Transcodex
est la 4ème collaboration avec Jac Berrocal (voix, trompette), Vincent Epplay (synthétiseurs,
sampling, guitare, batterie, effets, programmation) et David Fenech (voix, basse, guitare électrique, percussions, électronique
rythme). Avec en prime sur cet album, deux invités de luxe, Jah Wobble (Public Image Limited -PIL-) et Jean-Hervé
Peron (Faust), sans oublier la
participation d’Amaury Cambuzat (Ulan Bator, Faust). La musique de ce trio en expression libre, est un mélange réussi
de (free) jazz, world, dub, art rock, d’industriel, collage/poésie sonore/surréaliste,
expérimental, électro, ambiance cinématographique, soit une musique qui aurait toute sa
place dans la collection Made to Measure du label belge Crammed Discs.
Ici la liberté de style, permet de côtoyer des sons, harmonies, urgences, qui
nous évoquent Pere Ubu, Tuxedomoon, PIL, African Head Charge,
Faust, Miles Davis, William S. Burroughs,
TC Matic, Nurse With Wound, Mecano,
Coil, Palo Alto… et la couleur,
atmosphère de la pochette de Transcodex évoque celle de Heathen Earth
de Throbbing Gristle (1980), soit une
belle collection d’artistes hors les normes.
Tout comme sur les trois précédents albums (sans
oublier de nombreux albums avec Jac
Berrocal), le mastering de Transcodex a été confié à Noel Summerville, qui a derrière lui un
sacré CV qu’on vous laisse découvrir sur Discogs rubrique Technical.
Car ici l’acoustique du son est primordiale. Pour ne pas que ce laboratoire musical
fasse naitre un monstre incontrôlable et sanguinaire, mais bien une belle œuvre
structurée, architecturale qui s’écoute avec le plaisir de la découverte
constante, le travail, les arrangements sur le son, la matière sonore sont primordiales. De Catafalque à Dactylo Horns, c’est plus de 38
minutes de musique et de poésie sonore qui vont nous emmener très loin dans des
dimensions parallèles. On ferme les yeux et on se laisse entrainer dans un
tourbillon musical où les surprises nous enivrent de leur nectar.
La première collaboration entre Jac Berrocal, Vincent Epplay et David
Fenech avec Antigravity remonte à 2015, autant dire qu’en 2022, nos
trois musiciens se connaissent bien, fonctionnent comme un groupe soudé, auquel
les idées fusent et prennent forme « instinctivement » avec style et
talent. C’est tout bénef pour le public, la preuve avec Transcodex et
ses 10 morceaux qui ont pris naissance avec des passionnés de la musique libre et pas opaque.
Depuis
plus de 35 ans, Laurent Pernice est dans la marge de la musique. Pour
avoir des renseignements sur son travail, il est préférable de lire le fanzineRevue
& Corrigée au lieu de Rock &
Folk. Pour acheter ses albums, ce sera surtout du côté du disquaire pointu, comme Le Souffle Continu à Paris qu'il faudra se renseigner. Laurent
Pernice étant un électron libre, il réalise à la fois des albums en solo,
des collaborations pour la danse, l’art contemporain. Ainsi pêle-mêle il a joué
avec le groupe indus tribal NOX,
Amaury Cambuzat de Ulan Bator, Nataraj XT, Richard Pinhas (Heldon), Rhys Chatham, Thierry Zaboitzeff, l'écrivain Alain Damasio et le groupe Palo Alto avec lequel il
compose régulièrement.
Électron
libre encore et toujours, à l’heure du retour du vinyle et des films en ultra
HD, Laurent Pernice publie le même jour deux albums autoproduits en format
CD. Le coffret CD-DVD titré UMTT (Un Monde Trop Tard) avec le CD A World Too Late et le DVD titré Un monde trop tard et autres étranges
poésies qui reprend en images vidéo des morceaux de l’album avec des bonus.
L’autre album est Le Corps Utopique
avec Dominique Beven.
