dimanche 23 juillet 2023

LAURIE STYVERS "Gemini Girl" (Hight Moon Records) – 17 février 2023

La rubrique "Rééditions" de Rock & Folk rédigée par Nicolas Ungemuth permet de découvrir des artistes oubliés, passés entre les filets du couloir du temps. Certes, l’écriture de Nicolas Ungemuth agace parfois, car quand ce journaliste n’aime pas un groupe, un artiste, il n’hésite pas à le démolir, sans y mettre les manières. C’est dans sa rubrique du n°670 (juin 2023) de Rock & Folk avec Galen Ayers & Paul Simonon en couverture, que je découvre la chanteuse américaine Laurie Styvers (1951-1998). En voyant la pochette du disque, je devine que sa musique va me plaire, comme il a plu à Nicolas Ungemuth, qui aurait du le mettre dans sa "Réédition du mois". La photo de la pochette nous montre le regard de la jeune Laurie Styvers prise dans une rue éclairée. La couleur de la photo, ses longs cheveux et ses vêtements nous ramènent instantanément a la période des années 60-70’s, dans l’esprit hippie psyché folk de Laurel Canyon.  

Le label américain Hight Moon Records vient d’éditer un magnifique double CD avec un livret de 48 pages richement illustré. Les CD contiennent les deux uniques albums, Spilt Milk et The Colorado Kid que Laurie Styvers a publié en 1971 et 1973 sur la major Chrysalis (Warmer pour le premier album sur le marché américain). En bonus sur chaque CD, des morceaux inédits, des versions alternatives et des démos. Le tout est remastérisé. Soit du bel ouvrage pour découvrir la musique de l’auteure compositrice et chanteuse Laurie Styvers.

Pochette US (Warner) et anglaise (Chrysalis) de l’album "Spilt Milk"

Pochette de l’album "The Colorado Kid"

Laurette Stivers (son véritable nom) est née en 1951 au Texas, où elle va vivre jusqu’à son adolescence. Son père travaillant dans l’industrie pétrolière, Laurette et sa famille vont venir s’installer à la fin des années 60 à Londres. Elle va faire des études à l’American School. Passionnée de musique, elle joue du piano avec talent, Laurette Stivers crée avec quatre amis le groupe acid folk Justine, qui ne sortira qu’un album, mais quel magnifique album inspiré. Là, le style acid folk est au sommet, avec des mélodies, harmonies à tomber. L’édition vinyle de 1970 étant hors de prix, vous pouvez vous rattraper avec les rééditions CD au prix correct. L’aventure Justine sera courte (dommage), Laurette retourne aux États-Unis au Colorado pour étudier. Pendant cette période elle continue à composer et prend le nom de Laurie Styvers. De retour à Londres, elle décide de se lancer dans une carrière solo. Elle signe avec Shel Talmy et Hugh Murphy’s Hush Productions. Avec Tom Parker du New London Chorale aux arrangements, aux pianos et une flopée d’excellents musiciens de studio, les compos de Lauries Styvers vont rayonner de tout feu sur son premier album Spilt Milk. Les harmonies orchestrées mettent en valeur la voix de notre jeune chanteuse de 20 ans. On est ici digne d’une production de David Whitaker (qui sera présent sur l’album suivant), David Axelrod qui rencontre le souffle de liberté de Lanrel Canyon ainsi que l’école de Canterbury avec une touche de The Carpenters. C’est juste splendide. Malheureusement ce bel album et son single Beat The Reaper ne rencontreront pas le succès. Malgré tout l’équipe y croit et se lance avec d’autres musiciens, dont Alan Parker (qui sera notamment présent sur l’album culte Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg, et sur les compilations de Library music KPM) et aux arrangements le grand David Whitaker -qu’on a découverts en France en 2002, avec la belle compilation The David Whitaker Songbook édité par Tricatel- sur le deuxième album The Colorado Kid. On y retrouve les ingrédients harmoniques, les choeurs et le confort acoustique du premier LP, mais là aussi pas de succès, malgré que les albums soient édités sur des majors. Laurie Styvers va entrer dans l’oubli, jusqu’à devenir le secret le mieux gardé des amateurs d’hippie folk aux arrangements raffinés. Elle retourne au Texas, et va changer complètement de voie, en travaillant avec son père dans un refuge pour animaux abandonnés. Elle meurt à seulement 46 ans d’une hépatite le 18 février 1998. Laurie Styvers aura dont eu une carrière éclair dans le monde de la musique. A l’écoute des deux albums, on ne comprend pas pourquoi le public n’est pas venu vers elle. Cela fait partie des mystères du show-biz avec toutes les sorties disques qu’il y a toutes les semaines, il est obligé que certains restent dans l’anonymat. Les rééditions, permettent de réparer cette blessure, malheureusement en raison de sa disparation précoce, Laurie Styvers ne peut pas voir qu’elle n’est pas oubliée. Là aussi, un rendez-vous manqué avec le public. Triste destin.

