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mardi 20 octobre 2020

CHOMO "C’est Illimité" (In Poly Sons) – 18 septembre 2020


Le label rennais In Poly Sons vient d’éditer un album des extravagances, illuminations sonores et vocales de Chomo. Il est clair que ce disque est exclusivement destiné aux « fans » purs et durs de Chomo et aux complétistes curieux d’avoir dans leur collection de disques insolites, ce premier format 33t de Chomo. Avec en sous-titre Expérimentations sonores et poétiques, ce vinyle contient 12 morceaux, collages pour 34 minutes de musique et de parole, dont le titre Poème en langue inventée résume bien l’ambiance et l’esprit qui sortent des sillons du disque. Ce témoignage sonore (on parlera discrètement de musique, sauf pour l’amateur du style bruitiste ou d’art sonore), a été rendu possible grâce à la numérisation des bandes et cassettes réalisée par Laurent Danchin entre 2009 et 2010 et par Denis Tagu entre 2018 et 2019. Le travail n’a pas dû être simple, car Chomo a réalisé beaucoup, beaucoup d’enregistrements avec son magnéto à bande ou à cassettes. Le choix des morceaux a dû être aussi difficile que le cinéaste qui doit rendre au producteur son film sans dépasser 1h30 pour l’exploitation en salle, ou le parolier qui doit écrire un texte pour un single de 3 minutes qui deviendra éventuellement un tube. Bref, le résultat des courses, du ménage est sur le recto et le verso du vinyle et en libre écoute sur le lien du label et sur Bandcamp.

A noter que In Poly Sons n'est pas à son premier coup d'essais pour présenter la musique d'artistes dit "art brut". En 1992 le label publie en CD, la compilation Hardis Bruts en hommage à l'art brut, en 1998 la compilation Rythmé Brut et en 2002 le CD Sait-on jamais la Vie d'André Robillard, dont j'ai eu l'honneur de fournir des photos pour illustrer la pochette.

Un petit rappel s’impose pour ceux qui ne connaissent Roger Chomeaux, connu sous le nom de Chomo (1907-1999). C’est un artiste qui a fait l’Ecole des Beaux-Arts à Paris. Il était destiné de par son talent, à vivre de son art en vendant dans des galeries du quartier de Saint-Germain-des-Prés, ses peintures, sculptures et plus particulièrement ses « bois brûlés ». Parmi les amateurs, il y avait les surréalistes ainsi qu’un certain Picasso. Mais voilà, en 1960 Chomo, écœuré par le marché de l’art contemporain envoi tout valser et envisage de vivre sur son lopin de terre acheté par sa femme Germaine vers 1941 à Achères-la-Forêt, situé en bordure de la forêt de Fontainebleau. Jusqu’en 1966, Chomo a pendant 20 ans fait des allers-retours entre Paris et Fontainebleau pour s’isoler et créer. A partir de 1964, il commence à construire nuit et jour des bâtiments (avec l’aide d’un voisin ingénieur) qui lui serviront de lieu de vie et d’abri pour ses œuvres futures. Ces bâtiments auront pour noms, l’Eglise des pauvres, le Sanctuaire des bois brûlés, le Refuge. En 1966 il décidé de s’y installer définitivement, de quitter le confort de son appartement parisien pour vivre chichement sans eau ni électricité. Sur son terrain, il faudra tout construire ou terminer ce qui était entamé depuis deux ou trois ans et envisager également l’entretien des bâtiments.