Le CD A World Too Late est tout d’abord sorti
en 2018 sur le label suédois The Sublunar
Society. Mais, ce label a jeté l’éponge dès le début du Covid, en mars 2020,
ainsi l’album s’est retrouvé orphelin. Un mal pour un bien, le voici de nouveau
disponible grâce au label Halte aux
records ! et la fondation Stin’Akri, avec en prime le DVD pour plus
d’une heure d’images vidéo immersives réalisés par Laurent Pernice et
ses amis. La musique de cet album, est un mélange de poésie sonore avec des
textes en français, de sons électroniques, où viennent parfois se poser un
saxophone ou une flûte. Les 11 morceaux de l’album ont une portée organique qui
nous fait flotter dans l’air, tout en gardant un pied sur terre. Le danger peut
survenir à tout moment, il faut rester sur ses gardes. Le rythme sur le morceau
Les Oiseaux est comme un battement de
cœur pas rassuré par l’environnement inquiétant drainé par la petite musique à
l’accent horrifique. L’album commence fort avec le titre éponyme et sa mélodie
digne d’un générique de film, qui installe ses pions, son ambiance. Mi électro,
mi indus, le morceau A World Too Late
est d’une richesse sonore, avec notamment l’apport de l’instrument Jew’s harp
(une sorte de guimbarde), qui donne le tempo sur les nappes de synthés et
divers effets sonores élaboré par l’artisan Laurent Pernice. D’entrée,
en sait que l’on va passer un bon moment musical, qui nous permettra de
voyager, de nous dédoubler, de sortir de notre corps d’humain attaché au sol
terrestre. Ici la texture du son, de la matière sonore est mise en relief, pour
les papilles les plus exigeantes. Il y a à la fois l’aspect illustration
sonore, et poésie urbaine qui prend la clé des champs. Si vous êtes amateurs de
groupes artistes tels que Coil, Plaid, Boards Of Canada, Marc
Hurtado, Palo Alto, il est clair que cet album doit venir jusqu’à
vos oreilles.
Changement
de tempo avec Le Corps Utopique. Ici
on se rapproche de la musique contemporaine, voir ethnique pour l’aspect
méditation/transe, avec une touche de free jazz. Cet album est la bande son de Le Corps Utopique, une pièce
chorégraphique réalisée par la compagnie Anima Motrix, interprétée par
l’actrice/danseuse Emma Gustafsson. Le
Corps Utopique est le titre d’une conférence du philosophe Michel
Foucault (1926-1984) diffusé en 1966 sur France Culture. Pour saisir de
quoi on cause, voici de courts extraits du texte de présentation écrit par Daniel Defertpour le
livre Le Corps Utopique-Les Hétérotopies,
sortie en 2019 au format poche chez Éditions Lignes : "Qu’y a-t-il de moins utopique, demande Foucault, que le corps, que le corps
qu’on a – lourd, laid, captif. Rien n’est en effet moins utopique que le corps,
lieu duquel il ne nous est jamais donné de sortir, auquel l’intégralité de
l’existence nous condamne.(…) Le corps grandi, tatoué, maquillé, masqué forme
autant de figures possibles de cette utopie inattendue et paradoxale du corps.
La parure, les uniformes en sont aussi de possibles. Comme la danse
(« corps dilaté selon tout un espace qui lui est intérieur et extérieur à
la fois ») ou encore la possession… Mais, c’est l’érotisme, à la fin –
Michel Foucault dit même « faire l’amour » – qui est le plus
susceptible d’apaiser l’inapaisable désir du corps de sortir des limites qui
sont les siennes. Ou des caresses comme moyen d’« utopiser » le
corps". Pour
composer la musique, Laurent Pernice
a demandé à Dominique Beven
d’improviser sur des instruments à vent, dont des instruments très anciens
comme le khen laotien et le hulusi chinois, pour retrouver le souffle du
philosophe. Belle métaphore. Une fois les improvisations enregistrées, Laurent Pernice a malaxé le tout dans
sa boite magique, guidé par son cerveau de mélomane averti, puis rajouté des
effets électroniques, quelques instruments (basse, trombone, flute). Et hop, le
petit oiseau est sorti pour nous dévoiler 50 minutes de musique riche, pour
accompagner le corps en mouvement de la danseuse et du public, qu’il soit dans
une salle de spectacle ou dans son salon avec une bonne chaine Hi-Fi. Comme je
le disais en intro, le résultat du travail des deux hommes qui sème le vent
avec liberté, se rapproche de la musique contemporaine, expérimentale parfois
concrète avec une touche de world, d’ambient. Il y a une certaine sensualité
-certes intellectuelle- dans le son, les rythmes. On imagine entendre la goutte de
transpiration couler sur le corps nu, ou le pas du pied nu frotter sur le sol
boisé. Les titres des morceaux sont suffisamment évocateurs, Mise à nu, Les Rêves, Féerie, Montagnes lointaines, pour en dire plus.