https://lauriestyvers.bandcamp.com/album/gemini-girl-the-complete-hush-recordings

https://www.highmoonrecords.com/shop/laurie-styvers

https://www.discogs.com/artist/1353221-Laurie-Styvers







samedi 22 juillet 2023

"LES DIABLES" de Ken Russell (Films Sans Frontières) – 8 mai 2023


Après le visionnage du DVD du film Les Diables de Ken Russell, réalisé en 1971, une pose est de rigueur pour se remettre de cette expérience visuelle et sonore sous acide. On respire un bon coup et on prend la plume pour mettre ses impressions. Pendant près de deux heures, l’acteur Oliver Reed et l’actrice Vanessa Redgrave vont nous entrainer dans une spirale outrancière, baroque, rock’n’roll, où le sexe, la religion, le pouvoir, les trahisons, la cupidité, la luxure et le vice prennent plaisir à se mélanger dans une partouse visuelle sans limite. On est ici à la croisée d’un film d’Alejandro Jodorowsky, Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, d’une folie à la The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman, la perversité de Orange Mécanique de Stanley Kubrick, le délire pop visuel de Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault dans un tableau de Salvator Dali, des prémices de la comédie musicale Tommy que Ken Russell réalisera en 1975. Bref, il faut avoir l’esprit bien accroché, bien ouvert pour suivre le film Les Diables, où l’église et le pouvoir politique prennent cher.


Synopsis : -Librement inspiré de l’affaire des possédées de Loudun qui avait défrayé la chronique en France en 1634-, "l’histoire de ces Diables prend place en 1634, dans la ville de Loudun, où l’abbé Urbain Grangier (Oliver Reed) exerce une très grande influence sur les gens de la ville. Collectionnant les conquêtes féminines, il refuse d’abattre les remparts de la ville, qui a échappé aux guerres de religions. Mais au couvent des Ursulines, l’inquiétante Mère Jeanne des Anges (Vanessa Redgrave) se déclare possédés par Grangier. Pour l’envoyé de Richelieu, c’est l’occasion parfaite d’éliminer Grangier, la folie va pouvoir commencer…". (Films sans Frontières)

Ken Russell, ne se donne aucune limite, ainsi les décors sont énormes, les costumes sont flamboyants (en Angleterre, la mode glam rock est à son top), le texte à l’accent théâtral est digne d’un opéra, les acteurs sont tous géniaux, notamment l’Abbé Barré, interprété par Machael Gothard (qu’on va revoir l’année suivante dans La Vallée de Barbet Schroeder). Avec sa tête de hippie biker échappée d’une production Roger Corman, l’Abbé Barré porte bien son nom, car spécialisé dans l’exorcisme, il prend un malin plaisir à faire souffrir ses « patients ». La souffrance inffligée aux pêcheurs le met en transe. Le genre de personne que l’on n’aimerait pas croiser. Mais surtout, au premier plan, Oliver Reed, ici encore plus fou que dans ses rôles pour les films de La Hammer réalisés par Terence Fisher (Les deux Visages du Docteur Jeckyll, La Nuit du Loup-Garou), car il porte en lui le personnage de l’Abbé Urbain Grangier. Sur chaque plan, son visage, sa corpulence est digne d’une rock star, près à accueillir ses groupies dans sa loge et finir la soirée avec elles dans un hôtel. Avec ce rôle, Olivier Reed donne toute la démesure de son jeu d’acteur, qui ne recule devant rien, jusqu’aux cheveux passé à la boule à zéro pour finir au bûcher sur la place public. On a mal pour lui ! Sauf la Mère Jeanne des Anges interprétée par l’étonnante Vanessa Redgrave (qui s’est fait connaitre pour son rôle de Jane dans le film Blow-Up de Michelangelo Antonioni), qui voit là une vengeance envers l’homme qui n’a pas voulu d’elle. On peut comprendre l’Abbé Urbain Grangier, car La Mère Jeanne est à la fois bien allumée, et le fait qu’elle soit courbée, ne lui donne pas un charme fou. A noter que la Mère Jeanne essai de tenir en laisse ses jeunes brebis religieuses, mais dès qu’elle a le dos tourné, les brebis ne tiennent pas en place, ainsi pas étonnant que dans la deuxième partie du film, nos jeunes sœurs-nonnes deviennent lubriques. Dès qu’une partouze s’offre à elles, elles n’hésitent pas à faire tomber leur robe blanche. Pour filmer ce genre de scène de jambes en l’air, on peut dire que Ken Russell est un maestro. Il a le don de réaliser des images à la fois belles et sans filtre. Rien que ce long passage donne à Les Diables les caractéristiques d’une œuvre culte.

Si dans les années 80, Les Diables est bien sorti en VHS à la location (chez Warner Home Vidéo), par contre il n’était à ce jour jamais sorti en DVD sur le marché français. Ce film sulfureux et maudit a du faire peur aux éditeurs. Déjà, à sa sortie sur les écrans en 1971, de par sa nature profondément anticléricale, violente et érotique, les critiques ont été assassines, les conservateurs effrayés. Nous sommes au début des années 70’s, époque de liberté sexuelle où tous est possible, notamment au cinéma. Aujourd’hui, en 2023, un film comme Les Diables serait impossible à réaliser, ou alors en direct to vidéo dans un circuit restreint. Grâce à Films Sans Frontières, vous allez pourvoir (re)voir ce film hors norme en DVD. Par contre il n’y a pas d’édition Blu-ray, pour rendre justice aux magnifiques images baroques du film. La prochaine étape avec en prime des bonus ?

https://www.films-sans-frontieres.com/