samedi 9 avril 2022

STEVEN BROWN "El Hombre Invisible" (Crammed Discs/L’Autre Distribution/PIAS) – 15 avril 2022


Je ne vais pas dans le format chronique me permettre de vous retracer le parcours de Steven Brown. Juste en préambule de son nouvel album titré El Hombre Invisible vous rappeler qu’il a eu en 1977 la bonne idée de créer avec Blaine L. Reininger et Peter Principle (1954-2017) le groupe Tuxedomoon. Cette entité unique a illuminée la fin des années 70 et toute la décennie 80 avec des albums inclassables à l’esthétique arty qui font cohabiter avec bonheur et souplesse, les musiques punk rock (dont le morceau No Tears est un classique absolu, souvent imité, jamais égalé), jazz, musique contemporaine, new wave, avant-garde, BO de film, etc… Pas la peine d’en rajouter les cinq premiers albums sont des classiques à posséder dans toute discothèque qui se respecte. Tuxedomoon aurait dû avoir le même succès que les Talking Heads et Steven Brown la même visibilité que David Byrne, mais qu’importe, Tuxedomoon a tracé son sillon avec style et talent et surtout réalisé des concerts fabuleux qui font cohabiter la musique rock avec le théâtre, la danse et le cinéma, notamment grâce à Bruce Geduldig (1953-2016). Il était le quatrième membre du groupe, non pas au poste de musicien ou de chanteur, mais en tant qu'artiste visuel, scénographe avec ses lumières, effets optiques qu’il promenait avec son corps fluide sur la scène, donnant ainsi aux concerts de Tuxedomoon une ambiance unique, digne du cinéma expressionniste allemand. Créée en 1977 à San Francisco, Tuxedomoon n’étant pas porté par le psyché hippie, déménage à New York. Cette ville de l’avant-garde, du Velvet Underground/John Cale à Philip Glass, Talking Heads, Arto Lindsay, la no-wave est plus dans leurs veines. Ensuite ils partent pour l’Europe où ils trouvent une terre d’accueil à Bruxelles. Sur le label local, Crammed Discs, ils vont publier des albums et faire des collaborations pour la série Made To Measure. Dans la musique de Tuxedomoon on ressent le voyage, la liberté de mouvement… ainsi un nouveau saut pour Steven Brown qui profite du sommeil de Tuxedomoon depuis 1988 -le réveil sera en 1997- pour partir en 1993 vivre au Mexique, d'abord à Mexico puis à Oaxaca où il vit toujours. 

Photo @ Philippe Lévy

En parallèle de Tuxedomoon, Steven Brown a publié de nombreux albums, dont des collaborations avec Blaine L. Reininger, Benjamin Lew -l’album Douzième Journée : Le verbe, la parure, l’amour a été réédité en 2021- et plusieurs B.O. de films. Steven Brown a écrit, composé, interprété et produit l’album El Hombre Invisible. Il y est accompagné de nombreux musiciens locaux, car depuis qu’il s’est installé au Mexique, notre artiste y a fait son réseau. Après avoir construit sa maison, il créé le groupe Nine Rain (4 albums plus une BO), dont on retrouve sur El Hombre Invisible Alejandro Herrena venu jouer du jarana (une guitare sèche mexicaine), l’ensemble à vent Ensamble Kafka (un album). Là c’est le tromboniste Facundo Vargas et le guitariste Julio Garcia qui sont venus compléter la dizaine de musiciens qui accompagnent Steven Brown sur cet album composé par un homme bien visible, de chair et de sang. Enfin il créé le groupe Cinema Domingo Orchestra qui interprète des nouvelles bandes sonores pour illustrer des classiques du cinéma, sans oublier son implication pour soutenir les fanfares indigènes. Steven Brown est un actif qui est tombé amoureux du Mexique et plus particulièrement de l’état d’Oaxaca avec ses montagnes, ses vallées, son architecture et ses fanfares. Malgré tout, n’allez pas en déduire que son nouvel album est un orchestre de fanfare, de cumbia ou de mariachi. Non, on reste bien dans le périmètre sonore qu’on connait si l'on est amateur de Tuxedomoon et ses musiciens en solo. Soit une musique contemporaine qui flirte avec le jazz, le romantisme, la BO pour accompagnement d’un spectacle de danse contemporaine, une touche de world, de cabaret rock. Des compositions voisines de Philip Glass, David Sylvian, David Byrne, Tom Waits, Nick Cave, Wim Mertens et une touche David Bowie époque Berlinoise. L’architecture, la texture musicale des nouvelles compositions de Steven Brown, est au petit soin. Cuivres, cordes, percussions mêlés à la voix de conteur d’El hombre Steven est un régal intemporel qui ne connait pas l’usure du temps. De plus le son de la clarinette, du saxophone, qui est la marque de fabrique de Steven Brown, fait de nouveau des étincelles. Qu’il soit à San Francisco, New York, Amsterdam, Bruxelles ou Oaxaca, notre artiste reste fidèle à son style, tout en piochant ici et là quelques ingrédients extérieurs, un peu comme l’écrivain ou le scénographe qui s’installe dans le coin d’un café pour glaner des idées échappées de la bouche ou du comportement des clients. C'est ça le talent d'un artiste, glaner et transformer pour en faire une œuvre personnelle. Pour clore cette chronique, notons que la photo de la pochette a été réalisée par Philippe Lévy, que les écumeurs de concerts parisiens ont certainement croisé avec son appareil photo.

