Depuis la parution du n°1 sorti le 25 mai 2011, on suit avec intérêt chaque numéro de la revue Schnock. Ce format papier (15x21cm) de 180 pages contient un épais dossier, soit sur un acteur, un réalisateur, un chanteur, un humoriste, un dessinateur ou un film devenu culte, avec de longues interviews de l’artiste et ses proches, le tout avec une sélection des films à voir et disques à écouter. Le point commun de toutes ces personnalités, figures de l’inconscient collectif, est qu’ils ont joué un rôle important dans les années 60, 70 et 80, sans oublier certains à partir de l’après-guerre. On reste en contact avec ses grandes et belles gueules françaises qui passent régulièrement dans la petite lucarne (qui est passé du noir et blanc à la couleur à la HD et d’une chaine à un bouquet TV par abonnement). Juste quelques noms pour vous donner le parfum du papier : Serge Gainsbourg, Jean Yanne, Coluche, Jean Gabin, Lino Ventura, Brigitte Bardot, Michel Audiard, Philippe Noiret, Pierre Richard, Mireille Darc, Les Charlots, Daniel Prévost, Pierre Desproges… Á côté du dossier, on trouve des sujets sur diverses personnalités françaises qui viennent de la culture, de la politique, de la presse écrite (de Lui, Actuel à Pif Gadget et Strange), de la publicité, de la télévision, avec notamment des émissions qui ont marqué notre enfance (Casimir, Le cinéma de Minuit), mais aussi des pages consommation, art de vivre, comme dans l'esprit « espace vintage » du marché Dauphine aux Puces de Saint-Ouen. Le tout dans une belle mise en page, avec de nombreuses photos et illustrations d’archives et enfin sa couverture aux couleurs pop dessiné par Erwan Terrier. Quand on a fini de lire le nouveau n°, (ici le 35 spécial Les Bronzés) on se demande qui sera en couverture du numéro suivant ? Pour cela, on suit la page Facebook de Schnock.
Christophe Ernault, connu sous le nom d’artiste Alister (rédacteur en chef avec Laurence Rémila) répond à nos questions.
Comment est née cette revue, le point de départ qui vous a donné envie de vous lancez dans cette aventure ?
Il nous semblait que certaines figures de la culture pop française étaient délaissées, sous-estimées par les médias. Pas « traitées » en bonne et due forme. Jean Yanne (n°3), Jean-Pierre Marielle (n°1) sont les premiers noms qui nous sont venus. Mais, honnêtement, c’était pour déconner au début. On n’imaginait pas 35 numéros.
Vous pouvez nous faire une petite présentation de l’équipe ? Vous avez un passé lié à l’édition ? Vous avez écrits auparavant dans des fanzines et revues ?
Je suis surtout musicien. A l’époque, j’étais en train de sortir mon deuxième album « Double Détente » que ma maison de disques, Barclay, avait mis longtemps à sortir. Pour moi c’était un hochet pour m’occuper, rien de plus. Rémila (co-rédacteur en chef) et Terrier (dessinateur de la couve) viennent de « Technikart ». J’ai amené Héloïse Condroyer, une directrice artistique qui a créé tout le visuel « Schnock », avec Claire Bissara-Barbe. Ca été important d’avoir des filles pour l’esthétique de la revue. Ça nous a immédiatement emmenés ailleurs. Elles n’ont pas eu peur d’aller dans la régression la plus totale. Ce qui, honnêtement, n’était pas mon idée initiale (je pensais plus « Vogue International »). Mais la tension entre le discours et la gueule du truc a « fait » Schnock. Tant mieux.
Vous n’aviez pas peur que le mot SCHNOCK ne soit trop péjoratif, et du coup ne soit pas vendeur ? Votre définition du SCHNOCK ?
Bien sûr. Mais c’était un « statement », un manifeste. A prendre ou à laisser. Les gens ont pris. Le mot « Schnock », pour moi, désigne un vieux fou imprévisible, que tout le monde craint dans le village mais dont tout le monde sait qu’il détient une part de vérité sur l’essence des choses. Donc, prudemment, dans le doute, on l’écoute.
La tête d’affiche du n° 1 est consacrée à
Jean-Pierre Marielle (qui nous a quittés il y a un an). Comment c’est fait ce
choix ? Le sommaire d’un n°1 est toujours délicat pour se faire connaitre,
en quoi cette figure du cinéma français était un atout pour commencer
l’aventure ? Comme la revue n’existait pas encore, il a accepté assez facilement l’interview ?
