Pour réaliser son 4ème album, titré Nomad, le pianiste et compositeur Simon Denizart est accompagné du percussionniste
Elli Miller Maboungou. C’est après quatorze
mois à parcourir le globe (Texas, Californie, Canada, Maroc, France), inutile
de préciser que nous sommes avant la pandémie mondiale, que Simon Denizart décide de raconter en
musique ces voyages et rencontres, d’où le titre Nomad. Le duo nous propose une musique au carrefour du jazz et du
classique. Il y a de la douceur, du romantisme dans les mélodies qui se
superposent par couches de notes noires et blanches, légèrement secoué par
quelques claquements/frottements de baguettes sur la cymbale. Ici le voyage est
lunaire, poétique, bien loin du bruit de la ville et de la pollution des grandes
mégapoles. A traves les huit instrumentaux de l’album, on perçoit la goutte de
pluie qui glisse le long du feuillage, le sourire d’un enfant, une vague qui
enveloppe la plage, à chacun de se laisser attraper par les accords en
résonnance du mix piano/percus/calebasse joliment tricotées entres-elles.
En 2021, le label indépendant Crammed Discs a 40 ans. Créé à Bruxelles en 1981 par le musicien
et producteur Marc Hollander (Aksak Maboul, The Honeymoon Killers), Crammed
Discs va devenir un label de référence, tant leurs publications soignées,
ouvertes, pointues à la croisée du rock, du jazz, de la musique contemporaine,
expérimentale et world imposent le respect. Parmi les plus de 350
albums et plus de 250 singles/EPs parus à ce jour, notons des disques tous formats de Minimal Compact, Tuxedomoon, Aksak Maboul,
Karl Biscuit, Blaine L. Raininger, Zazou Bikaye,
John Lurie, Colin Newman, Sonoko, Bel Canto, Yasuaki Shimizu, Konono N°1, Dominic
Sonic…
En 1984, Crammed
Discs lance une nouvelle série sous l’identité Made To Measure. Ces albums, soit compilés avec plusieurs artistes, soit
avec juste un artiste proposent des compositions destinés à être des bandes
sonores pour les besoins d’autres médias, tels que le cinéma, la danse
contemporaine, le théâtre, l’art contemporain/installation vidéo, les défilés de
modes... Certaines bandes-son vont trouver preneur dans le cinéma, le
plus connues étant la collaboration entre John
Lurie et le cinéaste new yorkais Jim
Jarmusch pour les BO de Stranger Than
Paradise (Vol. 7) et Down By Law (Vol. 14), et d’autres resteront dans le
registre imaginaire, sans rien perdre de
leur magie et sensualité musicale. De 1984 avec au menu du Vol. 1, les artistes « maison » Minimal Compact, Tuxedomoon,
Benjamin Lew, Aksak Maboul à 1993 avec Le Parfum du Raky de Benjamin
Lew il y a eu 35 volumes Made To
Measure, puis quelques Vol. avec des sorties plus espacées. Les Vol. sont reconnaissable à leurs pochettes, illustrées par un peintre
célèbre, qu’on peut parfois admirer dans les musés. Sur le Vol. 1, la peinture titrée Les
Boxeurs est de Fernand Steven.
Après avoir réédité en 2017 le Vol. 12, Music For
Commercials de Yasuaki Shimizu,
voici la réédition remasterisée du Vol.1
sortie en 1984 en 33t vinyle, avec au menu Pieces
For Nothing de Minimal Compact, A la recherche de B. de Benjamin Lew, Un Chien… d’Aksak Maboul et
Verdun de Tuxedomoon.
Originaire de Tel Aviv, installé à Amsterdam, le
groupe Minimal Compact publie son
premier disque S/T en 1981 sur le label Belge Crammed Discs, faisant ainsi du groupe, l’un des fers de lance du
rock/new wave européen avec Marquis de
Sade, Mecano, Simple Minds (du début). En 1984, le
groupe a deux albums et bientôt un troisième sur Crammed Discs, soit une valeur sûre pour démarrer la série des
volumes. Idem pour les new yorkais Tuxedomoon,
venus s’installer à Bruxelles. En 1982 le groupe publie l’album Desire sur le label voisin Les Disques du Crépuscule et à partir de
1985, Tuxedomoon et ses membres en
solo seront publiés sur MTM,
avec comme mise en bouche les trois morceaux de la série Verdun présent sur le Vol. 1. L’artiste multi casquette Benjamin Lew (poète, photographe,
illustrateur sonore) a déjà un pied dans la maison Crammed, il a réalisé en
1982 un album instrumental avec Steven
Brown (Tuxedomoon). Cet album, Douzième Journée : Le verbe, La parure,
L’amour à l’atmosphère arty donne déjà une couleur sonore de ce que sera la
série des volumes. Quand à Aksak Maboul,
groupe de Marc Hollander, boss de Crammed Disc, première référence du
label avec l’album Un Peu de l’Ame des
Bandits (1980), normal qu’on le trouve présent sur ce premier volume.
