieux et reconnu comme Pierre
Vassilliu, il y a déjà tout le décalage qu’il faut dans la musique, les
paroles, c’est trop bien pour le genre. J’ai parfois croisé des gens qui ont
fait un disque sans succès ni intérêt, mais ils n’en parlent pas. Ces disques
sont des témoignages sociologiques de leur époque. Dans les années 80, il y a
eu une grande folie de production à tout-va. Tout le monde était bon pour faire
un disque. Avec l’argent roi, les gens se sont mis à chanter dans tous les
sens, comme ces présentateurs télé (Pierre
Bellemare, Roger Gicquel, Jean-Pierre Descombes, Denise Fabre…), des gens plus ou moins
connus qui viennent d’autres domaines (sport, miss, cinéma, politique…). C’est
une exploitation curieuse de la chanson, de la forme musicale. C’est vrai qu’on
peut tout dire en musique, mais de là à s’affirmer chanteur quand on est
journaliste, animateur ou acteur, c’est toujours curieux. Sociologiquement, ce
n’est pas qu’il y ait une déviation mais plutôt une vulgarisation de la forme
de l’expression musicale.
Sinon, il y a une trentaine d’années, il y avait une scène,
des lieux et des occasions plus grande qu’aujourd’hui pour se produire. Il y
avait les galas, les tournées, les premières parties. Je respecte beaucoup ces
formes de tremplin car c’est bien de chanter ce que l’on a sur le cœur et de
pouvoir s’exprimer car c’est toujours mieux que de rester enfermé chez soi
entre quatre murs. Dans le fond, ce qui m’éclate, c’est d’imaginer des gens qui
ont acheté ces disques au premier degré. Ils prennent plaisir à les écouter et
les réécoutent. Car écouter une fois le disque c’est une chose, c’est pour se
faire une opinion, mais quand on réécoute, c’est que l’on aime et ça c’est
trop, je me demande vraiment comment certains disques ont pu sortir et encore
des gens pour les acheter. Quand ils rentrent chez eux, c’est soit une
punition, soit un cadeau. L’intérêt que je porte à ce genre de disques, c’est
aussi de trouver que même à 5 francs, on peut trouver quelque chose et ça me
ravit autant que l’aspect crétin que ça peut avoir.
Quels sont les labels et circuits de
distributions que l’on trouve le plus souvent ?
Dans les années 70, il y a eu le label Vogue qui était très prolifique car il y
avait une branche belge. Les belges sont très forts car ils s’expriment plus
facilement que nous. Ils laissent libre court à leur fantaisie sans contrainte.
Ça donne lieu à des trucs cocasses. Il y avait aussi CBS, RCA, Polydor, Carrère, Phillips, et
avec ce label, les artistes étaient toujours bien orchestrés. Sur Barclay, il y avait un directeur
artistique qui s’appelle Leo Messire
(NDR : 1921-2005). Il a produit plein de titres assez comiques comme Le Cha-cha des tons ou encore Zigoumi caca boudin de Sonia Varey. Quant au label de
crétinerie par excellence, c’est AB Productions, le label de Dorothée. Tout est nase de A jusqu’à B.
C’est toujours des jeunes qui chantent et c’est d’une bêtise confondante. Mais
dans ma collection, je n’ai pas beaucoup de disques AB.
Il y a enfin les chanteurs qui ont leur pile de 45t
auto-produits. Ils les vendent à leurs galas ou plus tard dans le métro quand
leur carrière a tourné. Il y a aussi ceux qui tournaient sur les podiums style
Ricard pendant l’été à travers la province. Là aussi, ils pouvaient vendre
leurs disques avec même une dédicace. Il ne faut pas non plus oublier tous les
45t sortis sur des labels obscurs. Ce qui est drôle dans les disques
autoproduits, c’est juste l’envie qu’ont certaines personnes de vouloir chanter
des chansons. Par exemple, Henriette,
une vieille dame qui a interprétée La
bombe atomique ou une chanson sur son quartier. Ça c’est très populaire
comme la chanson devrait le rester en tant que mode d’expression.
Ce qu’il y a d’étonnant avec ses 45t, c’est qu’au dos
de la pochette, il y a souvent une adresse pour écrire au fan club du chanteur
ou du groupe, connu ou moins connu. Il y a toujours un espoir, un geste de
reconnaissance envers eux, j’espère qu’on leur écrit en retour.
En fait dans ma chronique sur Nova, ce n’est pas
réellement d’eux que je me fous (car le les respecte) mais de ce que représente
le disque avec le système de promo que cela implique. J’ai une dent contre les
chefs de produits et têtes de gondole des labels. Le marketing, le principe de
la promo, ça déglingue beaucoup de choses. J’ai horreur de ce principe et dès
que je peux stigmatiser ce trait, je ne manque pas de le souligner dans ma
chronique. Pour illustrer mon propos, cet été, France 2 a décidé qu’on allait
danser sur Carrapicho et leur Tckikitchikitchikitcha. Les chefs de
produit ont décidé que ce serait ça ! Finalement c’est Macarena qui a marché. Le verdict,
c’est le public, il ne faut pas l’oublier, ouf ! Ce titre est toujours
moins niaiseux que La Dance des Canards,
même si c’est aussi fait pour danser.
Fin de l'interview.
D’ailleurs vous pouvez aussi apprendre à danser, car
dans cette mine d’or du 45t, il y a plein de danses, -autres que le Gymtonic de Véronique et Davina- à
découvrir : le casatschock, le tamouré… Dansons sur Amours Disco (texte de Didier
Barbelivien), sur de la variété de supermarché avec Bla-bla-bla-bla, sur A la
tienne, Maité chantée par la serial killeuse d’anguilles ou encore Noel c’est formable par le duo Charly Oleg et le Professeur Choron. Pour accompagner votre cuisine Bio, glissez dans votre pick-up
(souvenir de famille récupéré de grand-père Jacques) une rengaine bien grasse
telle que Kronembourg marche et le Recette de la choucroute extrait du volume 2
de la Fête de la bière. Laissez
libre cours à votre imagination pour trouver un intérêt adéquat aux 45t à 5
francs. Attention aux abus !