Si dans les années 80, il y avait peu de livres écrits en français sur la musique rock (sauf pour les ténors qui faisaient régulièrement les couv. de Rock & Folk et Best), depuis une quinzaine d’années, les livres consacrés au rock (styles de musiques et artistes) sortent à foison, notamment chez les éditeurs Camion Blanc, Le Castor Astral, Alias, Le Mot et le Reste, la collection Discogonie chez Densité. Voici mon TOP 10 des livres qui m’ont marqués. Évidemment il y en a d’autres, mais les livres que j’ai sélectionnés ont une place à part, tant par le style d’écriture, l’immersion dans la musique et les découvertes.
Photo d’introduction, couverture du feu Abus Dangereux face 111, septembre 2009. Ce numéro "spécial" était consacré aux livres sur le rock avec des articles, chroniques et interviews sur ceux qui aiment le support papier.
MARK E. SMITH "Renégat" (Le Serpent à Plumes (2016)
« Le samedi, c’est sacré pour moi. Je déteste toujours autant travailler le samedi. C’est mon jour de congé. Je me lève à midi et je picole toute la journée. Je fais ça depuis l’âge de seize ans. Écouter des disques. Glander. Aller boire une pinte » (page 254). Ou encore, « Quand on m’explique que j’ai un problème d’alcool, je réponds que c’est vrai. Notamment où m’en procurer après onze heures du soir » (page 141). Bienvenue dans la vie de Mark E. Smith, le leader (chanteur/compositeur) du groupe The Fall.
Publié en Angleterre en 2008 (chez Penguin Books), Renégat est enfin traduit en français (avec une autre couverture qui ne perd pas au change) grâce au Serpent à Plumes. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je droit préciser que la traduction de Nathalie Peronny est parfaite, on entre dès les premières lignes grâce à une écriture fluide avec l’humour anglais intact. Aidé par Austin Collings (surement pour la mise en forme), Mark E. Smith nous raconte sa vie avec The Fall sans mâcher ses mots, au contraire il se lâche dès la première page (la 7ème ligne pour être précis) en traitant ses musiciens de « pleurnichards ». Sur les 270 pages du livre, il dit du mal de tout le monde (avec une mauvaise foi qui fait sourire), sauf des piliers de comptoir qui consomment dans les pubs de Manchester. Mark E. Smith n’aime personne: John Peel, Liam Gallagher, John Lennon, Morrissey, Elvis Costello, Gang Of Four, les labels Rough Trade, Factory Records et Virgin, les journalistes, les australiens et encore mieux ses musiciens. Par contre il aime le foot, notamment George Best, les Stooges, le label Kamera Records, des écrivains et surtout passer du temps dans les pubs. Il n’aime personne, on n’en fera pas un pote vu toutes les conneries qu’il sort (dernièrement il aurait dû s’abstenir à propos des réfugiés), mais voilà, son livre est vraiment génial. On rigole, on apprend plein de choses, on est pris dans le fluide de ses propos et on dévore avec jubilation ses moments de vie 100% rock’n’roll. Mieux qu’une bio classique (qui part de l’enfance jusqu’à la gloire ou le déclin), Renégat est une tranche de vie sur un chanteur et compositeur de punk rock qui ne sait pas jouer d’un instrument de musique. Toute sa vie, Mark E. Smith doit embaucher des musiciens pour jouer ce qu’il entend dans sa tête. Même s'il les considère juste comme de simples musicos (pas des potes), il a gardé le même principe depuis la création de The Fall (en 1976), celui de payer tout le monde pareil, lui y compris. Sous ses airs de dictateur mal luné, il reste malgré tout correct du point de vue bisness. Comme toutes les grandes gueules, Mark E. Smith cache derrière sa carapace une sympathie, mais qui n’est pas facile à gérer, à cause de tout ce qu’il a absorbé depuis plus de 40 ans. Que vous soyez fan ou pas de The Fall et du renégat « forte tête » Mark E. Smith, ce livre qui sent bon le soufre du rock est vivement recommandé. Bonne lecture ! (Chronique publiée dans Abus Dangereux face 140, octobre/décembre 2016 – Depuis Mark E. Smith nous a quitté, c’était le 24 janvier 2018)
VIV ALBERTINE "De fringues, de musique et de mecs" (Buchet Chastel – 2017)
D’entrée de jeu, on va être clair, la biographie de Viv Albertine, ex guitariste du groupe punk-reggae The Slits (Les fentes) est UNE BOMBE. Pas étonnant qu’elle ait reçu de nombreux prix dans son pays (le livre est sorti en Angleterre en 2014 sous le titre Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys), tant son histoire pourrait faire un bon scénario de film. Car Viv sait écrire, elle écrit très bien. Elle a un magnifique style, à la fois fluide, sensible, direct, avec une touche d’humour, pour raconter son vécu à la fois rock’n’roll et « madame tout le monde », enfin presque.