Quatre artistes, quatre univers à la fois
différents, mais qui se recoupent. Déjà de part les musiciens qui se
connaissent entres eux pour certains pour avoir travaillé ensemble. Sur
les quatre pièces de Minimal Compact, il
y a la présence des membres de
Tuxedomoon avec Steven Brown (saxophone,
clarinette) Peter Principle (1954-2017),
chanteur et musicien, mais ici à la production avec son ami Gilles Martin. Les quatre morceaux de Pieces For Nothing ont été composés pour
le chorégraphe Pierre Droulers. On retrouve évidemment le style new wave/post
punk de Minimal Compactavec en
plus une touche musique contemporaine. Sur le
titre Animal Killers, le chant nous
évoque les albums La Folie/Feline des Stranglers et l’album solo Euroman
Cometh de J.J. Burnel. L’ensemble a très bien vieilli ! L’usure du temps n’a pas eu lieu, ouf.
Le morceau A la
recherche de B. de Benjamin Lew
est une illustration sonore pour l’expo de mode Huit jeunes stylistes limbourgeois. De par son utilisation, on est
bien dans le style « illustration sonore » (Library Music en VO),
avec ses petits sons cosmiques et son atmosphère mystérieuse, digne d’un film
de SF.
Pour ce Vol. 1,
Aksak Maboul a composé deux pièces
sonores, Scratch Holiday et Un Chien… . Le premier est la bande son
d’un film de vacances des Honeymoon
Killers et la deuxième pièce en six morceaux Un Chien mérite une mort de chien a été conçu pour une pièce de
théâtre de Michel Gheude. Dans le
titre du premier morceau il y a le mot Scratch, justement le morceau a pris vie
avec une platine et le 45t d’une musique pop des années 60. Pour Le Chien…, le style est dans la musique
contemporaine/minimaliste/répétitive esprit Philip Glass, Steve Reich.
Les six morceaux de cette pièce sonore sont magnifiques et très agréable à
écouter. Cette pièce illustrerait idéalement la bande son d’un film muet d’expressionniste
allemand. A (re)découvrir sans plus attendre !
Le Vol. 1
fini avec Verdun de Tuxedomoon,qui contient trois pièces écrites et
enregistrées pour la bande-son du film Het
Veld Van Eer réalisé par le cinéaste néerlandais Bob Visser. Il y a de l’atmosphère, de l’étrange, du sombre, ce qui
est normal, vu le titre Verdun,
triste célèbre champs de bataille, lors de la première guerre mondiale avec 700
000 morts/blessés/disparus en comptabilisant les soldats français et allemands.
L’ambiance du deuil, sans être mortifère est présente, avec un peu de lumière
dans la mélodie de Driving To Verdun qui
clôture l’album.
Bref, cette réédition nous a permis de réécouter cet
album, qui était resté rangé depuis des années parmi les autres vinyles. D’autres
remasterations de la série Made To
Measure Vol. sont prévues prochainement, ainsi que des nouveaux volumes, dont le Vol. 45 avec le duo Nova Materia pour une oeuvre immersive de 40 minutes titrée Xpujil. Sortie prévue le 25 juin 2021. Donc à suivre !
Je profite de cette réédition pour remettre en ligne
la chronique que j’ai écrite sur Music For Commercials MTM Vol. 12 de Yasuaki Shimizu, sortie initialement en
1987 et réédité en 2017 sur Crammed Discs.
Yasuaki Shimizu est un compositeur et saxophoniste japonais. Il a
publié son premier album solo en 1978. De 1979 à 1983 il a fait partie du
groupe Mariah. Depuis le début des années 80, il a publié de nombreux
albums tout en multipliant des collaborations avec des artistes comme David
Cunningham, Wasis Diop ainsi que pour le cinéma et la télévision.
Music For Commercials est une compilation de musiques que Yasuaki
Shimizu a composé pour des publicités destinées à la TV japonaise. La
majorité des titres sont très courts, à peine plus d’une minute. Malgré tout,
en seulement une minute, Yasuaki Shimuzu arrive à mettre beaucoup
d’éléments sonores. Sur ce sujet, Yasuaki Shimizu écrit dans la note
figurant sur la pochette du disque : « La nécessaire contrainte temporelle
m’a permis d’affiner mes pouvoirs intuitifs ». Sa musique, malgré l’aspect
minimaliste est très riche en son, en harmonie et nous fait facilement voyager,
du moins mentalement, grâce à ses boucles entêtantes parfois zen. Ces vignettes
musicales ont une certaine légèreté qui est très agréable à écouter. Pas
étonnant que ce disque soit devenu culte et très recherché, car les 24 morceaux
de l’album ont une force intemporelle qui lui donne une certaine forme de
noblesse. Musicalement on est dans l’esprit de groupes tels que Yellow Magic
Orchestra/Ryuichi Sakamoto, David Sylvian/Japan et le compositeur Michael
Nyman. Bref un bel album sonore à (re)découvrir.