ROSE CITY BAND "Earth Trip" (Thrill Jockey Records) – 25 juin 2021

On ne le répètera pas assez, mais tout ce que touche Ripley Johnson est or. Pas l’or dans le sens argent, mais l’or dans le sens musical. Dans le domaine de la bande originale de film, on nomme souvent les compositeurs de « maestro », et bien ce terme convient également à Ripley Johnson. Que cela soit avec les groupes Wooden Shjips, Moon Duo et depuis 2019 avec son projet solo nommé Rose City Band, chaque chanson, chaque publication est une bénédiction pour les fidèles que nous sommes devenues, au fil du temps à l’écoute de ses musiques, ses partitions. Et ce n’est pas ce nouvel et troisième album sous le nom de Rose City Band qui va contredire ce constat. 

Une fois de plus Ripley Johnson, accompagné de quatre musiciens (dont au piano, sa douce Sanae Yamada de Moon Duo et Vive la Void) nous propose huit morceaux/compositions impeccables à tous les niveaux : ambiance, mélodie, harmonie à la fois épuré et solaire, soit un « good trip » à partager en bonne compagnie. Au sein de Rose City Band, notre barbu stylé compose une musique non pas cosmique, n’y totalement psychédélique (à l’inverse des deux autres groupes), mais une musique indie rock, americana, avec des jouissances fortes de folk, country cool et posé, des balades bucoliques bien loin du bruit et de l’agitation urbaine des grandes villes. On est dans l’esprit des groupes, artistes comme Luna, Dean & Britta, Yo La Tengo, The Go-Betweens, mais dans leurs compos posés, à fleur de peau. 

Les photos qui illustrent la pochette extérieure (qui possède une ouverture qui permet une fois que la pochette intérieure est sortie, de voir des champignons) et intérieure où l’on voit Ripley dans la nature boisée, reflète bien la musique que l’on va entendre. Pas d’erreur sur le contenant. Il est clair que cet album composé en 2020 est une manifestation face à l’année anxiogène que nous avons traversée à cause du COVID-19. Cet album est comme une carte postale destiné aux habitants des villes qui vivent dans des petits appartements, avec un contact très restreint avec la nature. Il faut se rappeler qu’au début de la pandémie en avril 2020, les parcs et espaces verts des villes étaient fermés au public. Soit une pure aberration. Heureusement qu’il y a des artistes comme Ripley Johnson pour nous faire voyager avec la musique. Ainsi, après l’impeccable Summerlong sortie en 2020 (n°2 dans mon TOP 25), Earth Trip confirme que Rose City Band n’est pas juste un projet parallèle à Wooden Shjips et à Moon Duo, mais bien une aventure sérieuse à ne surtout pas prendre à la légère. Chapeau et merci l’artiste !

Chronique de l’album Summerlong ici: https://paskallarsen.blogspot.com/2020/06/rose-city-band-summerlong-thrill-jockey.html

https://rosecityband.bandcamp.com/album/earth-trip

https://www.facebook.com/TheRoseCityBand/

RAYMONDE HOWARD & HALFBOB "The Year Loop Broke" (Jarjille éditions/We are Uniques ! Records/Bigwax distribution) – 11 juin 2021

 

Voici un joli projet imaginé sous la forme d’un livre disque, suite au séjour de l’artiste stéphanoise Raymonde Howard dans un hôpital en Angleterre. D’un côté une BD dessinée par Halfboob et de l’autre un CD qui regroupe une sélections des morceaux des quatre albums de Raymonde Howard, plus un titre revisité, quelques inédits et quatre nouveaux morceaux enregistrés en février 2021, soit un total de 27 titres sélectionnés par les deux artistes. La BD seule est publiée à 1000 exemplaires et le livre disque CD à 500 exemplaires.

Après avoir joué dans divers groupes noise/punk rock et riot girrrl (Goofgall, Kiss Kiss Martine, La Seconda Volta) en 2007 Raymonde Howard enregistre ses premiers morceaux publiés sur un CDr. Par la suite elle va réaliser trois mini albums. En juillet 2015 elle part en tournée en Angleterre (trois dates sont bouclées après avoir contacté 45 lieux), avec Anto qui a le rôle de roadie et le chanteur guitariste Thomas W. qui fait comme Raymonde Howard un projet solo, soit la réunion entre une one woman band et un one man band. Les concerts ont lieu à Lincoln dans un parc public, à Northampton dans un ancien local du Labour Party et enfin à Oxford dans un pub. Dès le passage de la Manche en Ferry pour rejoindre les côtes anglaises, Raymonde Howard à des nausées, comme si elle avait la grippe. Les jours suivant, c’est un mal de dos terrible qu’elle soulage grâce au Paracétamol. Malgré son état, elle va quand même faire ses trois concerts, mais dès son contrat bouclé, la douleur étant de plus en plus grande, elle finit aux urgences. La suite, le diagnostic de ses douleurs, son séjour à l’hôpital public anglais est raconté dans la BD.

Cette mésaventure est dessinée par Halfbob, un habitué du petit monde du rock indé. Il a dessinée de nombreuses pochettes de disques (Wonderflu, Kim/Georges Bernstein, Polarbird), publié deux BD avec des chroniques musicales (Just Gimme Indie Rock), parle de musique sur son blog, bref on imagine bien Halfbob dessiné en écoutant du rock indé du style Dinosaur Jr., Pavement et Sebadoh. Le trait fluide, simple (pas trop de détails dans les décors, espaces) et dynamique. Son style graphique colle très bien au format BD pour les jeunes de 7 à 77 ans.