Photo @ Philippe Lévy

Steven Brown sera en tournée européenne à partir du 24 mai 2022, avec notamment un concert au Séchoir à Mulhouse le 24 mai, au Botanique à Bruxelles le 5 juin.

https://stevenbrowntuxedomoon.bandcamp.com/album/el-hombre-invisible

http://crammed.be/index.php?id=34&art_id=119




vendredi 8 avril 2022

THE VROOMING CREW "Laisse-moi respirer" (Sumerset Records/Green Cookie Records) – 11 mars 2022


En 2004, je fais la connaissance du compositeur Thierry Los lors de la sortie de l’album Surfin, Robots And The Correct Use Of Rock And Roll avec son groupe Vegomatic. Dans le style surf garage et pop sixties à la française, sa musique est une belle madeleine de Proust. J’en profite pour faire une interview qui sera publiée dans le fanzine Abus Dangereux face 88 été 2004 -avec en couv. le groupe Shellac dessiné par Nine Antico, alors toute jeune dessinatrice qui croque les groupes de rock pendant les concerts-. Après 5 albums qui donnent du soleil et des vahinés dans notre quotidien, Vegomatic s’arrête en 2014 avec l’album Trip publié chez Trois Jeunes Tambours. Mauvais trip pour les amateurs du groupe. Mais Thierry Los reste en phase avec la musique sixties en créant le label DnG consacré à la Library Music, suivant ainsi les traces de ses prédécesseurs, Roger Roger, Janko Nilovic, Jean-Jacques Perrey, André Popp, Nino Nardini, Sauveur Mallia. En plus de compositeur, il devient ainsi éditeur. Pour rappel la Library Music, -égale illustration sonore-, est destinée aux professionnels de l’audiovisuel (télévision, radio, internet) pour illustrer les jingles, génériques, bandes annonces, défilés de mode, vidéo et boutiques à la recherche d’une ambiance sonore. En 2016, pour composer la musique, Thierry Los a installé  ses studios à l’ATPR (Association Tardenoise du Patrimoine Roulant), un musée consacré à l’automobile situé dans une ancienne usine des années 30 dans le département de l’Aisne. Le studio d’enregistrement nommé ATPR Studio (avec le logo qui reprend le code visuel de l’ORTF) à la particularité d’être équipé en analogique avec des magnétophones 24 pistes SONY MCI JH24 et un 4 pistes TEAC A-3340S, donnant ainsi au son des nombreux instruments, un grain authentique du meilleur effet. Chaque publication numérique de DnG est lié à un thème : Rocking’ Toys (189), Flutes sensations (186), Jingles à gogo (182), Girls sing (135), Delicate pop (145)… Pour composer les musiques, Thierry Los forme une équipe de musiciens maison nommé l’ATPR Orchestra et The Vrooming Crew, en hommage aux musiciens de studio The Wrecking Crew qui ont travaillés dans les années 60 pour The Beach Boys, notamment sur Pet Sounds, pour Phil Spector, The Monkees, Nancy Sinatra et tant d’autres.

Parmi les musiciens de la formation The Vrooming Crew, il y a des membres du groupe parisien de surf music, The Wave Chargers. En 2019 ce groupe a composé l’album éponyme produit par Thierry Los et publié sur le label grec Green Cookie Records. Ce label créé en 1999, spécialisé dans la musique surf garage et rock’n’roll, tombe sous le charme des publications à thème de Thierry Los et lui propose d’en publier en version vinyle (existe également en numérique). Le morceau Caresse mes cheveux extrait de la référence 174 titrée 60’s French Yéyé Girls, a été utilisé par la chaine Netflix pour la bande annonce du film Madame Claude réalisée en 2021 par Sylvie Verheyde. Ce morceau ayant reçu un bel écho, c’est ce spécial french yéyé qui va être utilisé pour la sortie vinyle. L’album contient 16 morceaux interprétés par The Vrooming Crew avec en guest la chanteuse Dolorès. Présenté sous la forme d’une bande originale de film (qui n’existe pas) avec pour titre Laisse-moi respirer, l’album version 2022, nous transporte direct dans le meilleur de Georges Lautner avec Laisse aller… c’est une valse ! (1971) et Ne nous fâchons pas (1966) avec dans le rôle principal la belle Mireille Darc. Le pitch de Laisse-moi respirer est : "Cannes, mars 1963 : Il l’étouffe, elle lui coupera le souffle." Bref, il ne manque plus que les images du réalisateur au pseudo de Bernard Fabriano.