Comme je l’ai dit, il était sur notre top liste initiale. Et, surtout, il
était vivant à l’époque, qu’il repose en paix le brave homme. On voulait du
sang frais. Pour être honnête, on a un peu bobardé pour décrocher l’interview.
En disant que c’était pour « Télé Z » ou « Technikart », ce
qui revient au même. Mais à l’époque, il sortait ses « mémoires » et
ça ne se bousculait pas au portillon. Pour nous, il représentait, exactement,
ce mélange d’acteur très populaire et en même très pointu. De grivoiseries et
de tirades sophistiquées. Une certaine idée de la France comme disait Charles de Gaulle.
Comment ça se passe pour choisir le sujet central
(= couve) du n° ?
Il faut que le sujet soit multiprises, si je peux me permettre. Qu’il y ait
plusieurs ramifications. Prenons Guy
Marchand (n°27), par exemple. Il nous emmène dans le ciné, la chanson, la
télé, la pub et même la littérature, d’une certaine façon (il a publié des
romans). Un bon client, en interview aussi. Interview fantastique qui m’a fait
décider de le faire cover-boy, alors que ce n’était pas forcément le but,
initialement.Quel est le n° qui c’est le mieux vendu ? Et le moins vendu ? Votre avis sur vos succès et moins bons succès de vente ?
Jean-Pierre Marielle, de par sa position initiale continue à être la meilleure vente. Avec un Pierre Desproges (n°12) à ses trousses. La plus mauvaise vente c’est Souchon et Voulzy (n°28). Les lecteurs ont estimé que ce n’était pas assez Schnock. Et ils avaient sans doute raison, même si on adore ces deux artistes. Et c’est là, où ça devient intéressant : ce n’est pas parce que nous aimons personnellement tel ou telle artiste que cela correspond à « Schnock ». Sinon, je mettrai François Perrot ou Noël Roquevert en couve. Mais bon, le concept nous dépasse absolument à ce sujet. Très dur à expliquer aux oligophrènes qui m’entourent.
Quels ont été les numéros les plus compliqués à faire et pourquoi ?
Renaud (n°25) était ok pour une interview. Puis a renoncé in extremis, en nous écrivant, quand même, un édito sympathique. La machine, de notre côté, était partie. Il fallait sortir la revue. Bardot (n°11), pareil. Mais, cela dit, parfois, ne pas avoir ces stars, ce n’est pas plus mal. Ils ont souvent moins de choses intéressantes à dire sur eux-mêmes que des gens qui les ont côtoyés.
Parmi toutes ces interviews/rencontres, vous pouvez nous donner quelques petites anecdotes, coulisses pour nos lecteurs ?
Je me souviendrai longtemps de l’élégance de Mireille Darc (n°19) et de son humilité. Charles Aznavour (n°23) se souvenant de n’importe quel détail datant de 1947. Et puis Jacques Audiard (n°21), qui n’aime pas trop parler de son père, et qui, ce jour-là, a été très loquace et méticuleux.
A ce jour dans votre tableau de « chasse » vous n’avez pas fait de sujet sur Alain Delon ni rencontré Jean-Paul Belmondo, les deux grandes stars françaises des années 60-70. Ces deux personnalités sont difficiles à approcher ?
Belmondo, on a fait le numéro sans lui (n°13), mais sous ses auspices. Pour les mêmes raisons que Bardot et Renaud. Je pense qu’il a tout dit ailleurs et qu’il a passé l’âge. Et je reviens, à ce que je disais, le numéro qu’on lui a consacré est d’autant plus intéressant qu’il n’y est pas présent. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est comme ça. Ca nous libère. Delon, on n’est pas loin d’être près.
Le chanteur Christophe nous a quitté au mois d’avril. Je suis surprit que vous n’ayez pas fait une couve/sujet sur lui. C’était en prévision ? Que représente ce chanteur pour vous ?
