Des associations constructives entre des réalisateurs
et des compositeurs, il y en a de bels exemples : Alfred Hitchcock et Bernard
Herrmann, Federico Fellini et Nino Rota, Sergio Leone et Ennio
Morricone, Dario Argento et le
groupe Goblin, Sam Peckinpah et Michael Winner avec Jerry Fielding, François Truffaut et Georges Delerue, David Cronenberg et Howard
Shore, John Carpenter et John Carpenter, Peter Greenaway et Michael
Nyman, David Lynch et Angelo Badalamenti, Claude Lelouch et Francis Lai, Steven
Spielberg et John Williams. On
peut rajouter à cette liste (non exhaustive) Bertrand Mandico et Pierre
Desprats. Leur collaboration a commencé en 2017 avec le film Les Garçons sauvages, suivi en 2021 sur After Blue et maintenant tout chaud, Conann. Il n’est pas facile de mettre en
musique le monde étrange et très visuel de Bertrand
Mandico, réalisateur à part dans le cinéma français. On peut à cet égard
rapprocher leur union à celle de David
Lynch avec Angelo Badalamenti.
Le film Conann est une nouvelle
étape, dans l’art de raconter une histoire. Déjà Conan n’est plus un guerrier (on a tous en tête la musculature de Arnold Schwarzenegger), mais une
guerrière devenue Conann avec deux "n".
Pour interpréter ce personnage devenue féminin, ce n’est pas une actrice, mais
six actrices qui endossent le rôle pour jouer une décennie de la vie de cette
guerrière. L’actrice Françoise Brion
(âgée de 90 ans -depuis les années 50, elle a traversé tout le cinéma français)
joue la dernière étape de la vie terrestre de Conann la barbare.
Pierre Desprats commence comme batteur dans des groupes de hardcore de la scène toulousaine (je n’ai pas trouvé les noms de ses groupes HC). C’est au Cinésup de Nantes (école de cinéma et de l’audiovisuel pour la préparation aux grandes écoles de cinéma) qu’il débute son travail sur la musique en studio, approfondi avec le Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicale (GRIM), puis des études au prestigieux Louis Lumière (à Saint-Denis) en section son et scénographie sonore. Il finit ces études à l’Université de Montréal, section Art Numérique. Après ses années d’études, place à la pratique avec la composition pour des courts et longs métrages, le théâtre (notamment pour le metteur en scène Philippe Quesne). Avec ses études sur le son, Pierre Desprats a en poche le savoir-faire pour à la fois rassembler et malaxer le son selon les projets. Tel un sculpteur, le son est matière, il faut savoir lui donner forme avec sensibilité et personnalité. Sa collaboration avec Bertrand Mandico lui permet de sortir en lui tous les sortilèges, ambiances froides, industrielles (on sent le contact du métal, l’odeur de la soudure), proche de l’électro. Sa partition (avec orchestre !) pour Conann en est un bon exemple. Sur les images en noir et blanc du film qui nous évoques les longs métrages de Murnau et Fritz Lang, la musique électronique mélangée avec des instruments analogiques de Pierre Desprats apporte un climat froid, répétitif, mécanique, mais aussi organique, sensuelle, en état de méditation, proche du sacré. Le morceau d’ouverture a pour titre Traverser le voile, c’est justement ce qui va se passer avec la B.O. Un voyage en terre peuplé de spectres et de punks échappés de Mad Max versus R.W. Fassbinder. Parmi les instrumentaux, il y a trois morceaux chantés et écrient par la rappeuse camerounaise Kelly Rose (également dans le trio Uzi Freyja) et Misery interprété par Barbara Carlotti avec une touche "cabaret de traviole". Les morceaux suivants, titrés le Serpent, Cuisiner la reine, font penser à la musique de Michael Nymann pour le film de Peter Greenaway, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989). Pour ceux qui ont vu le film, la comparaison ne s’arrête pas à la musique, il y a aussi l’image du festin en compagnie du maitre de cérémonie, Christophe Bier. L’ensemble est finalement éclectique, et devrait à la fois plaire aux amateurs de musique industrielle école Coil, qu’à l’amateur d’électro organique, de musique contemporaine avec une touche de classique. Le tout avec un peu de rap et d’effets sonores pour la réussite d’une belle B.O.F. Il faudra malgré tout, plusieurs écoutes pour apprivoiser les trouvailles de Pierre Desprats !
L'album est disponible en numérique sur les plateformes et en édition vinyle limitée à 350 exemplaires.
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