A défaut d’images, on a la musique et de la bonne ! C’est un régal, un plaisir gourmet pour tous les amateurs des chanteuses françaises des années 60, que Sasha Monett avait compilé en 1999 sous le nom de Swinging Mademoiselle (1), terme qui colle comme un rouge à lèvres de marque ou un vêtement Courrèges à Stella, Zouzou, Dani, Jacqueline Taib, Charlotte Leslie, Clothilde, Liz Brady, Christine Pilzer, Anna Karina, Brigitte Bardot, France Gall, Françoise Hardy. La magnifique voix de Dolorès évoque cette belle époque sixties où les filles étaient en mini-jupe et les garçons en pull col roulé. La cuisine en formica, les meubles en plastique coloré (orange, rouge, vert, bleu), les BD de Barbarella de Jean-Claude Forest, Pravda la survireuse de Guy Peellaert, les boum, les surprises party avec ses la-la-la-la, ses Shebam! Pow! Blop ! Wizz! (Cosmic Trip) qui donnent la banane, il y a tous ces éléments sur cette magnifique fausse BOF. Le tout divinement exécuté par des musiciens chevronnés qui ont le sixties surf pop yéyé music dans les gènes. C’est dynamique, sa pulse, c’est frais, c’est fun, c’est chic,  ne bondons pas notre plaisir avec Dolorès et The Vrooming Crew ! 

Pour clore la chronique, le label Green Cookie a également publié l’album Sex Call From Paris (en vinyle et numérique) qui reprend la référence 169 du catalogue DnG avec le thème Erotic trip, destiné pour illustrer les stripteases et cabaret burlesque, en hommage à Bettie Page, aux films de Russ Mayer. Évidemment ici la musique est à consonance érotique et sensuel, pour vous aider à vous mettre à nue, à mettre le feu à la literie.  Oui, ici on a chaud ! 

(1): Interview de Sasha Monett ici : https://paskallarsen.blogspot.com/2020/06/sasha-monett-monsieur-swinging.html

https://greencookierecords.bandcamp.com/album/newest-laisse-moi-respirer-lp-digital-gc082

https://greencookierecords.bandcamp.com/album/newest-sex-call-from-paris-lp-digital-gc083

http://www.dng-music.com/extraits.html

https://www.facebook.com/atprstudio/



jeudi 7 avril 2022

HATER "Sincere" (Fire Records) – 06 mai 2022


Hater est un groupe indie pop suédois de Malmö qui s’est formé en 2016. Sincere est leur 3ème album. Quand on regarde les pochettes de leurs disques, on constate que la chanteuse du groupe, Caroline Landahl est mise en avant. Pourquoi pas, car elle est photogénique et la blonde suédoise, sa reste dans la mémoire collective, surtout ceux qui ont connu les années flower power mi 60, mi 70. Pour ce nouvel album, il y a deux changements dans le lin up du groupe, avec l’arrivé de Frederick Rundquist et Ramus Andersson au côté de Måns Leonartsson et Caroline Landahl. Hater compose une musique indie pop rock, teinté de shoegaze mélancolique, une touche noisy pop avec un potentiel tube qui sent bon le début des années 90. On est dans l’esprit de groupes Pale Saints, The Sundays, Lush, Pavement, Sonic Youth, Blonde Redhead, Savages, mais halte à la nostalgie, la musique de Hater est à son aise dans notre époque composée de chiffres 20 et 22. Le point fort du quatuor est évidemment la voix rayonnante de Caroline Landahl mise en valeur par les riffs et notes mélodiques des trois garçons. Aériennes, pop, situés entre le chaud et le froid, les 9 morceaux de Sincere ont cette élégance harmonique qui titille instantanément à l’oreille. Ne boudons pas notre plaisir avec Hater, des artisans d’une certaine idée de la musique indie pop intemporelle.


https://hatermalmo.bandcamp.com/

https://www.facebook.com/haterrmusic

https://www.firerecords.com/artists/hater/