Comme pour
un disque vinyle, son livre possède une Face A et une Face B. Sur la face A du
45t il y a le tube (ou du moins le morceau qui pourrait être un futur tube) et
sur la face B il y a, soit un morceau inédit qui n’est pas sur l’album, soit un
morceau plus secondaire. C’est rare que le tube soit en face B, mais cela
arrive. Pour la bio de Viv c’est pareil. La Face A est consacrée à sa
période punk avec ses (petits) amis Mick Jones, Sid Vicious, Johnny
Thunders, Malcolm McLaren …, les magasins de fringues, Viv aime se
saper entre la récup et des noms de créateurs -Vivienne Westwood-,
l’école d’art, son apprentissage à la guitare, la « petite » carrière des Slits
(du point de vue disques -deux albums dans la période punk-, mais par contre
très influentes sur les générations futurs), être un groupe de filles (avec Ari
Up, Palmolive, Tessa) dans le Londres punk de 1977-78… La face B, c’est la
galère avec la maladie, les problèmes de la vie d’adulte où la chance n’est pas
toujours de la partie. Mais c’est aussi son mariage et la naissance « difficile
» de sa fille, sa correspondance avec Vincent Gallo, la reformation des Slits
(devenue New Slits), une tournée US avec les Raincoats, son album
solo et … encore 180 pages riches de vies, de morts et d'espoirs.
Dès l’introduction, on est averti : « Pour écrire son autobiographie il faut
être un sacré connard, ou alors c’est qu’on est fauché. Moi c’est un peu des
deux. » Et le titre du premier chapitre est « Masturbation ». Son
livre est tellement magnifique et prenant à lire, qu’on n’a pas envie de vous
raconter son histoire, pour ne surtout pas la spolier. On a juste envie de vous
encourager à l’acheter (en plus cette édition papier est d'excellente qualité),
à vous le faire offrir (ce ne sont pas les occasions qui manquent) ou de
l’emprunter à la bibliothèque.
Ok, on n’a
pas envie de vous raconter ce qui se passe pendant 490 pages (vous êtes obligé
de le lire, et ce ne sera pas une torture, au contraire…), par contre juste
comme ça un « petit » extrait page 145 pour vous donner une idée : « Un
jour, Sid (Vicious-N.D.L.R.-) se pointe avec son pantalon à pinces, mais
il est en lambeaux. Il l’a lacéré à la lame de rasoir parce qu’il le haïssait
vraiment beaucoup, mais comme il ne trouvait pas son jean et qu’il devait
sortir, il a bien fallu le rafistoler. Alors il a rattaché les lambeaux avec
des tas d’épingles à nourrice, par centaines. C’est ça qui a lancé la mode des
« tonnes d’épingles à nourrice » dans les boite de nuit : les gens l’ont imité,
mais lui ne l’avait fait que parce qu’il n’avait pas envie de se prendre la
tête à recoudre son pantalon.» Des passages comme ça, c’est dans tout le
bouquin, entre sa vie pour la musique et pour sa famille. Alors convaincu ?