Bref, tenter sans plus attendre, la rencontre avec Le Corps Utopique de Foucault,
qui souffle à tout vent d’Ouest sans coupe vent.
L’ami Manu B. ma conseillé d’écouter
le duo californien de Palo Alto (comme le nom du groupe français), Zru Vogue.
Ce que je me suis empressé de faire. Le résultat de l’écoute ? Et bien c’est
une belle surprise, d’où cette chronique pour vous faire partager leur musique
stylé art rock. Ici ce terme prend tout son sens, tant au niveau du nom, du
look, du visuel de la pochette et évidemment la musique. ART ROCK en lettre
majuscule et « avant pop » pour faire stylé, Zru Vogue mélange
avec goût post punk, new wave, funk blanc, no wave dans l’esprit de groupes
tels que The The, The Sound, Magazine, XTC, ThePsychedelic Furs, The Stranglers, Chris & Cosey, A Certain Ratio, Liquid
Liquid, Talking Heads, Roxy Music et David Bowie.
Zru Vogue a vu le jour en 1980 en formation
quatuor avec Andrew Jackson (voix, guitare, instruments, visuels), Rick
Cuevas (voix, basse, instruments, visuels), Tom Sanders (batterie)
et Nancy Miller (percussions, voix). En 1981, après la parution du
premier single, Nakweda Dream/Cumulonimbus, Tom et Nancy
quittent le groupe et Zru Vogue devient un duo avec Andrew et Rick
aux commandes. A noter qu’en 2018, le label français Musiques Electroniques Actuelles publie la compilation Assembly For Body Movements qui regroupe
les premiers enregistrements du groupe en formation originale. En 1982, sort le
premier et dernier album éponyme en forma vinyle sur le label maison Zero Risk Records géré par Rick
Cuevas. En 1984, l’EP Now ! et
en 1989 l’album 5000 Years Ago sortent
confidentiellement en format cassette. A partir du début des années 2000 leur
discographie est essentiellement en numérique disponible sur leur page
Bandcamp. En 2021, le label Musiques
Electroniques Actuelles publie en vinyle l'album Before The Moon Disappears qui contient des nouveaux morceaux. Zru Vogue étant un « passe-temps » dans la vie d’Andrew
et Rick (dont le père est pianiste et chanteur d’opéra), travail
professionnel et famille passe avant le groupe, ce qui explique une
discographie sans réelle cohérence, du moins dans le schéma d’un groupe signé sur un
label avec, une sortie d’album suivi d’une tournée. A part quelques concerts à
leur début à San Francisco, Zru Vogue est resté dans l’ombre, ce qui est bien dommage vue la qualité de leur musique. Quoi qu'il en soit, 42 ans après la sa création, le groupe est toujours actif.
Mais revenons en 1982, avec
leur premier album éponyme réédité en
2019 par le label Dark Entries. Il
est bien dommage qu’à l’époque, Zru Vogue n’ai pas signé sur une major
pour avoir plus de visibilité, car les huit morceaux de l’album ont un
potentiel « commercial » pour être disque de la semaine dans les
hebdomadaires anglais NME, Melody Maker, The Sound, et avoir une bonne côte dans les revues Métal Hurlant, Actuel et Best. Le single
Nakweda Dream est calibré pour être
un tube indé aussi estimable que Making
Plan For The Nigel de XTC, Love
My Way de The Psychedelic Furs, Charlotte
Sometimesde The Cure, Shack
Up de A Certain Ratio pour ne citer que quatre exemples. A la fois
riches et homogènes les compos de Zru Vogue sont d’une classe absolue.
Au fil des écoutes, l’album devient de plus en plus essentiel, du moins si on est
amateur de post punk stylé, de pars la rythmique, une basse bien avant, des
voix qui sonnent justes. Bref, un groupe à découvrir au plus vite, notamment pour ceux qui n’en
ont jamais entendu parler.