Pendant 35 ans, sa création sera débordante jusqu’à réaliser un environnement insolite, à la lisière de l’art brut, presque loin de tout, sauf de la route… Tous les bâtiments seront construits à partir de rebus, d’objets de récupérations. Pour donner de la lumière aux intérieurs, il utilisera des bouteilles et goulots qui serviront de fenêtres donnant à l’ensemble l’aspect de vitraux. Chomo n’a pas fait d’étude d’architecture, c'est sa « folie créatrice » qui lui donnera des ailes et de l’inspiration pour à la fois construire des édifices, réaliser des tableaux aux figures et couleurs très psychédélique qui dégagent une force cosmique, des sculptures de toutes tailles proche de l’art africain, des sculptures/installations en bois qu’il brulait superficiellement pour donner une patine et un soyeux que le bois brut n’a pas. Il sera l’inventeur de cette technique qu’il va nommer Bois Brûlés. A noter que les œuvres exposés en mai 1960 dans la galerie Jean Camion à Paris étaient en bois brûlés. Cette unique expo sabotée par Chomo lui-même sera un énorme succès public mais un échec commercial cuisant. Artiste complet, il va aussi créer un langage à partir d’une écriture phonétique simplifiée, créer de la musique, des sons, beaucoup de sons, qui seront enregistrés sur des bandes magnétiques et des K7. Je ne vais pas vous raconter toute sa vie qui fut très riche. Pour en savoir plus, je vous recommande de lire le livre Chomo, un pavé dans la mare intellectuelle réalisé à partir d’entretiens avec Laurent Danchin (1946-2017) qui lui rendit visite chaque semaine pendant plus de dix ans. Devenu proche, il s’était donné pour mission de faire découvrir au public cet artiste marginale. Edité en 1978 aux éditions Jean-Claude Simoen, son livre a été réédité et enrichi en 2017 aux éditions Le Livre d’Art. En 2009, la Halle St Pierre à Paris a organisé une très belle exposition sur Chomo de septembre 2009 à mars 2010. A cette occasion la Halle St Pierre a édité un petit catalogue avec de nombreuses illustrations. 

Photo (1994) © Paskal Larsen

Si Chomo vivait comme un ermite, il n’était malgré tout pas coupé du monde. Les week-ends, son « domaine » qu’il nommait Le Village d’art préludien, était ouvert au public. L’entrée « gratuite » était au bon vouloir du visiteur. Si au début de l’ouverture, Chomo faisait lui-même les visites commentées, par la suite au fil des années, notamment à partir du début des années 90, ce sera sa seconde femme Denise qui fera la guide. Mais cerise sur le gâteau, le visiteur, une fois sa balade achevée, remplit de belles découvertes, avait droit à un entretien, une rencontre individuelle d’un quart d’heure avec Chomo. Ce moment privilégié permettait d’écouter sa musique et de repartir avec un hiéroglyphe/signature au lettrage cosmique que Chomo réalisait après avoir lu les lignes de la main du visiteur.

La première fois que j’ai visité le lieu, c’était en avril 1994 (photos ci-dessous). J’étais avec Karine, ma petite amie de l’époque et avec Frank et Laure (qui allaient créer peu de temps après le groupe Dragibus). J’ai découvert Chomo grâce au livre Le Guide de la France Insolite écrit par Chaude Arz (Hachette). Ce guide je l’ai feuilleté la première fois en 1991 chez Pakito Bolino (avant qu’il ne quitte Paris pour Marseille pour développer ce qui deviendra en 1993 les éditions du Dernier Cri), lors d’une interview de son groupe La Mâchoire pour le fanzine Hyacinth. Ce guide m’avait intrigué, jusqu’à vouloir visiter tous les environnements d’art brut et singuliers à travers la France, puis ailleurs, selon mes lieux de vacances. Mais ceci est une autre histoire.

Actuellement et depuis 2015, pour pouvoir visiter le Village d’art préludien et obtenir des informations sur Chomo, l’association Les Amis de Chomo est là pour ne pas qu’on oubli ce grand artiste français aux styles multiples et étonnants. Lui, qui fut traité toute sa vie de «  fou du village » a eu une vie libre, créative et vraiment hors-norme.

Je fini cette chronique avec une phrase de Chomo qui n'a pas besoin de commentaire: "Heureux sont les charognes qui pourrissent au soleil" (phrase tirée des grandes nuits solitaires de Noël -1977-).

Photo (1994) © Paskal Larsen

http://inpolysons.free.fr

https://inpolysons.bandcamp.com/album/cest-illimit-exp-rimentations-sonores-et-po-tiques

http://chomo.fr/

https://www.amisdechomo.com/













Photos (1994) © Paskal Larsen 

L'avenir de Paskal Larsen par Chomo