(Chronique publiée sur foutraque.com – juin 2017)
DEE DEE RAMONE "Mort aux Ramones" (Au diable Vauvrey - 2002)
Chronique ci-dessus publiée dans Abus Dangereux face 81, mars 2003
PETER HOOK "Unknown Pleasures JOY DIVISION vu de l’intérieur" (Le Mot et le Reste – 2013)
Je n’ai pas
écris de chronique sur ce livre, mais qu’importe, l’écriture de Peter Hook est saisissant. On a
l’impression d’être juste à coter de lui, pour voir ce qui se passe. Essentiel
pour les fans de Joy Division, mais
aussi pour les amateurs de rock, qui désirent voir l’émergence d’un groupe qui
sera une référence incontournable du rock anglais.De plus Peter Hook a de l'humour et ne règle pas ses compte avec Bernard Sumner.
PHILIPPE DUMEZ "Basse fidélité" (Le Mot et le Reste - 2016)
Chronique du livre ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2021/03/philippe-dumez-lecumeur-pose-des.html
DEBBIE HARRY "Face It l’autobiographie" (Harper Collins – 2020)
Chronique du livre ici: https://paskallarsen.blogspot.com/2021/02/debbie-harry-face-it-lautobiographie.html
JULIAN COPE "KRAUTROCKSAMPLER" (Kargo & l’éclat – 2005)
Je n’ai pas écris de chronique sur ce livre. De plus, aujourd’hui ce livre traduit en français en 2005 (la version anglaise date de 1995) est épuisé. Malgré tout, je suis obligé de le mettre dans mon TOP10, tant le parti prit de l’anglais Julian Cope d’écrire sur la musique Krautrock en tant que fan de se style est juste génial. Comme il aime ses groupes allemands des années 70, il emplois à tout bout de ligne, des superlatifs d’enthousiasme, comme seul un fan peu écrire. C’est ce qui donne un charme a ce livre plus proche du hors-série d’un fanzine pour l’esprit, que du livre d’un journaliste qui prendra une direction plus académique. Juste deux extraits: "Si j’avais été un jeune Allemand dans les années 1960, j’aurais fait du krautrock ou je serais mort (…). Je me serais jeté dans un trip rock en direction de Mars." (Introduction, page 8)
"La disparition de KAREN CARPENTER" de Clovis Goux (Acte Sud Rock – 2017)
Le titre du
livre de Clovis Goux ferait un bon titre de thriller mis en scène par Alfred
Hitchcock ou Brian De Palma. En seulement 124 pages, Clovis Goux
nous offre un curieux livre qui sort des sentiers battus de la biographie sur
la carrière d’un groupe. Pour nous parler du groupe The Carpenters (un
des plus gros vendeurs de disques dans les années 70, avec RDV officiel à deux
reprises à la Maison Blanche sous l’ère Nixon), l’auteur axe son livre
sur les problèmes d’anorexie de Karen Carpenter, la sœur de Richard,
quant à lui gros consommateur de barbituriques. Ses problèmes de santé iront en
s’empirant jusqu’à entrainer sa mort à seulement 32 ans. Le récit sur sa perte
de poids, jusqu’à atteindre le poids plume de 34 kg est entrecoupé de chapitres
qui nous raconte l’Amérique middle Class des années 50-70. Sont ainsi évoqué la
mort de John Kennedy, la secte Charles Manson Family, mais aussi
comment vendre un produit de consommation à la masse populaire, et le pompon
avec un chapitre sur l’anorexie. L’amateur de la musique sirupeuse/easy
listening passé dans la machine frère et sœur Carpenters sous le
contrôle du label A&M peut être dérouté par le traitement de choc de Clovis
Goux, mais son écriture étant bien aiguisé (l’humour noir anglais rode…),
on prend un plaisir presque vicieux à lire son texte. Le top du style est
atteint avec le chapitre « The end » avec des descriptifs très poignants sur
les dernières heures de la vie de Karen, qui donnent la nausée, mais
aussi de la mélancolie. Au final, La disparition de Karen Carpenter est
un beau « objet littéraire » (terme utilisé par Simon Liberati dans la
préface), qui a du style et du contenue, et loin d’être un exercice de style.
