dimanche 13 novembre 2022

FRANCOIS MERLIN "Les Magnifiques" (Araki records) – 18 octobre 2022

Quand on voit de loin la pochette, on pourrait penser qu’il s’agit du disque d’un groupe de musique industrielle du style Death In June ou Laibach. En fait il n’en est rien, il s’agit du  2ème album du compositeur François Merlin. La pochette réalisé par Dylan Cozian, nous montre la photo du sergent Hans Schultz interprété par l’acteur autrichien John Banner dans la célèbre série sixties américaine Papa Schultz. Sur la pochette, les yeux de l’acteur sont remplacés par les yeux de Bashful, personnage du dessin animé Blanche-Neige et les Sept Nains de Walt Disney (1938). Ce visuel rétro est lié à la perte des deux grands-pères -André et Roland, morts en l’espace d’une semaine-, de François Merlin. Ils ont dû voir Blanche-Neige au cinéma et le personnage du sergent Hans Schultz doit représenter l’occupation de Allemagne nazi pendant la seconde guerre mondiale ou une vieille série télé de l’époque ORTF, même si pour le cas de Papa Schultz qui  date du milieu des années 60, elle n’a été diffusée à la télé française qu’au milieu des années 80 sur Canal+. Titré Les Magnifiques, ce 2ème album de François Merlin est donc un hommage intime à ses deux grands-pères et à une génération née pendant dans la période de la  2ème guerre mondiale. En espérant qu’il n’y est pas une troisième avec le climat géo politique actuel.

Photo @ François Dourlen

Le multi instrumentiste François Merlin, a composé, arrangé les morceaux chez lui et produit l’album au studio Near Deaf Expérience avec Éric Cervera (ex Hoa Queen, excellent groupe breton qui n’a publié qu’un album) et Sébastien Lorho (la liste des disques qu’il a produit donne le vertige). Pour l’enregistrement des morceaux/instrumentaux, il est accompagné de nombreux musiciens et  voix, donnant ainsi aux morceaux, une dimension orchestrale, théâtrale, entre une B.O. de film et la musique pour un spectacle de danse, de théâtre de marionnettes, cirque/cabaret de poche où manège de fête foraine. De par l’hommage, lié à un passé révolu (à l’époque il n’y avait pas les réseaux sociaux -sociaux ?-, les téléphones portables avec moult applications -bientôt pour ouvrir n’importe quelle porte ou acheter une pomme, il faudra avoir installé une application sur son téléphone -téléphone ?- portable, en espérant qu’il n’y a pas de panne de batterie au moment du geste), il y a beaucoup de mélancolie, de spleen à travers les morceaux, sans pour autant tomber dans la dépression, ouf. Quelque collages sonores nous ramène à l’époque de la radio RTF, l’évocation d’images en noir et blanc d’un film des années 50 ou 60, comme Persona de Ingmar Bergman (1966), qui fait le lien avec le premier album de François Merlin, tout simplement titré Persona (2018). L’introduction (Le métronome de Fantômas) de l’album Les Magnifiques  utilise des sons de la fin du morceau éponyme de l’album Persona. Pour rester dans les liens avec un mot, dans le fanzine Persona n°7, hiver 2019, il y a une interview de François Merlin réalisée par Frédéric Lemaitre.

Pochette de l’album Persona (Auto-production) - 2018

De par la richesse de l’instrumentation en mode analogique (piano, vibraphone, violons, percussions, synthétiseurs -Moog, Korg, Farfila, harmonium-, clarinettes, flûte, cors, mandoline, guitares acoustiques et électriques, basse…), des voix "angéliques", une acoustique sonore à tomber, c’est clair, ici on est dans l’exigence d’un compositeur de la trempe de John Barry, Jean-Claude Vannier, Angelo Badalamenti et dans la famille d’artistes comme Pierre-Daven Keller, Fred Pallem, Air, Pascal Comelade, Sixteen Horsepower/David Eugene Edwards et Pink Floyd. Allez, assez écrit, le mieux est que vous écoutez ce second album qui est justement "magnifiques", au pluriel, en espérant que Roland et André entendent tout la haut ce que leur petit fils à composer pour eux. Pour clore la chronique, à noter, pour le fétichiste du vinyle, le dernier morceau de l’album, Redoutable Turandot ne s’achève qu’une fois que vous avez levez le bras de la platine disque. Le dernier sillon tourne en boucle (1). 


(1): Il doit sûrement avoir des collectionneurs de ce type de disques. From Here To Infinity, premier album solo de Lee Ranaldo (ex Sonic Youth) -1987- ne contient que des morceaux qui finissent en boucle. A la fin de chaque morceau, il faut relever le bras de la platine. Ainsi les 40 secondes de chaque titre (la durée moyenne officiel) peuvent durer à votre convenance et patience d'un son qui tourne en boucle, comme la goutte d'eau dans un évier.