Question compliquée, parce que si je vous donne des noms… Ce que je peux vous dire c’est que le mot « Schnock » peut faire peur. Jean Rochefort, par exemple, est le seul à ne pas avoir témoigné, pour le dossier « Un éléphant ça trompe énormément », alors que Bedos, Lanoux, Brasseur, Villalonga et Dupeyrey (n°10) l’ont fait. On peut imaginer que cette revue est satirique, se moque, dégrade. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Et puis il y a les « attachés de presse » de tous ces anciens. Terrorisés par l’éventualité que l’on salisse la « marque » de l’artiste dont ils sont en charge. Ça a été le cas au début, beaucoup moins maintenant. Eddy Mitchell (n°31), a par exemple, finalement accepté au bout de huit ans à nous accorder une interview. Patience et longueur de temps.
En ce moment il y a une exposition et une rétrospective des films avec Louis de Funès à La Cinémathèque de Paris. Que représente pour vous cet acteur populaire chez toutes les générations ?
C’est le « doudou » de la nation française. Les scores d’audience de ses films passés à la télévision pendant le confinement le montre. Ce qui m’impressionne chez lui, c’est qu’il vieillit bien. Toutes les générations peuvent se l’approprier. Ce qui n’est pas le cas de Bourvil ou Fernandel, des humoristes de sa génération, par exemple.
Les couves sont réalisées par le dessinateur Erwan Terrier. Vous pouvez nous le présenter ?
C’est le Tintoret de l’illustration française, je n’arrête pas de lui dire. Un génie qui rend tous ses dessins en temps et en heure. Rubis sur l’ongle. Sans jamais discuter les modifications qu’on lui suggère. En gardant un profil humble qui lui va bien au teint. Il mérite un Mako Moulage.
Vous connaissez le lecteur type de votre revue ? Ils n’ont pas tous les cheveux gris (comme moi) ?
Je ne sais pas. En revanche, nous avons beaucoup de lectrices.
Dans votre dernier n° consacré à la saga des Bronzés, il y a une interview touchante de Corine, ex bassiste de Téléphone. Dans cette réponse « … ai-je un destin d’invisibilité… Récemment, le journal de la Sacem a consacré tout un numéro intitulé Le Rock et les femmes en France. Je n’y suis pas mentionnée du tout », c’est l’éternelle place de la femme dans le milieu rock, plutôt masculin, même si évidemment sa change. Malgré tout on est en 2020 et sa réponse laisse perplexe. Qu’en pensez-vous, un avis sur ce sujet ?
Elle a raison de dire ça. C’est pas cool que le journal de la SACEM ait fait ça. C’est quasiment notre seule rock’n’roll girl nationale ! Et si, elle, elle ne le dit pas, personne ne le dira. Schnock sert à ça parfois. Transmettre, rendre justice à des artistes qui se sentent un peu floués. Corine a des couilles, et c’est une super bassiste. Cette excellente interview le montre. C’est le plus beau témoignage féministe qui soit.
Evidemment pour ceux qui veulent critiquer votre revue, ils peuvent la traiter de passéiste, de jouer sur la nostalgie. Qu’est-ce que vous leur répondez pour vous défendre ?
Bizarrement, on a très peu de critiques. Je ne sais pas de qui vous parlez. La raison est peut être que j’ai toujours depuis sa création évacué de cette revue toutes considérations politiques. Dès que je vois dans un papier un trait lourdement militant, je vire. Personne ne peut dire, si l’on est de droite, de gauche, du centre. On n’est pas là pour ça. Et tout est devenu, désormais, exagérément politique dans les médias, que l’on ne se prive pas de brouiller les pistes. Ma nature personnelle a toujours été de filer un coup à gauche quand je vois un coup à droite. Ou l’inverse. La revue est ainsi. Meilleur exemple : quand on a enchainé le numéro Michel Sardou (n°16) avec celui de Choron et Cavanna (n°17). C’est ça Schnock.
Et côté nostalgie, y a-t-il des sujets qui n’auront jamais leur place dans SCHNOCK ? Qu’est-ce que vous vous interdisez dans la ligne éditoriale ?
A priori rien.
Quels sont vos projets, sujets, évènements pour 2020-21
Je sors un livre en octobre, « La Bibliothèque Impossible » aux éditions La Tengo. Pour « Schnock », je ne dis plus rien. On s’est fait piquer tellement de choses.
Schnock n°7 spécial film Les Valseuses de Bertrand
Blier.
Schnock n°15 spécial film L’Aventure c’est L’Aventure de Claude
Lelouch.
Schnock n°24 spécial Les Charlots.