Ouvrage chaudement recommandé à lire, mais sans abuser de cachetons. (Chronique
publiée dans Abus Dangereux face 145, janvier/mars 2018)
"MUSIQUES TRAVERSES &HORIZON EN 400 DISQUES" de Philippe Robert (Le Mot et le Reste - 2021)
Chronique du livre ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2021/11/musiques-traverses-horizons-de-philippe.html
"SWANS et le dépassement de soi" de Benjamin Fogel (Playlist Society - 2016)
Je viens d’achever la lecture du livre Swans et le dépassement de soi, et belle surprise The glowing Man, le nouvel album de Swans vient de sortir. Ainsi pour rédiger cette chronique, rien de mieux que d’avoir en fond sonore ce nouveau «péplum/fresque» de 3 vinyles ou 2 cd pour plus de 2 heures (dont un titre de 28 minutes !) de musiques intense, soit l’illustration parfaite du « dépassement de soi ».
A ma connaissance, Swans et le dépassement de soi est le premier livre écrit en langue française sur ce groupe new-yorkais. C’est Benjamin Fogel qui s'y est collé. Cofondateur de la maison d’édition Playlist Society, Benjamin Fogel s’était déjà attelé à l’écriture de personnalité majeure de la musique underground, car il a écrit un bel ouvrage sur Howard Devoto, ex membre des groupes Buzzcoks et Magazine.
L’auteur a
un style bien personnel pour relater la carrière du boss (tyran ?) de Swans,
le singulier Michael Gira. L’ouvrage n’est pas une biographie dans le
sens stricte du terme (ici aucun rapport avec Life, le livre de 700
pages de Keith Richards qui revient sur sa jeunesse, sa famille, le
quartier de son enfance), mais plutôt un questionnement, une analyse sur la
personnalité de Michael Gira. Car le bonhomme a du caractère. Les
membres du groupe ont intérêt à être au garde à vous ! Très exigent dans son
travail, Michael Gira porte avec lui (ou alors la porte pour celui qui
râle !) ses musiciens très loin dans l’art de faire de la musique.
Formé en 1982, le groupe Swans est devenu une référence en matière de
bruit blanc. Noise en anglais, même si Michael Gira n’aime pas le terme
NOISE, il préfère le blues. Tel le chant cygne (swan en anglais), Swans
a eu plusieurs vies. Noise indus jusqu’en boutisse de 1982 à 1986, folk
gothique en 1987 (avec Children Of God), folk épuré et cabaret rock,
jusqu’au split du groupe en 1998 avec l’album Swans Are Dead. Après une
parenthèse liée à la vie du label Young Gods Records, Swans
renait en 2010 avec le magnifique album My Father Will Guide Me Up A Rope To
The Sky. Et depuis, trois énormes albums (tant en qualité qu’en volume de
musique avec The Seer, ToBe King et The Glowing Man) ont rendu
les Swans encore plus grand et plus visionnaire. A croire, comme dans le
bon vin, ce sont les années qui embellissent le goût où alors la méthode de
travail de Gira de porter ses musicien jusqu’au bout d’eux même (jusqu’à
l’épuisement !) porte ses fruits. L’analyse de Benjamin Fogel est
pertinente et enrichissante. Certes il est très fan du maestro Gira,
mais il prend le recul nécessaire pour parler de sa personnalité complexe, sans
heureusement tomber dans la séance « rendez-vous chez le psy ». J’ai beaucoup
aimé lire ce livre, on y apprend beaucoup de choses, et on sort du cadre «
interview-promo du dernier disque ». Donc, un livre vivement recommandé. Petite
particularité, l’auteur n’a jamais vu les Swans en concert, car il a un
problème d’acouphène, soit le comble du fan des Swans. Enfin à noter que
la préface a été écrite par Jarboe qui a fait partie du groupe entre
1986 et 1999. (Chronique publiée dans Abus Dangereux face 140, octobre/décembre
2016)