https://francoismerlin.bandcamp.com/album/les-magnifiques

https://www.facebook.com/fran.merlin


samedi 12 novembre 2022

"IN FELT WE TRUST" de Elsa Kuhn (Les Éditions du Boulon) – 10 novembre 2022

Hasard du calendrier, quelque jours après la sortie du livre Discographisme Maison/Homemade Record Sleeves de Patrice Caillet et Alan Courtis (1), voici In Felt We Trust, Handmade Recreations for music lovers d’Elsa Kuhn. Ces deux livres ont pour sujet la pochette de disque, principalement en vinyle, mais le traitement n’a "presque" rien voir. Dans le livre de Patrice Caillet, il s’agit de pochettes certes originales, mais lambda (un tube de variété, une compilation trouvé dans les disques des parents), qui sont griffonnées, déchirées, avec des textes écrits à la main, des photos de magazines collées par un enfant ou un amoureux, bref c’est le carnage ! Le livre d’Elza Kuhn est différent, car il contient ses réalisations qui consiste à recréer à l’identique, en feutrine (FELT en anglais), les pochettes de disques d’artistes qu’elle aime ou demandés/commandés par un artiste qu’elle apprécie, un.e ami.e et autres personnes séduit par son travail d'artiste. Au fil des réalisations (postées sur sa page Facebook), on arrive à une sorte de playlist idéale, faisant partie de son TOP 100 de disques intemporel. Le point commun qui pourrait relier ses deux livres, serait qu’Elza colle une feutrine sur un 45 tours de variété tout public et que Patrice Caillet le trouve quelques mois plus tard dans un vide grenier, posé sur un étalage où se trouve pèle mêle, disques, livres, magazines, DVD et vêtements pour enfant.

De la feutrine de divers couleurs, du fil, des ciseaux, des épingles, un modèle de pochette de disque de son choix ou demandé par un fan, un artiste et hop, place à la création poétique et artisanale inspirée de l’artiste Elsa Kuhn couturière d'icônes pop et rock. Ces œuvres sont poétiques et touchantes, car le résultat est ludique et pop, proche de l’illustration d’un livre d’enfant (à noter que Elsa réalise des vêtement pour enfants de 0 à 8 ans), qui nous ramène au souvenir, et parfois à la mélancolie. Comme elle utilise la feutrine et non pas la peinture, le stylo bic ou le stylo feutre pour donner les formes, vies au sujet, on peut penser aux tableaux réalisés par Lore Bargès, quand elle était la chanteuse et musicienne d’instruments jouets "toys" du groupe Dragibus, dont elle faisait aussi les pochettes de disques, toujours avec de la feutrine. Les originaux étaient parfois exposés. Aujourd’hui Lore a troquée la feutrine pour la céramique, elle a créé l’Atelier Coléopterre à Loos (59) https://coleopterreceramique.blogspot.com/.

Coté choix des pochettes à reprendre, Elsa Kuhn, a un goût bien affuté. En tant que DJ dans les soirées indé, spectatrice assidue dans les concerts indé avec le merchandising, son conjoint Fred est le boss du magasin Pop Culture (disques et comics) à Paris, elle est prête à braver le froid pour chiner dans les vides greniers, autant dire qu’au fil des années, sa collection de disques va grandir avec de belles trouvailles en format vinyle, il suffit de feuilleter son livre pour avoir un bel aperçu : Dondestan de Robert Waytt (1977), End of the Century des Ramones (1979), Spiderland de Slint (1991), In On The Kill Taker de Fugazi (1993), In The City de The Jam (1977), Music Has The Right To Children de Boards Of Canada (1998), This is Hardcore de Pulp (1998), Head Hunters de Herbie Hancock (1973), 1999 de Price (1982) et pleins d’autres noms digne de figurer dans une belle discothèque.


Son livre contient près d’une centaine de pochette de disques réalisés à la feutrine. Sur sa page Facebook, on découvre d’autres pochettes tout aussi belles. Elsa a donné la plume à plusieurs personnalités pour écrire quelques lignes sur une pochette qui les ont marqués et commandés à l’artiste. JD Beauvallet a choisi le premier album des Feelies (1980), Théo Hakola l’album éponyme de Bo Diddley (1958), Bryter Layter de Nick Drake (1971) pour Philippe Azoury, Ode To Billie Joe de Bobbie Gentry pour Bruno Juffin, Hounds of Love de Kate Bush (1985) pour Lisa Balavoine, Tago Mago de Can (1971) pour Joseph Ghosn, Psychocandy de The Jesus & Mary Chain (1985) pour Christophe Basterra, Transformer de Lou Reed (1972) pour Pauline Le Gall, Rock’n’Roll The Modern Lovers de Jonathan Richmann & The Modern Lovers (1977) pour François Gorin, Eskimo des Residents (1979) pour David Fenech et ainsi de suite avec Lisa Chetteau, Jeff Mueller guitariste de June of 44, Benjamin Berton, Gabriel Edwards, RJ Ellory, Louis-Stéphane Ulysse, Terreur Graphique, Tracy Keats Wilson et Anna Henrotte-Bois. Quant à l’introduction, elle a été écrite par Étienne Greib (du site Section 26) qui nous fait une petite présentation d'Elsa qu’il a connu lors d’une soirée où elle est DJ, notamment quand elle a passée un morceau de Young Marble Giants.


La mise en page de In Felt We Trust est soignée. Pour chaque pochette de disque, selon le visuel, il y a le nom de l’illustrateur, du photographe, du directeur artistique et parfois un petit commentaire pour donner une info, une anecdote. Par exemple pour la photo réalisé par Clay Holden pour l’album 20 jazz Funk Greats de Throbbing Gristle, il est indiqué que "l’idée de cette photo était de faire un pastiche de carte postale typique de bord de mer. Sauf que la photo a été prise à Beachy Head, spot de suicides en Angleterre." La mise en page permet aussi de voir des œuvres en constructions, pas encore achevés, des détails, parfois le verso avec les coutures, la présence du chat (comme sur le Facebook du disquaire Ballades Sonores avec le chat Pepito). Comme écrit en 4ème page de couverture : A dévorer des yeux et des oreilles. On ne peut pas être plus clair.

(1): Chronique du livre Discographisme Maison/Homemade Record Sleeves ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2022/11/discographisme-maisonhomemade-records.html


https://www.facebook.com/infeltwetrust

https://www.facebook.com/elsa.kuhn

https://leboulon.net/in-felt-we-trust/