Raymonde Howard compose une musique lo-fi de poche, avec juste sa voix, sa guitare et tout pleins de petits sons qui sortent de ses pédales d’effets. La qualité de Raymonde Howard est de composer des titres qui trottent dès les premières notes dans notre crane mal réveillé. Son style lo-fi artisanal très bien fichu. A l’écoute de sa musique, on a l’impression qu’elle est à coté de nous en train de jouer, tant ses comptines de proximité grincent, couinent sous des notes bien accordées. Le son de sa guitare racle, la corde raide n’est pas loin de lâcher et de bruler. La production épurée, parfois roots du chant/guitare réalisée par Ives Grimonprez est efficace, comme taillée dans du roc humide où les mélodies glissent en faisant des étincelles. Par instant le violon de Jean-Christophe Lacroix (le camarade de concert de Raymonde) vient apporter un peu de blues terreux qui renforce l’enveloppe musicale de notre artiste hors norme, bien imprégnée dans son univers. Son atout majeur est son chant remplit d’adrénaline, de révolte, tels les figures féminines comme PJ Harvey, Kim Gordon, Patty Smith et Shannon Wright. On est instantanément porté par la foie et les petites mélodies de notre stéphanoise qui a bien fait de choisir de jouer de la guitare et non pas au ballon de foot.

Au final, ce livre disque est le type d’objet culturel qui conforte l’idée que les livres ne sont pas fait pour être lu en PDF sur une tablette et que la musique (même en CD), n’est pas faite pour être un fichier qui se retrouvera perdu dans le disque dur de l’ordinateur. L’objet physique sera toujours mieux que le virtuel, et voir un artiste en concert dans une salle sera toujours mieux qu’à travers l’écran d’un ordinateur. Bref, le label toulousain We Are Unique ! Records fête dignement ses 20 ans avec ce très joli livre disque à lire, à regarder, à toucher et à écouter.

https://weareunique.bandcamp.com/album/the-year-loop-broke-a-collection-of-songs-2006-2021

http://raymondehoward.free.fr/

http://halfbobleblog.blogspot.com/

http://www.jarjille.org/

PHILIPPE COUDERC : 1967- 2021

J’ai appris la nouvelle hier soir, l’ami Philippe Couderc nous a quittés le mardi 22 juin 2021, suite à une lourde opération des poumons.

En 1987, Philippe Couderc a créé avec trois amis Abus Dangereux, un fanzine consacré au rock indépendant. Le fanzine est toujours en activité, le n°157 vient juste de sortir au début du mois de juin, avec Brisa Roché & Fred Fortuny en couverture. Dans le milieu du rock indé, Abus Dangereux est connu de tous. En attendant de savoir ce que deviendra la suite du fanzine, un n°158 est prévu pour la rentrée 2021. 

En mars 1993, Philippe Couderc crée le label indé Vicious Circle. A ce jour, le label à édité plus de 160 références. Parmi les artistes présents sur le label il y a : Drive Blind, Greedy Guts, Virago, Petit Vodo, Seven Hate, The Notwist, Shannon Wright, Elysian Fields, Dum Dum Boys, The Ex, Girls Against Boys, Calc, Minor Majority, 22 Pistepirkko, Puppetmastaz, Tender Forever, The Bellrays, Kim, Mansfield.TYA, Julien Pras, It It Anita, Troy Von Balthazar, Lane, Slift… soit une belle représentation du rock indé français et international dans différents styles musicaux en marge des grosses majors.

Vicious Circle est membre fondateur de la FELIN (Fédération Nationale des Labels et Distributeurs Indépendants), de la FEPPIA (Fédération des Producteurs Phonographiques d'Aquitaine) et de CD1D (fédération nationale de labels indépendants). Il est également membre du RIM (Réseau des Indépendants de la Musique).

En parallèle au label Vicious Circle, à son engagement au RIM, FEPPIA, FELIN pour le développement des labels indépendants, à sa détermination pour qui vive envers et contre tout le fanzine en papier Abus Dangereux, alors que le site internet d’Abus est juste une page pour annoncer le nouveau numéro -à noter qu’il a écrit l’édito du n°157, du coup cette intro « J’avoue ne pas avoir une inspiration folle au moment d’aborder l’écriture de cet édito », sachant qu’il était malade, prend une autre tournure-, Philippe Couderc a aussi créé Reverberation, un service de pressage CD/DVD/vinyle/T-shirt/badge/sac.

Ainsi, malgré son petit gabarit, Philippe Couderc à soulever des montagnes pour le développement du rock indé dans le paysage français. Malgré que j’écrive dans le fanzine Abus Dangereux depuis 2001, je ne connais pas bien Philippe. Comme il habite Bordeaux et moi Paris, on ne s’est vu qu’une dizaine de fois. Mais j’avais régulièrement des nouvelles de lui via Cathimini, rédactrice en chef d’Abus Dangereux.

C’est clair, 54 ans c’est trop jeune pour quitter cette terre, surtout quand on habite la belle région bordelaise, avec sa ville rock par excellence. On peut juste remarquer qu’il est parti le lendemain de la fête de la musique, c’est un signe que la musique l’attend également là-haut, tout là-haut. Repose en paix.

https://www.viciouscircle.fr/fr

https://www.facebook.com/abusdangereux/